Bohemian Rhapsody: bohème ou convenu?

Attention cet article comporte des éléments importants du film et se veut être une analyse : si vous n’avez pas encore vu le film et que vous ne souhaitez pas avoir de révélations passez votre chemin. Néanmoins, il s’agit, théoriquement, d’un biopic donc si vous êtes fan vous connaissez déjà les épisodes dont je vais parler.

Bohemian Rhapsody, enfin sorti en France après plus de 7 ans d’attente, nous retrace l’histoire du groupe britannique mythique Queen et de son chanteur haut en couleur Freddie Mercury. Ce film a déjà déchaîné les passions et fait coulé beaucoup d’encre, je m’efforcerai donc d’apporter un nouvel éclairage à mon humble niveau.

Cet imposant enfant dont l’accouchement fut long est l’œuvre de nombreux acteurs. Le film est produit par les membres du groupe notamment Brian May le guitariste : c’est lui qui présente le premier le projet en 2010. L’acteur choisi pour le rôle est alors Sacha Baron Cohen, un humoriste sulfureux. Cette première mouture qui ne porte pas encore de nom a déjà pour objectif de présenter la formation du groupe et de s’achever sur le mythique concert du Live Aid en 1985, éludant de facto les dernières années de vie et de souffrance de Freddie. Après plusieurs changements d’acteurs (trois en tout), notamment du fait d’une production omniprésente et très arrêtée dans ses choix, le film que nous connaissons voit le jour.

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Freddie (Rami Malek) et Mary (Lucy Boynton) in Bohemian Rhapsody, 2018

Le réalisateur crédité et mis en bonne place sur l’affiche est Bryan Singer, connu pour son film Usual Suspect. Il n’a en réalité fait que peu de scènes car il fut évincé par la production en décembre 2017 soit à peine deux mois après le début de ce tournage titanesque. C’est à lui, néanmoins que nous devons la scène finale du Live Aid, scène absolument exceptionnelle. C’est finalement Dexter Fletcher qui réalisa le plus gros du film.

Bohemian Rhapsody est donc né dans la tourmente à l’image de la chanson de Queen dont il reprend le titre. La question étant : ces changements répétés d’acteurs, de réalisateurs n’ont-ils pas nuit à la qualité du film ?

A cela je répondrais : tout dépend ce que vous cherchez. Dès le départ les anciens membres du groupe et donc la production ont voulu faire un film grand public « qui fasse rêver » les petits comme les grands. C’est une réussite, nous suivons à travers ce film la concrétisation de rêves de jeunes étudiants britanniques pas bien riches mais riches d’idées. Freddie Mercury joué finalement par Rami Malek, un marginal original et créateur embarque un apprenti dentiste et un docteur en astrophysique dans une folle aventure, celle de la musique, des tournées et des albums. Ils finissent par être connus à l’échelle du monde, nos petits britanniques. Même si l’égoïsme du créateur qu’est Freddie viendra un temps faire planer un nuage sur cette idylle, cette « famille » comme on ne cesse de nous le répéter dans le film, il ne faut pas trop s’en faire car « God save the Queen » et finalement la famille se retrouve. Malgré ses cicatrices elle atteint l’apothéose incarnée par le concert du Live Aid, où l’humanité chante à l’unisson contre la famine en Éthiopie. Un feel-good movie dans toute sa splendeur et si la date de mort de Freddy et une photographie de lui malade avec son compagnon et un de ses chats vient un temps nous tirer une larme, nous repartons sur la musique de Show Must Go On avec le sourire au lèvre et le sentiment qu’on peut tout dépasser et qu’on est imbattable tant qu’on est ensemble !

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Freddie Mercury à gauche et Rami Malek à droite, crédits photo Salma Sohbi

Vous trouvez cela caricatural ? C’est pourtant ce qui est montré dans le film sur un fond musical de notre groupe préféré. Nous enchaînons les créations de morceaux en studio, les concerts avec entre les deux des épisodes de la vie personnelle de Freddie toute en retenue. Une retenue qui a tendance à tomber dans l’aseptisé. Vous en avez peut-être entendu parler mais la bisexualité du chanteur est montrée sur un ton mi-figue- mi-raisin. En effet, Freddie, qui d’abord se fiance avec la belle et talentueuse Mary, découvre une attirance pour les hommes au cours de ses tournées. Sa douce fiancée ne supportera pas de vivre avec lui en le partageant (du moins c’est ce qu’il semble se passer car le film n’est absolument pas clair là-dessus) et donc le quitte mais restera toujours sa fidèle amie. C’est alors que le rôle de Paul, le premier petit-ami de Freddie entre en jeu, il est présenté comme la personne le menant à toutes les perversions, les drogues, le BDSM très suggéré et non montré, les orgies, le luxe, la luxure… Il est désigné comme celui qui brisa le groupe, poussant Freddie à tenter une carrière solo, ce qui l’éloignant de sa « famille », le condamna à la solitude, qu’il tenta de combler par la luxure qui lui fit contracter le sida. Là encore, vous me direz que je fais des raccourcis, eh bien pas tant que ça. Les épisodes chronologiques s’enchaînent très vite pendant le film du fait d’un manque de temps mais aussi d’une volonté d’éluder les questions épineuses. Ainsi, Paul n’est pas présenté comme un amour de Freddie au même titre que Mary mais plutôt comme un vil démon tentateur, qui le mena à sa perte en profitant de sa gentillesse et de son besoin de reconnaissance.

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Allan Leech est Paul Prenter

On ne peut pas nier que Paul était un personnage plus qu’ambigu car il a effectivement fait beaucoup de mal au groupe et à Freddie au moment de leur rupture. Il dévoila notamment à la presse et à travers un livre des informations sur la vie personnelle de Mercury. Mais tout n’est pas si simple. Freddie a quitté Mary pour Paul, il a quitté « l’amour de sa vie » comme il le dit dans la chanson,  pour cet homme. Ce n’est évidemment pas pour un simple besoin sexuel mais sans aucun doute pour l’affection qu’il portait à Paul. A côté de la figure de Paul, on a l’amour de fin de vie : Jim, un amour quasiment platonique ou présenté comme tel dans le film. Jim est un homme simple qui va aider Freddie dans une sorte de rédemption, alors qu’il retourne vers sa famille : le groupe, lors du Live Aid. Cette vision binaire, manichéenne laisse le spectateur perplexe quand à la vie romantique et sexuelle de Freddie. Est-ce ce qu’elle se résume simplement à une gentille fille « amour de sa vie » puis un vil tentateur qui le corrompt dans le pêché de chair et finalement un ange rédempteur? Laissez-moi douter de cette interprétation simpliste peut-être un peu trop alimentée par la haine du reste du groupe envers Paul. Dois-je rappeler qu’ils sont producteurs ?

De plus, cet enchaînement rapide d’événements, ce manque de nuances dans le propos amène à un manque de crédibilité quand on prend le temps de s’attarder sur le film. On tombe alors dans l’exagération. Rami Malek qui avait sur relever le défi du manque de ressemblance physique avec Freddie plonge progressivement au cours du film dans une caricature de « la folle », l’homosexuel dévergondé mais créatif : Une mascarade faite de pantin de papier sans épaisseur. N’est-ce pas trop simple ? Freddie Mercury souhaitait (et

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I Want To Break Free, 1984

ça nous pouvons le comprendre dans le film) être ce qu’il voulait : un caméléon, un dandy moderne capable de prendre tous les rôles en ajustant le costume mais surtout en leur donnant corps. Mercury c’est un esprit mais c’est aussi un corps comme on peut le voir dans les clips de Queen: le clip de Bohemian Rhapsody, qui est à mon sens plus riche et fin que le film actuel ne le sera jamais, ou encore le clip de I want to break free. Son esthétique inspirée des ballets russes et du chorégraphe et danseur Nijinski à la sauce pop-opéra-rock et drag-queen en dira toujours plus sur l’artiste et le groupe. On peut d’ailleurs regretter que le film ne nous montre pas les clips du groupe qui étaient une révolution à l’époque et ne s’attarde que trop peu sur le processus créatif de la musique.

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Affiche promotionnelle du film Bohemian Rhapsody

Ainsi, ne sachant pas sur quel pied danser, Bohemian Rhapsody n’est pas un biopic car il ne présente pas Mercury dans toute sa complexité mais bien une schématisation simpliste d’un artiste étrange et fascinant. Il ne nous présente pas non plus un documentaire musical puisque nous n’avons que très peu d’informations sur le processus créatif. Il s’agit donc d’un film qui nous présente un lien idéalisé entre des personnes caricaturées : une jolie fiction, en somme, qui par son rythme rapide et entraînant nous donne la banane mais ne sonde rien de la complexité des êtres et des oeuvres. Qu’importe me direz-vous ? Et en cela je vous suis… Qu’importe ! Bohemian Rhapsody est un film familial qui a atteint son but, qu’importe qu’il ne marque l’histoire du cinéma que pour son nombre d’entrées records au box office… Vous me direz : « C’est déjà pas si mal. » Je vous répondrais : « We are the champions my friend! »

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