
Le musée du Luxembourg, pour lancer sa saison 2018-2019, a décidé de braquer ses projecteurs sur celui qui était pour les Américains en 1904 « le plus grand artiste décorateur du monde », Alphonse Mucha.
Si le Grand Public connaît Mucha aujourd’hui, c’est principalement grâce à son travail d’affichiste. Son nom, associé généralement à celui de Sarah Bernhardt, sa muse et mécène, marque une époque, celle dite Fin-de-Siècle, l’apogée de l’Art Nouveau. Même si Mucha ne revendiquait en rien son appartenance au mouvement, ses œuvres en sont le manifeste. Femmes, nature et courbes, autant de caractéristiques de l’Art Nouveau qui inondent le travail de l’artiste slave. Cependant Mucha, ce n’est pas seulement des affiches de théâtre et des logos publicitaires, c’est aussi un homme dans tout ce qu’il y a de plus complexe et c’est cette approche que cherche à amener l’exposition du musée du Luxembourg.

A travers six salles portées par une scénographie toute en courbes et couleurs pastels, l’exposition amène le visiteur à (re)découvrir celui que nous croyions connaître. Le choix d’un parcours thématico-chronologique permet de suivre avec facilité l’évolution de Mucha en tant qu’homme et artiste.
Même si nous pouvons regretter l’absence d’une partie sur la jeunesse de l’artiste et sa formation, l’exposition démarre en mettant le visiteur dans les meilleures conditions. En effet, la première salle est consacrée à ce que le grand public a retenu de Mucha : ses affiches. Arrivé en vue de se former à Paris, alors ville de tous les possibles, Mucha est soutenu financièrement pendant les deux premières années par le comte Eduard Khuen-Belasi, un de ses compatriotes Austro-Hongrois. Cependant, tout à coup et pour une raison obscure, le comte coupe les vivres à l’artiste et celui-ci se retrouve à devoir travailler pour subvenir à ses besoins. Il réalise alors des illustrations pour divers ouvrages (Faust, Histoire d’Allemagne…) tout en habitant au-dessus d’une crèmerie, repère d’artistes en difficulté.

Les temps sont durs pour Mucha mais tout change en 1895 lorsque paraît, dans les rues de Paris, son affiche réalisée pour la nouvelle pièce de Sarah Bernhardt, Gismonda, au Théâtre de la Renaissance. Cette affiche qui participe à faire de ces modes d’expression de véritables objets d’art amène une collaboration de six ans avec l’actrice et ouvre ainsi les portes de la renommée à Mucha. C’est tout ce chemin depuis son arrivée à Paris jusqu’à la fin de sa collaboration avec Sarah Bernhardt qui est présenté dans la première salle. Nous assistons alors à la création du fameux « style Mucha » caractérisé par des formes sinueuses, des contours marqués et une gamme subtile de couleurs pastels.
Cette renommée par l’affiche va rapidement s’accompagner d’une volonté mercantile, volonté chapeautée par un imprimeur du nom de Champenois. Ce dernier signe avec Mucha un contrat d’exclusivité, assurant ainsi un revenu mensuel à l’artiste. Les œuvres de Mucha inondent alors le marché, ornant aussi bien des affiches publicitaires que des boîtes à biscuits. Le style Mucha s’immisce ainsi dans la vie quotidienne, son art devient à la portée de tous. La seconde salle de l’exposition permet aux spectateurs de bien saisir cette effervescence autour de l’artiste à travers la présence d’affiches publicitaires, de panneaux décoratifs et d’objets divers, tous datant de cette époque et ornés de dessins du peintre.

La troisième salle joue le rôle de transition entre les deux parties de l’exposition. En effet, elle présente un certain nombre d’œuvres qui se situent à un moment charnière dans l’œuvre de Mucha : le moment où l’artiste décide de recentrer son art autour de la cause qui lui est chère, sa terre natale. De façon amusante, ce moment se situe exactement à un autre tournant, celui-ci temporel : le changement de siècle. Même s’il réalise encore des objets destinés au luxe comme des bijoux qui sont ici exposés, Mucha s’engage pour la cause slave par l’intermédiaire du décor du pavillon de Bosnie-Herzégovine (région slave) à l’exposition universelle de 1900. C’est aussi à cette période que Mucha réalise de nombreux voyages aux Etats Unis (cinq entre 1904 et 1909) durant lesquels il va réaliser de nombreuses œuvres dont quelques-unes sont exposées ici. C’est à l’occasion de ces voyages qu’il va rencontrer un industriel qui va devenir son mécène, Charles Richard Crane.
Au fond de cette troisième salle, un petit corridor courbé marque un changement. Derrière cette courbe ce n’est plus Mucha l’artiste connu de tous aujourd’hui comme hier qui nous est montré mais sa face cachée, l’homme.
Cette nouvelle approche débute par un plongeon, un saut dans les profondeurs mystiques de Mucha. En 1894, Alphonse Mucha fait la connaissance d’un certain August Strindberg, auteur Suédois, ami de Gauguin et profondément passionné d’occultisme et de surnaturel. Petit à petit au contact de cet homme, l’artiste développe des pensées mystiques qui évoluent en croyances, notamment en faveur de « puissances invisibles ». Ces convictions vont profondément influencer le travail de Mucha comme le montre l’ensemble des œuvres présentées dans la salle. Dans un même temps, est mis en avant le rapport entre l’artiste slave et la franc-maçonnerie. Membre depuis 1898, cette appartenance va profondément influencer l’art et la vie de Mucha.
L’engagement du Mucha pour son peuple et sa volonté pacifiste vont se conjuguer à partir de 1910 pour la création de quelque chose d’unique. La cinquième salle de l’exposition se consacre ainsi à l’œuvre la plus importante de la carrière de l’artiste aussi bien d’un point de vue symbolique, que dimensionnel et personnel : l’Epopée Slave. Financé par Crane, le projet destiné à être offert à l’état tchèque est titanesque. Mucha avait pour objectif de réaliser vingt peintures monumentales (6 m par 9 m) retraçant l’histoire du peuple slave de ses origines à son apothéose. L’artiste profondément engagé va réussir à mener à bien ce projet et l’offrira à sa patrie. Aujourd’hui exposée à Prague, l’œuvre est quasiment intransportable. Le musée du Luxembourg a donc décidé, judicieusement, d’exposer numériquement les peintures par l’intermédiaire d’une projection à la fois d’ensemble mais aussi zoomée. Accompagnée par un certain nombre d’esquisses et autres travaux préparatoires, cette projection permet une bonne appréciation de l’ampleur de la création originale.

L’exposition se termine par une dernière approche de Mucha, le philosophe. Ce dernier était profondément convaincu que l’art pouvait être un moyen de rapprocher les peuples et de maintenir la paix. Il cherchera donc à la fin de sa vie à transmettre à travers ses œuvres ses idéaux philosophiques. Sentant la guerre approcher, l’artiste multiplie les expressions artistiques de ses préoccupations humanitaires. Le 15 mars 1939, les troupes allemandes font leur entrée dans Prague et Mucha fait partie des premières personnes arrêtées. Découragé et souffrant d’une pneumonie, il meurt deux mois plus tard à l’âge de 79 ans. C’est sur son dernier projet représentant l’Age de la Raison, l’Age de la Sagesse et l’Age de l’amour, véritable ode à l’humanité, que l’exposition s’achève.
Alors que penser de cette exposition ?
Le musée du Luxembourg signe ici une exposition destinée au plus grand nombre et cela se voit. Les explications sont concises, peu poussées mais ont le mérite d’être très claires. La thématique de l’exposition est assez générale mais permet cependant au grand public de redécouvrir Mucha sous tous ses aspects tout en se payant le luxe de présenter à chaque fois les œuvres marquantes. Par l’intermédiaire d’une scénographie simple mais en même temps agréable, l’exposition est un véritable plaisir à parcourir. Si vous êtes un amateur éclairé de Mucha, vous aurez le plaisir d’y admirer la grande majorité de ses chefs d’œuvre et si vous n’êtes qu’un simple curieux, vous avez ici une véritable porte d’entrée vers la carrière d’un des plus brillants artistes décorateurs que le monde ait porté.
Antoine Lavastre
Plus d’informations :
Exposition Alphonse Mucha au Musée du Luxembourg, du 12 septembre 2018 au 27 janvier 2019.
Tarif :
13 € ; TR 9 €,
Spécial Jeune 16-25 ans : 9 € pour 2 personnes du lundi au vendredi après 16h
Gratuit pour les moins de 16 ans et bénéficiaires des minima sociaux
Ouverture :
Tous les jours du lundi au dimanche de 10h30 à 19h
Nocturne jusqu’à 22h tous les vendredis et les lundis du 12 novembre au 17 décembre
Les 24 et 31 décembre ouverture de 10h30 à 18h
Fermeture le 25 décembre
c’est de l’art intéressant
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Passionnant !
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