TEMPLE OF LOVE – Gaëlle Choisne

Du 5 Septembre au 15 Décembre 2018, Gaëlle Choisne présente TEMPLE OF LOVE au centre d’art et de recherche Bétonsalon. Installation conçue in situ à l’invitation du commissaire Lucas Morin, l’œuvre est un espace destiné à explorer la place de l’amour, nouvelle religion laïque à l’ère du capitalisme tardif et comme force politique positive dans un contexte post-colonial.

Gaëlle Choisne

Née en 1985 en France, Gaëlle Choisne est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Travaillant la forme de l’installation avec une dimension formelle, organique et sculpturale très forte, elle aborde les enjeux politiques de la colonisation, en particulier d’Haïti, le langage queer et féministe. Elle utilise l’architecture, la photographie, la vidéo, le déchet, la sculpture pour créer des récits qui se croisent, révéler des territoires de discorde et faire émerger des archipels de réflexion. Elle est représentée par la galerie Untilthen, dans le 10ème arrondissement de Paris, où a eu lieu en 2018 sa dernière exposition personnelle, Hybris. TEMPLE OF LOVE est sa première exposition personnelle institutionnelle à Paris.

L’espace du temple

C’est par Seulement le début d’un péristyle que nous pénétrons dans l’œuvre architecturée de Gaëlle Choisne. Le passage sous ce pronaos composé de grillages et de colonnes de plâtre à la silhouette organique annonce un espace sous l’égide de deux déesses de l’amour, la babylonienne Ishtar et la haïtienne Erzulie. Se met aussi en place dès l’entrée le retournement du sens, la double signification que prend en permanence chaque élément de l’exposition. Si les colonnes rappellent en effet le péristyle des architectures antiques à la géométrie maîtrisée, leur aspect organique évoque lui plutôt l’espace naturel de la grotte, métaphoriquement lieu de la naissance. Le spectateur déambule ensuite dans un espace structuré par des couvertures suspendues – des colonnes -, et des panneaux de verre, où se trouvent ici et là des coussins imprimés au motif de cartes trouvées par hasard, des huîtres de plâtre et de cire, des céramiques noires, un moniteur vidéo encagé dans une grille pour huître, jusqu’au fond de la pièce où se trouve une table, l’autel. Pour le vernissage, celui-ci devient table de mixage, suivant la volonté de l’artiste que les éléments de l’exposition trouvent un usage, comme les coussins dans lesquels peuvent s’installer les spectateurs.

Objets d’offrandes

En s’approchant, le visiteur découvre divers objets symboliques animant la structure du lieu. Dans les couvertures, à la fois réconfortantes, protectrices, mais aussi funéraires, sont accrochées des cigarettes qui valent en tant qu’objet de séduction, de rébellion, où la référence freudienne est présente en même temps que l’idée de vanité et de mort. L’artiste qualifie la cigarette de motif « post-romantique » et souligne que c’est de plus un domaine de colonisation de la consommation et de monopole capitaliste. Elles sont aussi présentes dans des pauses-cigarettes, en tant qu’offrande à la déesse Erzulie qui aime fumer. Des bouteilles de parfum, pour la séduction, et des bouteilles d’alcool, substance de la transformation et du passage, lié à l’histoire coloniale, honorent également cette déesse multiple qui protège les prostituées, comme l’ambivalente et puissante Ishtar pour laquelle étaient réalisées des cérémonies de prostitution sacrée.

Cérémonies et soins

Le thème de la cérémonie se retrouve aussi à travers une vidéo tournée quelques années auparavant par l’artiste lors d’un voyage à Haïti. Sur un des murs, sont projetées les images d’une visite à un chaman accomplissant un rituel de chance et d’amour pour l’artiste. Les images, rendues fantomatiques par la faible luminosité de la projection, peuvent être contemplées depuis les coussins réalisés par l’artiste. Et alors que les motifs de l’œuvre On s’assoit sur le hasard sont déterminés par les trouvailles dans la rue de cartes à jouer, l’un d’eux arbore deux paons, emblème de Héra-Junon, déesse gréco-romaine de l’amour conjugal et du foyer. Comme le temple, le foyer est le lieu d’une communion et de rituels. C’est également un espace de soin de soi et des autres, qui acquiert une dimension militante dans les mouvements politiques post-coloniaux. Il est au coeur de l’entraide, de la solidarité et de la construction de communautés.

Séductions capitalistes

Mais oscillant entre le soin de soi et l’impératif de l’apparence, l’amour intègre également des conflits et des enjeux de domination. Dans les couvertures, sont aussi présents les indices d’une dérive capitaliste, disséminés au travers de faux ongles, ou d’un masque au charbon dont le visuel publicitaire n’est pas sans évoquer les black faces. Le titre de l’exposition, TEMPLE OF LOVE, en lettres capitales, nous invitait déjà sur la voie des excès de notre ère en introduisant une certaine distance et une ironie. Toujours dans une dynamique de double sens, il évoque bien sûr l’espace solennel de réunion, de réalisation, de communion des religions officielles mais aussi les grandes structures du bord d’une route du Nevada, méga church évangélique aux cérémonies démonstratives ou lieu de célébration des amours pressés, attirant à la manière de magasins leurs fidèles par le clinquant kitsch d’enseignes lumineuses.

Trouvailles du temps

L’exposition ne déploie pas un tel langage esthétique mais la récurrence d’huîtres est attirante et intrigante.  Elles sont à la fois présentes sous la forme de grandes coupes de plâtre et de cire dans lesquelles se trouvent des symboles des quatre éléments et sous la forme de plus petites huîtres en bronze blanc. Ornées de dessins gravés dont l’idée est survenue au moment de leur réalisation, elles illustrent l’attachement de l’artiste à une pratique du faire, permettant la sérendipité, cet art des trouvailles heureuses. Comme pour la vidéo de la mer à Naples, prise antérieurement au projet , le hasard et le temps finissent par donner une signification aux choses, une nouvelle lumière. Diffusée sur un moniteur vidéo encagé de grille pour huître, elle est à la fois métaphore de l’amour et illustration de la violence des éléments.

Huître (latin ostrea, du grec ostreon)

Comme les autres éléments de l’installation, les huîtres multiplient les évocations. Alors qu’elles sont liées à la dimension sexuelle des déesses par leur apparence suggérant le sexe féminin, leur étymologie latine a donné ostracisme. C’est donc à la fois cette rencontre, cette pluralité, cette conception de l’altérité qui se joue dans le désir tant que la mise à l’écart, le rejet. De plus, étant un organisme d’origine française, elles agissent comme motif « d’exotisme inversé ». Ces huîtres déjouent de potentielles attentes vis-à-vis de l’artiste et de ses origines haïtiennes, comme il fallait déjouer la première idée de l’amour comme sentiment romantique entre deux personnes, sujet éculé comme le souligne le commissaire. L’amour est affaire de liens à l’échelle de communautés et de sociétés, de rapports de force, d’attitudes et de dynamiques; des éléments suspendus à des chaînes nous rappellent que les équilibres sont fragiles.

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Rendez-vous au temple ! Gaëlle Choisne propose un espace de réflexion sur la place de l’amour et le contexte actuel dans lequel il prend place. Toutefois, l’exposition n’a pas valeur de réponse, ni définitive, ni exhaustive.  Par ses éléments variés dont la signification n’est jamais fermée, elle offre plutôt de nouveaux chemins à explorer au fil des errances. Elle est comme le premier chapitre d’une réflexion qui se poursuivra entre d’autres lieux et en association avec d’autres artistes, dans l’espace même de Bétonsalon. Tout au long de l’exposition, le temple deviendra le lieu d’activation d’une communauté avec des LUVS, évènements divers tels des performances, des rencontres, des colloques ou encore un atelier de cuisine animé par la mère de l’artiste qui viendront contredire et compléter le propos. 

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