
« Marchands de tout et faiseurs de rien » : ainsi Diderot décrivait-il les marchands merciers dans son article dédié à cette profession dans l’Encyclopédie. Le musée Cognac-Jay propose la première exposition consacrée à cette corporation, au cœur de l’élaboration de l’industrie du luxe parisien au XVIIIe siècle.
La corporation des marchands merciers est attestée à Paris depuis 1137 au moins. Elle a pour particularité de réunir les vendeurs de toutes sortes de marchandises déjà produites. Ce dernier point est essentiel : il leur est donc interdit de fabriquer un objet de leurs propres mains. Malgré tout, le marchand mercier ne se borne pas à un simple travail de revendeur d’artefact : au XVIIIe siècle, il se fait aussi bien négociant, importateur, collecteur, « designer » que décorateur, jouant donc un rôle primordial dans l’élaboration des goûts des élites aristocratiques et bourgeoises.
Le marchand mercier est aussi un intermédiaire essentiel dans la création parisienne.

Au XVIIIe siècle, l’excellence française est reconnue dans de nombreux domaines de production, que ce soit concernant le mobilier, la porcelaine, le textile, ou encore l’orfèvrerie. Les marchands merciers s’associent aux meilleurs artisans, afin d’offrir à leur riches clients des intérieurs somptueux. En témoigne une encoignure, présentée dans l’exposition, élaborée par Mathieu Criaerd, livrée par Hébert à Mme de Mailly en 1743, pour sa chambre bleue au château de Choisy. Comme le prouve ce meuble, orné de vernis Martin imitant la porcelaine et décoré de bronzes argentés, les marchands merciers sont souvent à la pointe des innovations de leur époque. C’est d’ailleurs ce même Hébert qui serait le premier à avoir inclus des panneaux de laque japonaise dans des meubles.
Un autre aspect du métier de marchand merciers est « l’enjolivement » de certains objets : contournant l’interdiction de fabriquer leurs propres créations, les merciers font appel à plusieurs corporations pour différentes parties d’un même objet, et peuvent ainsi répondre rapidement aux nouvelles modes lancées. L’une des salles met à l’honneur l’une de ces catégories d’objets résultant de la commande des marchands merciers : le « fleurissement ». Des fleurs en porcelaine, dites à la « façon de Saxe », ornent des objets tels que des candélabres ou des horloges. Les fleurs sont produites pour la plupart dans un atelier de Vincennes, puis sont montées sur des tiges de bronze par des bronziers. Enfin, le travail des merciers consiste à les assembler en bouquet. Il en est de même pour l’assemblage d’objets comme des vases en porcelaine chinois ou japonais et des bronzes, répondant au goût de l’époque pour l’exotisme.

La majeure partie de l’exposition se déroule dans les salles d’exposition temporaire, au premier étage, mais ce n’est pas tout : le visiteur est invité à poursuivre sa visite dans les autres salles du musée, où les objets liés à la production des marchands merciers sont indiqués par des cartels de couleur. C’est donc l’occasion de (re)découvrir le parcours permanent et ses riches collections, tout en permettant d’allonger un peu le temps de visite – l’exposition en elle-même ne comptant que quatre salles, elle est très rapide à parcourir -. Enfin, l’exposition se termine par une petite surprise sous les combles, avec une reproduction à l’échelle 1 et en relief de « L’Enseigne de Gersaint » de Watteau, permettant au visiteur de poser au milieu du célèbre tableau et d’explorer en trois dimensions cette version fantasmée de la boutique du fameux marchand mercier parisien.
En ce qui concerne la scénographie, le parti pris a été de recouvrir les murs de cimaises aux couleurs pastels, servant de support non seulement aux cartels et textes d’explication, mais aussi à une quantité de reproductions de gravures, tableaux, cartes géographiques, alimentant le propos de l’exposition. Cette très grande densité textuelle et illustrative peut conduire à une impression de trop-plein d’informations. Malgré tout, la visite demeure agréable, car chacun peut choisir sa façon de vivre l’exposition : en lisant rigoureusement chaque texte, ou en piochant çà et là des informations et anecdotes.
Pour résumer, La fabrique du luxe est une exposition très intéressante à visiter, regorgeant d’objets, que ce soient des meubles, des objets d’art, des livres de comptes ou encore des gravures. On en apprend plus sur cette corporation encore assez méconnue, et pourtant à l’origine de nombreuses innovations, notamment dans le rapport à la publicité et à la fidélisation de la clientèle.
Infos pratiques :
Du 29 Septembre au 27 Janvier 2019
TARIFS
Plein tarif : 8€
Tarif réduit : 6€
HORAIRES
Ouvert de 10h à 18h, du mardi au dimanche (fermeture des caisses à 17h30).
Fermeture tous les lundis, le 25 décembre et le 1er janvier.
Ouvert le 1er et le 11 novembre.
ACCÈS
Musée Cognacq-Jay
8 rue Elzevir
75 003 Paris