Spécial Halloween : Costumes et couleurs dans le Dracula de Francis Ford Coppola

Bram Stoker’s Dracula, sobrement traduit Dracula en français, est un film du réalisateur italo-américain Francis Ford Coppola sorti en 1992. Auparavant destiné à devenir un téléfilm, Coppola décide finalement de le porter à l’écran. Parmi le casting prestigieux on y retrouve notamment Gary Oldman, Winona Ryder, Anthony Hopkins ou encore Keanu Reeves.

Difficile d’être spoilé sur l’histoire de Dracula. Malgré tout si vous êtes totalement ignorant du récit et que vous désirez conserver le mystère jusqu’au bout, cet article contient de nombreuses informations sur le contenu du film de Coppola et du livre de Stoker.


L’histoire de Dracula, vous la connaissez tous : Le comte Vlad Dracul reçoit son jeune notaire anglais dans son château de Transylvanie, pour finaliser l’achat de maisons à Londres. Le comte à l’allure étrange se révèle être un vampire aux pouvoirs démesurés, inconsolable depuis le suicide de sa femme. Et l’invitation faite au notaire n’est qu’un piège pour lui prendre sa fiancée, le troublant double de la morte tant aimée par le comte Dracula.
Le film est à la fois un succès public et critique, recevant plusieurs Oscars et rompant avec la tradition d’un vampire statique à la manière d’un Bela Lugosi dans le Dracula de 1931 ou de Nosferatu de Murnau. Le film de Coppola fait le choix du flamboyant, du baroque, de personnages bigarrés et de couleurs acides ainsi que de multiples références visuelles. Ce résultat est notamment dû au travail impressionnant d’Eiko Ishioka, récemment décédée, costumière à laquelle Coppola à fait appel en personne et qui reçoit un Oscar pour son travail.

Comme le titre anglophone le dit clairement, le film se veut être une adaptation fidèle du roman épistolaire de l’Anglais Bram Stoker publié en 1897. Écrit à la toute fin de l’ère victorienne, ce livre connaît un immense succès notamment pour son renouvellement du genre du roman gothique avec l’ajout d’éléments modernes. La correspondance épistolaire entre les personnages, l’intérêt pour les machines à écrire de Mina, sont par ailleurs reconstitués dans le film. Mais Coppola en livre une adaptation visuelle très personnelle, en faisant notamment le choix d’une rédemption finale pour le vampire. Une absolution divine qui n’apparaît pas dans le roman de Stoker et se rapproche plutôt d’un thématique propre à Coppola (par exemple nous penserons au Parrain I et III où les antihéros sont à la recherche d’une rédemption impossible). Il ajoute également une histoire d’amour entre le vampire et Mina.

Ce ne seront pour autant que de rares digressions de Coppola vis-à-vis du livre de Stoker, le reste étant des propositions visuelles propres au réalisateur, qui, à contre courant de ses propres œuvres, veut proposer ici une œuvre baroque, irrégulière, très personnelle dans un XIXe siècle imaginaire.

Réinventer Dracula

Le film de Coppola n’est pas la première adaptation du Dracula de Stoker, loin de là. Auparavant plusieurs cinéastes se sont essayés au mythe du vampire. Parmi les premiers, il faut citer le célèbre Nosferatu de l’Allemand Friedrich Murnau, sorti en 1922 où le vampire est ici parfaitement reconnaissable avec ses longues mains crochues, son teint cadavérique et son vêtement noir. Environ dix ans plus tard, chez les Américains d’Universal Studios cette fois, l’acteur Bela Lugosi dans son dernier rôle, incarne Dracula dans un film éponyme de 1931. L’acteur est moins grimé que dans le Nosferatu le vampire de Murnau, mais conserve un teint blanc avec l’ajout d’un élément du costume qui fera la signature de Dracula pendant longtemps, et qui est encore un élément pour identifier le vampire (BD, dessin animé…) c’est-à-dire, la cape.

Même dans le films plus récents comme le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher en 1958 – dont l’esthétique érotique se rapproche de celui de Coppola – le vampire incarné par Christopher Lee conserve son apparence mortifère et cette fameuse cape, l’horreur en plus. Cela continue avec d’autres films dont la nouvelle mouture de Nosferatu en 1979, interprété par Klaus Kinski et avec Isabelle Adjani.


Or, Francis Ford Coppola et la costumière Eiko Ishioka veulent abandonner cette tradition. Cette dernière le dit par ailleurs clairement dans une interview accordée au festival de Cannes en 1996 :

« Les costumes, trop souvent, se contentent d’être un accessoire vestimentaire, alors qu’ils pourraient être commentaire, ou philosophie. Par exemple, mon Dracula ne suit pas l’image conventionnelle du grand manteau noir. Je voulais d’emblée éliminer ce genre de cliché […] je voulais créer mon propre Dracula »

Propos traduits de l’anglais et recueillis en mai 1996 à Cannes.

TOBIN Yann, « Je voulais créer mon propre Dracula! », In : Positif, n° 425/426, juillet-août 1996, dossier : le costume à l’écran, pp. 66-71

Alors, qui est donc le Dracula voulu par Coppola et Ishioka ? Une de ses premières caractéristiques est son identité multiple. Multiple de part ses nombreux avatars : loup, chauve-souris, papillon de nuit ou même brouillard, dont certains sont reproduits à l’écran avec plus ou moins de succès. Le loup-garou ayant en effet particulièrement mal vieilli (rappelons que le film date de 1992 et a donc tout de même 26 ans !).

De plus, même sous les traits de l’acteur anglais Gary Oldman, Dracula semble en constante évolution puisque différents temps de sa vie sont montrés à l’écran.

On le voit en chef militaire, combattant violemment les Turcs et tournant bientôt le dos à la religion, en vieillard orientalisant puis dans sa jeunesse retrouvée sous l’apparence d’un dandy anglais. Le Dracula de Coppola entretient donc une perpétuelle ambiguïté qui ne le rend que plus effrayant car insaisissable. Ce constat avait par ailleurs déjà été formulé par Eiko Ishioka dans la même interview :

« Après maintes discussions avec Francis, je suis arrivée à formuler mon concept : Dracula n’est ni animal ni être humain, ni homme ni femme, ni jeune ni vieux, ni oriental ni occidental : il est entre deux, dans une zone frontière mystérieuse, qui lui est propre »

Ce mystère est entretenu dans les autres costumes, avec une omniprésence du rouge renvoyant au sang et des symboles liés à la Mort.

Le rouge et la mort

Si de nombreuses couleurs vives ressortent du film, la prédominance est accordée au rouge. Bien évidemment associé au sang, donc au vampire, le rouge est ainsi la teinte du premier costume porté par Dracula.

Dans ce premier vêtement, le rouge tranche vivement avec son teint cadavérique, presque momifié. Sans même qu’il ait commencé à agir, on se rend compte qu’il a quelque chose de surnaturel, de profondément lié au sang avec lui.

C’est aussi la couleur d’un des costumes les plus emblématiques du film, soit la robe de Mina lors de son rendez-vous avec Dracula. Comme dans le livre de Stoker où l’amour et la mort – la traditionnelle association Eros/Thanatos – sont intimement liés, le film de Coppola ne cesse de faire des allers et retours entre couleur rouge et symbolisme de la mort. Ainsi la robe de Mina, de par son décolleté qui découvre opportunément son cou, pourrait annoncer sa prochaine morsure par le vampire.

Le rouge apparaît également dans la réalisation et la photographie du film. Le théâtre d’ombres utilisé au début du film pour narrer les exploits militaires, et la cruauté, de Vlad Dracula est ainsi disposé sur un écran rouge, où les silhouettes des morts et des guerriers se découpent sur le rouge du sang qui a été versé. Ce traitement des couleurs annonce également la prochaine transformation du comte en monstre sanguinaire.

Combat de Dracula

Combat de Dracula en théâtre d'ombres

Dans cet épisode se trouve un autre des costumes emblématiques du film, soit l’armure rouge portée par Vlad Dracul pour ces mêmes combats. Cette armure totalement fantaisiste est toujours l’œuvre d’Eiko Ishioka. Plusieurs explications quant à son design sont possible. La première, la plus évidente, est celle d’un corps humain dont les muscles ont été mis à vif, à la manière des écorchés en médecine. Le heaume serait soit une tête de démon soit celle d’un animal. On pourrait y voir un des symboles les plus récurrents des films de vampires transylvaniens, le loup, qui est par ailleurs un des avatars de Dracula. Cette tête de loup rappellerait également une divinité égyptienne liée à la mort, Anubis, conduisant les défunts dans l’au-delà. Le lien avec la mort est d’autant plus grand que c’est dans cette même armure, devant le corps inanimé de sa chère femme que Dracula, désespéré, choisit de renoncer à Dieu pour la mort.

Une atmosphère fin-de-siècle ?

Avec toutes ces symboliques, comment les costumes pourraient-ils retranscrire une fin de XIXe siècle ?
Ishioka dément par ailleurs catégoriquement s’être inspirée de la fin du XIXe siècle pour ses costumes. Elle émet également plusieurs critiques quant au fait de travailler fidèlement d’après des sources historiques :

« Dans un film, les costumes ne sont pas de simples vêtements. […] des créateurs très talentueux passent leur temps dans les bibliothèques à se documenter […] et les recopient d’après-modèles. C’est de la bonne imitation, cela n’a rien à voir avec une conception visuelle de départ, mais pas encore de l’art ! Ce n’est pas suffisant! « 

Ainsi pour le Dracula de Coppola, elle ne se serait pas inspirée de costumes existants.

« Non, je n’ai aucune curiosité historique quand j’aborde un film d’époque. Pour Dracula, c’est le point de vue complètement original de Francis Coppola qui m’a guidée. Il est vrai que je me suis beaucoup documentée sur les costumes roumains et transylvaniens de l’époque. Mais, après cette phase de recherche, j’ai tout mis de côté pour développer ma propre imagination »

Pour autant, malgré les dires d’Ishioka, plusieurs influences historiques peuvent être relevées.

Ainsi un des costumes de ville de Mina, en vert, respecte parfaitement la mode des années 1890 de sa robe à son chapeau. Ce n’est pas le cas de Dracula, sous sa forme de dandy anglais, bien que les lunettes de soleil qu’il porte existaient à cette période.

Mais l’influence historique la plus importante dans le travail d’Ishioka et celle de la peinture symboliste ou fin-de-siècle. Un art qui apparaît à la fin du XIXe siècle, et où les thèmes fantastiques sont très utilisés. Il semble que cela ait été expressément demandé par Francis Ford Coppola:

« Il m’a dit qu’il voulait retrouver l’esprit de la peinture symboliste, m’a montré des tableaux de Klimt et m’a parlé d’obscurité, de la beauté, de la décadence […] il m’a dit de me laisser aller à créer des costumes qu’on avait jamais vus auparavant »

Eiko Ishioka

On peut ainsi faire le rapprochement entre un costume orientalisant de Dracula, qui rappellerait selon Ishioka sa jeunesse istanbuliote, et les toiles de Klimt du début du XXe siècle mais aussi des mosaïques byzantines. Gustav Klimt étant proche des mouvements fin-de-siècle.

Au-delà des seules références visuelles, la thématique du vampire est également traitée par les artistes symbolistes de la fin du XIXe siècle. Chez Edvard Munch, le célèbre auteur du Cri, le vampire est par exemple souvent rapproché de la figure de la femme fatale, celle qui va conduire à la perte de l’homme.

Edvard Munch
Edvard Munch, Vampire, 1893-1895

Enfin, Ishioka ne se limite aux modèles du XIXe siècle mais réutilise et modifie certaines formes de vêtements emblématiques de l’histoire du costume en Angleterre. Les volumineux cols en dentelle élisabéthains sont réemployés dans le costume de vampire de Lucy. Peut-être pour entretenir et souligner l’atmosphère gothique voulue par le film ?

Conclusion

Au début des années 1990, le Bram Stoker’s Dracula de Coppola marque ainsi un renouveau dans la vision du vampire, encore très présent dans la littérature et le cinéma d’aujourd’hui. Avec Eiko Ishioka, ils proposent un film à l’atmosphère foisonnante, décadente, parfois excentrique et où, comme dirait l’artiste :

« Le costume devenait décor et occupait une place centrale dans la conception visuelle globale […] les ombres, la fumée, les contrastes devaient participer à la création d’un environnement inexploré »

Un grand merci à Marie Olivier en master recherche histoire de la mode à l’Ecole du Louvre pour sa relecture.


Bibliographie & Webographie

BAZIN Claire, CHAUVIN Serge, Dracula. L’oeuvre de B. Stoker et le film de F.F Coppola, Nantes : Editions du temps, 2005

TOBIN Yann, « Je voulais créer mon propre Dracula! », In : Positif, n° 425/426, juillet-août 1996, dossier : le costume à l’écran, pp. 66-71

SUMMERLAD Joe, « Eiko Ishioka: Celebrating the designer’s extraordinary costumes from Bram Stoker’s Dracula », In : Independent UK, le 12 juillet 2017 et consulté le 9 octobre 2018 > https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/films/news/eiko-ishioka-japanese-costume-designer-google-doodle-bram-stokers-dracula-gary-oldman-winona-ryder-a7836536.html

1 commentaire

  1. Très belle présentation de Dracula et ,de ses costumes le mérite revient aussi à Eiko Ishioka, même les inconnus ont repris ces costumes qui semblent refléter ce que l’imagination a rendu probable dans leur clip  » Rape -Tout » chapeau l’artiste .

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