Rose Bertin, celle qui habilla la dernière Reine de France

Fin du XVIIIe siècle, la France a pour souverains Louis XVI et Marie-Antoinette. Dans cette période qui voit l’essor de personnalités aux idées novatrices, certaines exercent une influence monumentale sur la cour. C’est le cas de Rose Bertin, dont les origines douteuses et le nom sans histoire n’ont pas empêché l’ascension fulgurante au milieu des robes et des colifichets, jusque dans les appartements royaux. Retour sur la vie de celle qui se fit appeler à juste titre la « ministre des modes ».

De la provinciale à la Parisienne

Nous sommes le 2 juillet 1747. A Abbeville, dans le nord de la France, Marie-Marguerite Méquignon, garde-malade, met au monde une petite fille. Avec son mari, Nicolas Bertin, cavalier de la maréchaussée, il est décidé de lui donner le doux prénom de Marie-Jeanne. Marie-Jeanne Bertin naît donc dans une famille ordinaire de six enfants, ni pauvre, ni riche. En bref, rien ne la prédestine à une vie illustre à la cour de France. Pourtant, la fillette fait rapidement son bout de chemin. Grandissant dans une région dont la spécialité est la draperie et le textile, elle met très vite un pied dans le milieu. Cependant, la particularité de Marie-Jeanne est sa décision de se tourner, non pas vers la confection comme le font toutes les autres, mais vers le commerce. Débutant comme apprentie en 1755 au magasin d’Abbeville, elle développe au fil des années un talent incroyable ; la province finit par ne plus lui suffire. Marie-Jeanne a de l’ambition, et l’ambition s’aiguise à Paris. Forte d’un don certain et d’un perfectionnisme incorruptible, elle est employée dans des maisons de mode très réputées de la capitale, avant d’ouvrir son propre magasin, « Au Grand Mogol », le 24 octobre 1773, rue Saint Honoré. Marie-Jeanne la picarde n’est plus. Dorénavant, elle est Rose Bertin, marchande de modes parisienne.

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La boutique de Rose Bertin en 1807, rue de la Loi., par Claude-Louis Desrais.

La marchande de modes du XVIIIe siècle est ce que l’on pourrait appeler l’ancêtre du styliste actuel. Dans la hiérarchie du magasin, c’est elle qui est au-dessus. Elle invente, elle imagine, confectionne parfois, et fait ensuite réaliser ses projets à son équipe de couturières. Dans le cas de figure de Rose, elle est bien plus que ça : elle se fait aussi redoutable commerçante et tient très bien ses comptes.

Sa renommée est telle que « Le Grand Mogol » acquiert très vite une belle clientèle étrangère. Les aristocrates anglaises, lors de leur « Grand Tour », font un passage obligé chez Mademoiselle Bertin. De nombreuses personnalités royales n’hésitent pas à y commander leurs atours ; ainsi, nous pouvons trouver le nom de Sophie Madeleine de Suède, de la reine d’Espagne ou encore de l’Infante du Portugal parmi ses clientes les plus illustres.

Ministre des modes de sa Majesté

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Marie-Antoinette en robe de cour, 1773, François-Hubert Drouais

Mais si la célébrité de Rose Bertin est parvenue jusqu’à nos oreilles modernes, c’est surtout grâce à sa meilleure acheteuse, Marie-Antoinette. Peu de gens savent qu’avant la rencontre entre les deux femmes, la reine en devenir avait une toilette qui laissait à désirer. Sa mère, Marie-Thérèse d’Autriche, n’hésitait d’ailleurs pas à le lui faire savoir au travers de lettres au ton strict ; pour être acceptée à la cour de France, elle doit s’habiller comme une fille de France.

Le 11 mai 1774, un jour après la mort de Louis XV, la marchande de modes entre en jeu. Introduite par la Duchesse de Chartres, elle séduit immédiatement la nouvelle souveraine par ses créations. La célèbre passion pour la mode de Marie-Antoinette viendrait-elle donc directement de Rose ? C’est plus que vraisemblable. Si l’histoire dit que la reine lançait les modes à la cour, c’est en fait plutôt Mademoiselle Bertin qui en était l’instigatrice. En effet, celle-ci propose les nouveautés, la reine les adopte, et dès lors la cour aussi. Même à Paris, dans le milieu populaire, on n’hésite pas à arborer des vêtements qui se rapprochent le plus de ce que Rose peut faire ! Et que fait-elle exactement ? Elle participe à l’avènement de l’âge d’or de la perruque et du chapeau de concert avec Léonard, coiffeur de la reine ; les dames arborent des poufs aux sentiments, des coiffures à la belle poule, des chapeaux « à la mongolfier ». Elle participe au déclin des dessous contraignants, suivant le relâchement de l’étiquette à la cour, tout en continuant à proposer des Grands Habits somptueux aux plus prestigieuses cours d’Europe. En bref, elle dicte la tendance.

 

Marie-Antoinette et Rose Bertin entretiennent sans doute une relation qui va au delà du simple échange commercial ; la marchande de modes est personnellement invitée dans les petits salons intimes de la reine, parfois pendant des heures, ce qui ne manque pas d’irriter les aristocrates de la cour qui cherchent désespérément à se faire une place dans le cercle de cette dernière. Une bourgeoise aux origines médiocres qui prend leur place ! On aura tout vu. De son côté, Rose n’hésite pas à exhiber son rôle de favorite de la couronne, faisant notamment graver « Marchandes de modes de la Reine » sur le frontispice du Grand Mogol. Comble de son succès, elle se fait appeler « Ministre des modes » à la cour ; adieu la concurrence, le monopole de la garde-robe de la souveraine est assuré pour quinze ans.

La révolution et le déclin de Rose Bertin

Malheureusement, en 1789, le peuple finit par se soulever contre son roi ; le pays entame une véritable chasse aux sorcières contre quiconque aurait eu des relations avec la famille royale. Dès lors, on associe le nom de Rose Bertin à la reine et à sa décadence ; elle serait à l’origine des dépenses folles de l’Autrichienne, elles auraient entretenu des passions infamantes… Rose se retrouve obligée de faire disparaître tous documents la liant à la monarchie. Pourtant, on peut croire qu’elle habilla la reine jusqu’en 1793.

Après cette date funeste, elle s’exile à Londres, empêchant intelligemment les révolutionnaires de saisir son patrimoine en prétextant être à l’étranger pour commerce, et non pas pour fuir. Malheureusement pour elle, quand elle revient au pays en 1794, tout a changé. Même les modes. Personne ne veut plus de robes à la française ou à l’anglaise ; la merveilleuse du Directoire succède à l’aristocrate de l’Ancien Régime. Malgré ses tentatives de reprendre son commerce, elle finit par se rendre à l’évidence:  le règne de Rose Bertin est terminé. Elle décide de passer le reste de sa vie dans sa maison d’Epinay-sur-Seine (encore visible aujourd’hui), où elle s’éteint le 21 septembre 1813.

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Maison de Rose Bertin aujourd’hui, à Epinay-sur-Seine. ©Voltarene, Wikipédia

Avec son énorme influence dans la mode à la cour de Louis XVI, avec son talent inégalé pour la confection et l’innovation, avec une véritable entreprise dirigée d’une main de fer, Rose Bertin a non seulement marqué l’histoire, mais peut aussi être considérée, aux côtés de Charles Frederick Worth, comme une pionnière de la Haute Couture.


Bibliographie

Michelle Sapori, « Rose Bertin, Couturière de Marie-Antoinette« , aux éditions Perrin.

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