
“ J’eus un rêve : le mur des siècles m’apparut.”
C’est par ce vers que s’ouvre en 1859 la Légende des Siècles, œuvre colossale de Victor Hugo. En entrant dans les appartements de ce poète qui fut, tour à tour, romancier, pair de France, député, proscrit…, on peut avoir la sensation de voir surgir les pans du XIXème siècle.
Par sa stature d’homme de lettres, chef de file du romantisme, mais également d’homme politique, Victor Hugo fut caricaturé dès son avènement sur la scène littéraire parisienne, concomitamment avec l’essor de la presse d’opinion, vers 1830.
Benjamin Roubaud inaugura les codes de déformation d’Hugo : front particulièrement large et cheveux tirés, signes de sa tourmente ; il fut souvent accompagné de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, référence à son roman éponyme, dont les deux tours évoque le “H” de Hugo. Les statuts politiques d’Hugo, pair de France puis député, s’enchevêtraient avec les statuts de la liberté de la presse, connaissant de nombreuses scansions (1830-1848-1881), et dessinèrent des périodes au cours desquelles la caricature du « Grand homme » fut tantôt permise, tantôt subversive.

Victor Hugo, modérément apprécié des journaux, puis détesté pour ses positions politiques ambiguës, conservateur puis Républicain en 1848, apparaît comme une constante dans les débats d’idées qui animent le XIXème siècle. Si son opportunisme fut moqué, notamment par Honoré Daumier au sein de la série des Représentants représentés dans la célèbre revue du Charivari, Hugo devint une figure de proue de la liberté de la presse suite à son exil, après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en 1852. Dès lors fleurit une myriade de journaux qui rendent hommage à un Victor Hugo moins déformé, voire représenté comme un véritable monument dans le Panthéon des grands hommes par André Gill.

20 juillet 1849 © Maisons de Victor Hugo/ Roger-Viollet. Photo de presse.

“Caricatures – Hugo à la une !” rend palpables les soubresauts de la politique au XIXème siècle que l’on entrevoit à travers la perception de Victor Hugo dans l’imaginaire collectif. Si l’écrivain fut sévèrement critiqué pour son soutien aux Communards par opposition aux Versaillais de Thiers en 1872, il retrouva toute sa superbe sous la IIIème République. En effet, il fut alors perçu comme un libre penseur républicain, à la plume prolixe et géniale : on le représentait comme un Dieu de l’Olympe avec sa lyre, mais également en triomphe face aux tenants du naturalisme incarné par Emile Zola. L’apothéose de Victor Hugo se réalisa en 1881, année de ses 80 ans, quand la grandeur de l’homme n’apparut plus comme un mythe, contrairement aux représentations des années 1840 dans lesquelles son ambition d’entrer à l’Académie était tournée en ridicule par des représentations du poète et dramaturge en Bouddha !
Cette exposition met en lumière la longévité d’Hugo sur la scène publique, la manière dont il alimenta la presse, notamment à travers L’Evènement fondé par ses deux fils en juillet 1848, mais aussi la façon dont celle-ci joua avec la figure d’Hugo. Elle donne à voir un aspect politique et engagé de l’écrivain qu’ont participé à forger les hussards de la IIIème République, en référence aux écrits d’Hugo sur la misère des enfants, comme dans le très célèbre poème Mélancholia. Si les cartels mettent en valeur les événements qui structurent le XIXème siècle français en parallèle avec la vie d’Hugo, on peut regretter que les œuvres littéraires ne soient pas davantage mises en lien avec ce parcours politique. La diversité des caricatures exposées est appréciable mais présente parfois de grands artistes, comme Nadar et son Panthéon, sans les mettre en valeur outre mesure.
La numérisation de nombreux fonds d’estampes, de dessins et d’articles du Musée Victor Hugo est célébrée par cette exposition qui les présente in situ. Elle met en lumière l’avènement de la presse au XIXème siècle au regard de la vie de V. Hugo. Produite à faibles coûts, bon marché, vendue à la criée, écrite et illustrée pour le plus grand nombre, la presse se démocratise et prend son essor à partir des années 1830. Une nouvelle génération d’artistes – composée entre autres d’Honoré Daumier et de Charles Philippon –, soutenue par des quotidiens et hebdomadaires satiriques (Le Charivari, La Caricature), jette les bases de la caricature moderne.
De l’italien caricare (« charger »), la caricature est un portrait peint ou dessiné, exagérant ou déformant certains traits jugés caractéristiques du sujet (physionomie, caractère, opinions politiques, activités) dans un but satirique. Cette exposition vise, en somme, à rendre publique une infime part du fond méconnu de caricatures du musée Victor Hugo, et témoigne de l’impressionnant travail de collecte de données effectué par les conservateurs.
Le parcours chrono-thématique catégorise ces caricatures en ensembles cohérents tant du point de vue stylistique (types de représentations) que didactique (critique émise par l’artiste). Portraits-charges et représentations élogieuses se côtoient donc en un rythme soutenu, uniquement interrompu de cartels succincts mais instructifs. De surcroît, on peut saluer l’effort de diversification des supports avec la présence de porcelaines, de figurines de cire et d’un portrait à l’huile de Victor Hugo qui couronne l’exposition en fin de parcours.
Seule la scénographie fait défaut à la qualité de cette exposition : les couleurs vives des pièces (bleu lavande, bordeaux, jaune) fatiguent la rétine, les fausses colonnettes et autres agencements muraux ne mettent pas en valeur le parcours scénographique… Faut-il incriminer ces faiblesses à un manque de budget ? On ne sait, mais on vous invite vivement à aller néanmoins, arpenter ces murs, ne ce serait-ce que pour se plonger dans l’univers fascinant du XIXème siècle parisien !
Axelle de Saint Pierre
Léopoldine Govin
Une autre exposition sur la caricature
Exposition Clemenceau vu par la caricature (1915-1919), du 11 septembre 2018 au 30 mars 2019, au musée Clemenceau à Paris.
Pour plus d’informations
Exposition Caricatures, Hugo à la une ! du 13 septembre 2018 au 6 janvier 2019.
Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, 75004 Paris
Tarifs
Tarif plein : 7€
Pour les jeunes de 18 à 26 ans : 5€
Gratuité pour les jeunes de moins de 18 ans, les demandeurs d’emploi et les titulaires des minima sociaux ainsi que les étudiants en histoire de l’art, archéologie, à l’INP, à l’Ecole Boulle, l’Ecole des Chartes…
Audioguides : 5€
Jours et horaires d’ouverture
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Fermé tous les lundis, ainsi que le 25 décembre et le 1er janvier.
Visites conférences de l’exposition
- 19, 26, 29 septembre à 16h
- 3, 6, 17, 20, 23, 24, 25, 26, 27, 30, 31 octobre à 16h
- 2, 3, 7, 10, 14, 17, 21, 24, 28 novembre à 16h
- 1, 5, 8, 12, 15, 19 décembre à 16h