

Va, chasse la grisaille est le premier roman de la jeune auteur de 24 ans, Eliane Lanovaz. Sorti il y a maintenant un an aux éditions du Petit Hotel, cet écrit de cent trente pages conte une histoire particulière et pourtant répandue : celle de la dépression, de l’autisme, de la maladie mentale, et de la reconstruction après une destruction de sa personne par d’autres. On rencontre ainsi quatre personnages qui se croisent, tous un peu à l’écart de la société, chacun d’une manière différente. Comment ce roman peut-il se présenter à la fois comme une histoire commune et comme un événement particulier en lui-même ?
Un style tenant de la tranche de vie
Les scènes se déroulent entre Lyon et la Savoie, avec un final sur les bords du lac Léman. L’action est située dans des lieux qui peuvent résonner en nous. Et, si la mimésis, l’imitation du réel, est assez forte, cela permet une meilleure immersion tout en gardant un décalage avec ce que l’on vit. Les quatre voix narratives se mélangent ainsi, dans une symphonie polyphonique, pour donner lieu à une seule même image : celle d’Isa, jeune autiste et de son parcours pour se remettre des abus subis durant sa relation avec son ex, qu’elle quitte au tout début du roman. Les mots, à la fois violents et doux, permettent une sorte de catharsis. Surtout, les personnages sont vivants, et même s’ils se ressemblent un peu dans leurs réactions et leurs expressions, il y existe une connexion qui s’établit, entre eux et le lecteur. Chaque réaction résonne comme quelque chose que nous pourrions nous-même vivre, d’autant plus que la narration est faite à la première personne, et en intra-diégétique. On plonge littéralement dans la tête de chacun des personnages, ce qui nous permet d’envisager plusieurs points de vue sur une même situation, et montre les défauts de compréhension et de communication qui rythment les relations humaines, thème central du roman.
Les maladies mentales
Un des grands thèmes du roman est celui de la maladie mentale. Dans l’une des premières scènes dans laquelle le lecteur découvre Isabelle, celle-ci sort de chez le médecin avec une ordonnance d’anti-dépresseurs, du Prozac, et un diagnostic de dépression comme elle l’appelle, comme si on lui avait diagnostiqué un rhume. C’est alors que le titre prend tout son sens : Va, chasse la grisaille, remplis moi de couleurs est en réalité l’espoir qui est placé dans la prise quotidienne d’anti-dépresseurs, une rengaine chuchotée à un comprimé chaque matin.
La maladie mentale n’est pas fantasmée, mais bien réelle. Dans toute l’horreur qu’elle apporte à la personne, et aux événements. De plus, et c’est assez rare pour le souligner, l’auteur nous ouvre une fenêtre sur le syndrome de stress post-traumatique complexe tel que perçu par le personnage principal, syndrome dû aux abus dont elle tente de se remettre. Jamais pour autant ne sombre-t-on dans le trash ou le voyeurisme : tout est toujours dit, mais jamais appuyé. Les réactions physiques sont indiquées, mais pas en détail.
Dès lors que l’on parvient à dépasser l’horreur de certains souvenirs évoqués comme de simples faits, suggérés, le style est très doux et fluide. Le lecteur a alors une vision claire et pertinente de ce qu’est une maladie mentale dans sa complexité mais aussi dans la possibilité de vivre, de s’intégrer socialement et l’absence de limite imposée par elle.
L’espoir
L’espoir est ce qui permet aux personnages de tenir. Si l’histoire a pour intérêt principal la guérison de la dépression et le fait de se remettre d’une relation abusive, par la discussion avec d’autres personnes, des amis, ce n’est pas le seul. Le lecteur découvre ainsi les joies et les peines des autres narrateurs, des anecdotes toutes aussi intéressantes, comme le vécu d’une lesbienne, son acceptation (ou pas) par ses parents, et ses difficultés pour trouver une partenaire. Chaque situation, même minime, même difficile, est d’accompagner d’un sentiment fort : l’espoir d’un après. L’espoir que finalement, tout aille bien, qu’on réussisse à s’en remettre, à passer à autre chose malgré tous les problèmes rencontrés par le passé. Et cet espoir est communicatif.