
Depuis le 19 octobre, derrière sa façade classique, la Monnaie de Paris accueille la première rétrospective française de l’un des artistes les plus extravagants de notre temps : Grayson Perry.
Céramiques colorées, tapisseries monumentales et sculptures en métal, plongez dans l’univers kitsch du plus crazy des lords anglais : critique grinçante assurée …
Art et identité
Né à Chelmsford, dans le comté d’Essex en 1960, Grayson Perry étudie l’art à l’Université de Portsmouth où il se spécialise dans la céramique. Il propose des céramiques à l’esthétique contemporaine, aux couleurs criardes, gravées de dessins et de textes manuscrits, agrémentées de transferts photographiques et d’émaux. Le choix de ce matériau dans les années 1980 est tout à fait audacieux car la céramique manque de considération dans l’art contemporain de l’époque ; d’autant plus que l’artiste ne fait pas dans la dentelle quant aux thèmes abordés : abus sexuels, sadomasochisme et même la mort.
Dès ses premières productions, les œuvres de Perry sont autobiographiques et le resteront par la suite.
Derrière des apparences kitsch et naïves, l’artiste nous laisse pénétrer dans son enfance où, déjà, il interrogeait la masculinité que la société lui imposait et rêvait d’en créer une « nouvelle », plus douce et à l’écoute. Il évoque aussi la brutalité de son beau-père. Enfin, de façon plus générale, il réfléchit sur « l’être », le paraître, les classes sociales, la société anglaise, la sexualité, le genre, et toujours avec une ironie cinglante.
« J’ai compris qu’être un travesti ne signifiait pas faire semblant d’être une femme. Il s’agissait de porter les vêtements faisant naître en moi les sentiments que je voulais éprouver. »
Au fil de sa carrière est née Claire, son alter-égo féminin à l’allure extravagante et au maquillage clownesque. La création de ce personnage est le fruit de son questionnement entre masculin et féminin, la recherche d’une alternative au modèle homme/femme et hétérosexuel. Claire est devenue le personnage dans lequel Grayson se présente, s’incarne lors d’événements publics.
Grayson Perry pose aussi un regard critique et plein d’humour sur la société anglaise et ses excès dans ses œuvres, comme dans la série de tapisseries monumentales dite The Vanity of Small Differences ; mais aussi dans un documentaire produit par la chaine télévisée anglaise Channel 4 All In The Best Possible Taste qui lui vaudra le BAFTA du meilleur documentaire. Suivent les séries Who are you ? en 2014, et All man en 2016 qui traitent respectivement de l’identité et de la masculinité.
Vanité, Identité, Sexualité
Tel est le nom de l’ambitieuse exposition de Grayson Perry donnée à la Monnaie de Paris jusqu’au 3 février 2019.
On peut, par ailleurs, retrouver les œuvres de Perry dans les collections de grands musées (Tate Modern et Victoria & Albert à Londres, Museum of Modern Art de New York) et dans des expositions régulières (British Museum en 2011, Bonnefantenmuseum à Maastricht, aux Pays Bas et ARoS à Aarhus au Danemark). Mais c’est à la Monnaie de Paris qu’il donne sa première rétrospective en France.
En changeant de nom en septembre 2017 pour devenir 11 Conti – Monnaie de Paris, la vieille institution parisienne propose donc, une nouvelle offre culturelle, mêlant découverte patrimoniale (visite des ateliers, « trésors » régulièrement sortis des réserves) et expositions temporaires modernes et contemporaines.
L’exposition Vanité, Identité, Sexualité s’inscrit dans une politique paritaire et de réflexion sur le genre menée par les équipes du site lancé par l’exposition Women House (la maison vue par des artistes femmes ; on y trouvait des productions de Louise Bourgeois ou Niki de Saint Phalle) en 2017.
Vanité, Identité, Sexualité, qui rassemble 55 œuvres, est divisée en dix « parties et se lit comme un livre, chapitre après chapitre, pour proposer une vision globale de l’oeuvre et des engagements de l’artiste. Nous explorons d’abord les parties « Identité », et « (nouvelle) Masculinité » où, tel un sociologue, Perry développe la question de la déconstruction de la binarité du genre et de la socialisation des hommes (façonnés pour être des « hommes guerriers »).
Confort Blanket, Grayson Perry (2014) Photo : Paragon Press
Dans « Hospitalité », l’artiste présente deux tapisseries dont seulement trois années séparent la production, mais qui dépeignent deux Royaume-Unis très différents : Confort Blanket montre le visage accueillant de l’Angleterre « pré-Brexit » alors que Battle of Britain illustre une facette plus sombre d’un pays divisé par un référendum.
« Quand j’ai eu l’idée de construire une maison, j’ai voulu qu’elle soit comme un édifice religieux : un des bons côtés des religions, c’est leurs longues histoires; j’aime la spiritualité quand elle a trait à une histoire clairement définie »
Enfin le chapitre « Divinité » fait référence à la collaboration de l’artiste avec l’agence d’architecture FAT pour la construction de sa maison « A Housse for Essex » achevée en 2015. Il y évoque la dimension spirituelle de l’habitat, vu comme un temple dédié à toutes les femmes, « un Taj Mahal moderne, un sanctuaire dédié à Julie et à toutes les femmes ordinaires ». Julie Cope étant un personnage imaginaire créé par l’artiste, auquel la maison rend hommage. C’est une femme ordinaire, à la vie globalement heureuse (deux mariages, un divorce, des enfants) qui disparut dans un accident de la route. Cette maison au toit de céramique, à mi-chemin entre la cabane scandinave et le temple thaïlandais est disponible à la location plusieurs jours dans l’année !
A House for Essex, Grayson Perry et TAF, 2015
Grayson Perry offre à la Monnaie de Paris une rétrospective ambitieuse qui retrace sa carrière prolifique plongeant le spectateur dans un univers naïf et aux couleurs acidulées. Avec une critique de la société et de son esthétisme toujours aiguisée. Perry est, manifestement, un artiste total dont l’identité fait œuvre. Polyvalent dans les médiums et les savoirs. Il se pose aussi en véritable théoricien féministe d’une nouvelle définition de l’homme pour une société plus égalitaire.
Une exposition you must see !
Article écrit par Emma Bourras
Vanité, Identité, Sexualité de Grayson Perry à 11 Conti – Monnaie de Paris du 19 octobre 2018 au 3 février 2019.