Les religions zoroastrienne/mazdéenne à l’époque achéménide : notions (1/2)

La principale religion des Perses achéménides (539-330 av. J.-C.) est reconnue par les historiens et chercheurs comme étant le zoroastrisme et/ou le mazdéisme. Le dieu principal du panthéon, Ahuramazdā se retrouve sur de très nombreuses représentations figuratives mais surtout dans les inscriptions royales en vieux-perse, depuis les premiers rois Ariaramnès (AmH, vers 640 av. J.-C.) et Arsamès (AsH, vers 580 av. J.-C.). Depuis Darius Ier (522-486), les rois se placent sous sa protection directe et le déclarent même « premier des bagas [dieux] ». Ce culte serait alors prédominant à la fois au sein de l’élite achéménide et de la population elle même. Dans cette première partie, issue du mémoire de l’auteur, le lecteur pourra appréhender ces religions si similaires qu’elles sont souvent confondues, avant d’étudier, dans une deuxième partie, l’importance du Feu sacré.

L’Avesta, texte sacré et fondateur des Iraniens, devient la référence cultuelle à l’époque achéménide. Actuellement menée par J. Kellens, son étude permet d’appréhender tout le manichéisme du zoroastrisme ainsi que la cosmogonie, le rôle d’Ahuramazdā et les différents principes qui s’y rapportent. Pour le lecteur non averti, le zoroastrisme se différencie du mazdéisme par la réforme de ce dernier par Zarathoustra/Zoroastre, peu de temps avant l’empire achéménide.

Le prophète Zarathoustra et la réforme zoroastrienne

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Ahuramazda, sur le relief de Bisotun ©Marine Baron

Il est désormais attesté que le zoroastrisme s’est largement diffusé et développé en Iran achéménide, au vu des nombreuses représentations d’Ahuramazdā, le plus souvent sous sa forme symbolique. La faveur royale accordée à ce culte a grandement contribué à l’intérêt porté par les archéologues et les historiens, malheureusement à l’encontre de l’étude du mazdéisme antérieur. Ses origines sont d’ailleurs peu ou mal connues puisqu’il aurait été réformé entre temps par Zarathoustra. Son livre sacré, l’Avesta, peut se rapprocher de la Véda indienne, livre sacré du védisme. C’est d’ailleurs ce dernier qui est le plus à-même de fournir des informations sur cette ancienne religion réformée.

Le nom de Zarathoustra est mentionné pour la première fois au milieu du Ve siècle avant notre ère par Xanthos de Lydie, sous la forme hellénisée Zoroastre. Son nom signifie en avestique « celui qui a de vieux chameaux »  (zarəta « faible » et uštra « chameaux »). Sa naissance et donc la période chronologique dans laquelle il s’inscrit est un véritable sujet de discorde pour les historiens. Selon le Shâh Nâmeh de Ferdowsi et la tradition orale, il aurait vécu entre 1000 et 400 av. J.-C., rejoignant la datation plus précise de M.-A. Kuhn qui estime qu’il serait né entre le VIIIe et le VIe siècle avant J.-C. au Séistan actuel, province du sud de l’Iran. Des études plus récentes, comme celle de H. Katouzian, repoussent la datation encore plus loin dans le temps, entre les XVe et XIe siècles avant J.-C. tandis que J. Kellens propose de « placer Zarathoustra autour de l’an mil avant notre ère ». Bien éloigné de ces hypothèses, l’avis des Grecs anciens font de Zarathoustra le premier des Mages et donc originaire de 6000 environ avant J.-C.

La vie du prophète est racontée dans les Gāthā, les anciens livres de l’Avesta qui vont plus particulièrement porter ou refléter sa pensée. Ces textes ont d’abord été transmis oralement avant d’avoir été posés par écrit à partir du VIe siècle av. J.-C., date à laquelle ont été datés les plus anciens hymnes attribués à Zarathoustra. Sous forme poétique, ces Gāthā ont été interprétés comme des prophéties et des admonitions ponctuées d’allusions personnelles du prophète quant à sa vie et la diffusion de sa réforme. Il s’agit en effet plus probablement d’hymnes pour les dieux. A partir de ces sources, il est aisé d’affirmer que le prophète aurait vécu au nord-est de l’Iran, en Bactriane, appuyé par le surnom que lui donne les Grecs, le Bactrien. Il est important de reconnaître deux personnages différents, ou plutôt deux différentes visions du personnage dans l’Avesta : le Zoroastre tel que décrit dans les Yashts et le Zoroastre des Gāthā. Dans le second, il est décrit se battant contre les daivas (démons) alors que dans les Yashts, il a été tenté par Ahriman (méchant suprême, représentant du Mal) qui lui demanda de renoncer à sa foi (Yasht, 17,19).

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Ville zoroastrienne de Yazd et ses tours du vent, Iran ©Marine Baron

Les sources textuelles et orales racontent que Zarathoustra était passionné par le dieu Ahuramazdā qu’il voulait ériger au rang de dieu unique. Cette théorie, qui n’était pas reconnue dans son entourage mazdéen, l’obligea à quitter la Bactriane et à partir en exil vers l’est où il arriva dans des régions tenues par des Mèdes où le dieu Mithra régnait en maître sur les autres divinités indo-iraniennes. Accueilli favorablement par le roi Vistaspe, il put mettre en place sa réforme, épurer les anciennes croyances et codifier les nouveaux dogmes. Apparaît alors un dualisme exacerbé, à la fois cosmique et éthique dans le mazdéisme traditionnel puisque Zarathoustra estimait que tous les humains doivent lutter contre le mal et faire triompher le bien pour la gloire du dieu désormais unique, Ahuramazdā. Du point de vue de la liturgie, il interdit le sacrifice d’animaux et la consommation du haoma, liquide sacré utilisé par les prêtres dans les sacrifices et libations aux dieux.

L’interprétation des Achéménides comme uniquement adeptes du zoroastrisme a été remise en question par certains historiens. Selon J. Duchesne-Guillemin, « les souverains achéménides se déclarent, à partir de Darius [Ier], adorateurs d’Ahuramazdā mais ne font nullement mention du prophète [Zoroastre]. On peut donc soutenir – mais c’est controversé – que leur mazdéisme ne devait rien à la réforme zoroastrienne ». Néanmoins, il faut considérer que seul Ahuramazdā figure sur les reliefs, sur la glyptique et même dans les inscriptions royales (jusqu’à Artaxerxès II). Sauf nouvelle preuve, il semblerait que cette question ne puisse être résolue autrement que par des hypothèses.

L’Avesta

L’Avesta était tantôt considérée comme la transcription des paroles que Zarathoustra recevait d’Ahuramazdā, tantôt comme l’œuvre même du prophète. Au milieu du XVIIIe siècle, le français A. H. Anquetil-Duperron fut le premier à ramener d’Inde des fragments de ce livre. De même que la datation de la vie de Zarathoustra, la datation précise de l’Avesta dépend des théories des historiens. Leur seul point commun est qu’elles acceptent un grand écart de dates entre les différentes parties de l’Avesta. Le livre est en effet une collection de multiples parties, probablement recueillies entre le Ier et le Ve siècles après J.-C.

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Page de l’Avesta, Avestan Digital Archive (ADA)

Ce corpus constitue un canon organisé en deux parties. La première est composée de trois livres principaux contenant chacun sept chapitres. Cette partie est intitulée abestāg, dérivant du terme plus ancien upastāvaka (« éloge ») dont est dérivé le nom actuel Avesta. Elle est le récitatif d’un long sacrifice qui associait dans sa version maximale les livres Yasna (« Sacrifice »), Visprad (« Enumération de toutes les normes ») et Vidēvdād (« Injonction de séparer les démons »). La seconde partie rassemble les hymnes sacrificiels consacrés aux divinités autres qu’Ahuramazdā (Yashts) et les assortit de quelques liturgies privées (Xorda Avesta). Il est probable que ces anthologies utilitaires aient été constituées avant le développement du canon sassanide répandu lors de l’officialisation du zoroastrisme (à partir de 224 ap. J.-C.).

 

L’analyse paléographique assure qu’aucun texte avestique n’a été émis par écrit avant, au plus tôt, le règne de Xosrô Ier (531-579 après J.-C.). Jusque-là, le travail de transmission et d’édition (ordonnancement, traduction en langue courante, commentaire) a été fait oralement. Comme mentionné supra, la divergence est considérable quand il s’agit d’estimer les multiples dates de composition des textes. Tous les historiens s’accordent, notamment J. Kellens, à considérer que les chapitres 28 à 54 du Yasna, à l’exception du 42 et du 52, constituent la plus ancienne partie de l’Avesta en raison d’une évidence philologique. Il semblerait que ces chapitres soient datés du VIe siècle avant J.-C. et seraient séparés d’un siècle environ des plus anciennes parties du livre restant. Cette datation est donc à prendre en compte dans notre étude.

L’allemand Martin Haug est le premier philologue qui comprit suffisamment l’Avesta grâce aux progrès de la linguistique comparative indo-européenne, plus particulièrement indo-iranienne. Il entreprit alors l’analyse de son système religieux et plus spécifiquement les Gāthās (« Chants ») qui occupent les chapitres 29 à 34, 43 à 51 et 53 du Yasna. Aux alentours de 1860, il fait notamment la remarque que les Gāthās ne mentionnent jamais d’autre nom divin que celui d’Ahuramazdā. Elles seraient donc l’expression d’une doctrine monothéiste que le prophète Zarathoustra aurait voulu substituer au vieux polythéisme indo-iranien et que ses successeurs ont laissé évoluer en dualisme ou se résorber en un polythéisme restreint. Cependant, ce mince corpus gāthique n’a pas de validité statistique suffisante pour témoigner à coup sûr d’une phase de mazdéisme monothéiste. En effet, l’absence du nom des dieux pourrait simplement relever du hasard ou être cohérent dans le cadre d’un rite spécifique exclusivement adressé à Ahuramazdā rapporté dans cette partie de l’Avesta.

Les grands principes du zoroastrisme

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Zoroastre, d’après la fresque de Raphaël, lithographie de Friedrich Rehberg (1758-1835), Thorvaldsens Museum.

A la différence du mazdéisme traditionnel, la religion zoroastrienne qui se diffuse en Iran achéménide est fondée sur un monothéisme moral. Zarathoustra et sa réforme ont ainsi éliminé les dieux tels que Mithra ou Anāhita au profit du seul Ahuramazdā, accompagné des « Immortels bienfaisants », les six entités Aməsha Spənta. M.-A. Kuhn tend à faire de ces « archanges » des daevas, soit des génies secondaires interdits de vénération.

 

De même, tous les grands principes de conduite prescrits par le prophète vont être adoptés par les rois et partagés dans la population et inscrits ses mœurs. En effet, la doctrine s’appuie beaucoup sur le dualisme entre Bien et Mal, entre Ahuramazdā et Ahriman[1], le Mauvais Esprit. Il est spécifié que tous les hommes, quels que soient leur statut, leur sexe et leur âge, ont le droit à la vie éternelle et au salut. Afin d’y accéder, il faut qu’ils respectent les trois grands principes énoncés dans l’Avesta et prônés activement par le prophète : Bonne Pensée (humata), Bonne Parole (hūxta), Bonne Action (hvaršta). Il fallait passer devant ces trois validations avant de pouvoir entrer au paradis. Au quotidien, et encore de nos jours, les Iraniens zoroastriens ou non respectent ces trois idées. Sous les Achéménides, l’agriculture et l’élevage revêtant un caractère sacré, c’était vers ces activités que le « bon croyant » devait se destiner.

Rta, l’Agencement, est le principe fondamental de la cosmogonie mazdéenne. Ahuramazdā l’a engendré à l’aube des temps, comme acte initial. Il s’agit d’une organisation de l’univers développée dans l’Avesta sous la forme métaphorique d’une tente qui est érigée par le dieu afin d’établir l’ordre. A côté de la tente Rta liée à la lumière du jour, se trouve la tente « Druj », un principe féminin qui peut se traduire par « tromperie », l’ordre mauvais et trompeur, relevant du monde de la nuit, du mystère et des menaces. Une fois de plus se retrouve ce manichéisme mazdéen fondé sur l’opposition diurne/nocturne (Ahuramazdā/Ahriman) incarné par la lumière du jour et les ténèbres de la nuit. Ce principe de l’Agencement se considère donc à la fois comme l’abstraction qui définit le fonctionnement idéal de l’univers et comme une entité allégorique se rapprochant d’une divinité secondaire, enfantée par le dieu cosmogéniteur.

Ce dualisme qui définit aussi bien le mazdéisme que la réforme zoroastrienne, opposant lumière/ténèbres, va placer l’élément Feu comme allié, personnification, voire enfant du dieu Ahuramazdā. Il est présent dans la liturgie, étroitement lié au dieu suprême dans les représentations iconographiques et maintes fois cités dans l’Avesta sous deux formes principales : élément naturel et lumière émanant de l’astre du jour. Dans les deux cas, son importance est capitale dans la religion principale des Perses Achéménides. C’est ce que nous tâcherons d’étudier dans la deuxième partie qui paraîtra fin novembre.

Crédit de l'image à la une : Persépolis, Marine Baron

Bibliographie sélective : 

Kuhn M. A., « La religion mazdéenne dans l’Iran d’hier et d’aujourd’hui », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, Metz, 2001, p. 227-243.

Katouzian H., The Persians. Ancient, Medieval and Modern Iran, Yale, 2010, 452 p., p. 49.

Kellens J., « L’Avesta et la figure de Zoroastre », sur le site Academia [en ligne], consulté le 16 janvier 2017.

https://www.academia.edu/1504178/L_Avesta_et_la_figure_de_Zoroastre

[1] Ahriman est le nom moyen-perse, Angra Mainyū est le nom avestique.

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