
Impossible d’échapper aux licornes de nos jours : ces créatures fantastiques sont partout dans la pop culture. Que ce soit avec My little Pony, la Chanson des licornes de Natoo, la célèbre peluche d’Agnès dans Moi Moche et Méchant, en passant par le Unicorn Frappucino de Starbucks, pas de doute : les licornes ont la cote ! Mais cette frénésie est loin d’être nouvelle dans le monde occidental, et le musée de Cluny compte bien vous faire découvrir comment cet animal mythique s’est imposé dans l’imaginaire collectif au Moyen Âge.
A l’occasion de sa réouverture partielle et de l’inauguration de son nouvel espace d’accueil, le musée de Cluny propose l’exposition Magiques Licornes, jusqu’au 25 février 2019. C’est aussi l’occasion pour le musée de mettre en avant son chef d’oeuvre, la tenture de la dame à la licorne, qui pendant la période de fermeture du musée était présentée à l’Art Gallery NSW de Sydney.
Si l’exposition est de taille plutôt modeste (2 salles seulement), Magiques Licornes présente une belle diversité de médiums : ouvrages enluminés ou gravés, sculptures, tapisseries, mais aussi photographies et vidéos.
A l’origine du mythe
L’exposition propose tout d’abord de se pencher sur la naissance du mythe : les premières traces sembleraient remonter à l’Antiquité, avec des mentions dans les œuvres d’auteurs tels que Ctésias, Mégasthénès, Aristote ou encore Pline l’Ancien (qui décrit d’ailleurs l’animal comme un mélange savant de cheval, de cerf, d’éléphant et de sanglier). La Bible évoque elle-aussi cette créature, sous la forme du Re’em, un taureau à une seule corne. Ces écrits antiques appuient donc la croyance en cet animal, et jusqu’au XVIIe siècle, l’existence de la licorne sera assez peu contestée. Elle est étayée par des récits de voyageurs, comme celui de Marco Polo, qui raconte en avoir aperçu une à Sumatra, mais les preuves matérielles sont les plus prisées : de longues cornes sont achetées, souvent à prix d’or, par de riches princes européens ou pour les trésors des églises, comme c’est le cas pour celle présentée dans l’exposition, attestée dans le trésor de l’abbaye de Saint-Denis à partir de 1495 (ci-contre). En réalité, il s’agit d’une dent de narval, une espèce de cétacés, dont les mâles sont dotés d’une dent qui peut atteindre jusqu’à trois mètres de long.
Un animal symbolique aux vertus miraculeuses

«la Vierge Marie et la chasse à la licorne».
Enluminure sur parchemin, vers 1460 – 1470.
Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence
La quête frénétique de « cornes de licornes » est en effet liée à la symbolique de l’animal et aux vertus qui lui sont accordées : attirée par les jeunes filles, elle est un symbole de chasteté. Ainsi, la licorne est souvent associée à la Vierge Marie, notamment dans les scènes d’Annonciation et de Vierge à l’Enfant (ci-contre). Elle est aussi considérée un symbole de la Tempérance. La corne est également considérée comme possédant des pouvoirs de purification, et notamment en ce qui concerne les poisons. Ainsi, au delà du simple attrait pour la corne de licorne (ou plutôt dent de narval) comme curiosité naturelle, celle-ci est utilisée comme contre-poison. A la fin du Moyen-Age, lorsque la peur d’être empoisonné est omniprésente dans les cours princières, il n’est pas rare de tremper un morceau de corne dans les boissons lors des banquets. Le commerce fructueux des prétendues cornes de licornes va être critiqué à la Renaissance, notamment par le médecin Ambroise Paré en 1582.
Iconographie(s) 
Magiques Licornes propose aussi d’explorer les différentes interprétations que les artistes ont pu avoir de cet animal mythique au Moyen-Age. Les descriptions varient d’un auteur à l’autre, faisant de la licorne tantôt une créature chevaline, tantôt caprine, tantôt s’apparentant plus à un rhinocéros, mais une chose est commune à tous les textes : la licorne est un être hybride. A chaque artiste son interprétation, donc. Si l’on peut souvent se représenter la licorne comme blanche, à l’apparence d’un cheval doté d’une longue corne torsadée et d’une barbiche, comme celle représentée sur la tenture de la dame à licorne, il faut aussi souligner que certaines traditions, notamment italiennes, font de la licorne une créature à l’apparence de chèvre, au long pelage brun, à la corne courte et recourbée, comme on peut le constater sur cette enluminure issue des Triomphes de Pétrarque datant de 1457, attribuée à Antonio del Cherico.
La dame à la licorne

A travers l’exposition, le visiteur en apprend également plus sur l’histoire de la tenture de la dame à la licorne, véritable star du musée, et pourtant toujours aussi mystérieuse et intrigante, notamment en ce qui concerne son interprétation. Redécouverte à partir de 1814 à Boussac, elle est acquise par le musée de Cluny en 1882. En pleine période de revival médiéval, la tenture fascine, et inspire les artistes, à l’instar de Gustave Moreau, avec le tableau Les licornes. Comme le prouvent diverses créations contemporaines, l’œuvre est toujours source d’inspiration, comme pour les costumes du ballet de Jean Cocteau, en 1953-1959.

Pour résumer, Magiques licornes est une exposition très intéressante et agréable à visiter, permettant de mettre en avant les nouveaux espaces d’expositions temporaires du musée, et de redécouvrir la tenture star du musée de Cluny. C’est aussi une exposition que je conseillerais particulièrement aux familles. Plutôt rapide à visiter (compter 30 à 45 minutes), elle permet aux enfants de découvrir l’histoire de cette créature millénaire, aujourd’hui star des cours de récré.