
Dans l’article précédent (que vous pouvez retrouver ici), nous avons pu apercevoir les origines et les principes fondamentaux des religions zoroastrienne et mazdéenne. Je vous propose ici d’aborder la question de la symbolique du Feu qui s’inscrit dans le dualisme lumière/ténèbres caractérisant ces religions sœurs. Le Feu s’y trouve comme allié, personnification, voire enfant du dieu Ahuramazdā. Il est présent dans la liturgie, étroitement lié au dieu suprême dans les représentations iconographiques et maintes fois cités dans l’Avesta sous deux formes principales : élément naturel et lumière émanant de l’astre du jour. Dans les deux cas, son importance est capitale dans la religion principale des Perses Achéménides.
Le Feu et Ahuramazdā
Bien qu’il soit impossible de le considérer comme absolu, le rapprochement Feu/Ahuramazdā est une certitude en raison des multiples mentions avestiques et de ses occurrences iconographiques dès l’époque achéménide qui vont connaître un grand développement à l’époque sassanide. Chez les zoroastriens d’aujourd’hui, le Feu continue d’occuper une place importante dans le culte, avec une symbolique remarquablement élargie.

Le Feu est l’élément sacré par excellence pour les zoroastriens. Il est l’élément purificateur, considéré dans de nombreuses anciennes religions indo-iraniennes comme un dieu vecteur du sacrifice. Dans les Gāthās de l’Avesta, le rôle de l’élément naturel est tout aussi fondamental[1]. À deux reprises, Zarathoustra convoque « le Feu d’Ahuramazdā », soit pour lui faire des offrandes (Yasht 43.9), soit pour demander sa protection (Yasht 46.7). Le dieu et le Feu sont donc déjà intimement liés. Dans certaines conceptions zoroastriennes plus tardives, il était même considéré comme le père d’Atar, le concept moderne du Feu sacré (appelé ātarš en avestique).
Dans tous les autres passages avestiques où il est mentionné, le Feu est caractérisé comme un instrument de supplice ou d’épreuve, faisant apparaître un autre de ses aspects symboliques, dans un contexte destructeur. Bien qu’il n’y ait pas de témoignage d’un quelconque sacrifice par le Feu, il est fait mention que Zarathoustra invoquera dans le futur le Feu sacré afin qu’il sépare les bonnes choses des mauvaises.
Le Feu est en effet vu comme l’élément de la Justice divine (aša). Il est un instrument de vérité et de justice, raison pour laquelle il est doté d’un très grand pouvoir et que son respect est essentiel. Cette connexion entre le Feu et la Justice sacrée, l’aša, est constante. Elle apparaît notamment dans le passage du Yasht 43.9 précédemment mentionné :
« Je veux penser, dans la mesure de mes capacités, à faire de votre feu (Ô Ahuramazdā !) l’offrande de vénération pour l’aša ».
Il est donc aisé de penser que pour rendre hommage à l’aša, des offrandes étaient faites au Feu du grand baga Ahuramazdā, sans avoir précisément d’informations sur la teneur de ces offrandes. De la même manière, quand chacun des éléments et chacune des catégories d’êtres vivants de l’univers étaient placés sous la protection des divinités entourant Ahuramazdā, Aša devenait une divinité secondaire et protectrice du Feu.
Le Feu fait partie prenante de la cosmogonie zoroastrienne mais également de la liturgie. Il devait être élevé en l’honneur de la divinité pour à la fois l’incarner et accéder à lui. Il est un élément pur, comme l’eau, la terre et l’air, associés à lui plus tardivement. C’est du fait de cette pureté qu’il était employé et allumé dans les cérémonies rattachées symboliquement à la figure d’Ahuramazdā : seul un élément pur pouvait être associé à la plus grande des divinités. Par ses flammes, qui s’élèvent au-dessus des autels et la fumée qui s’en dégage, il deviendrait l’intermédiaire privilégié entre le dieu et les hommes. C’est en effet à lui que s’adresse le prêtre ou le Mage pour faire monter les prières vers Ahuramazdā. La fumée sacrée qui ne doit jamais être souillée permettait de faire monter les prières et les sacrifices à lui. Ainsi, le Feu était le premier intercesseur entre notre monde et le divin, dont la pureté était impérativement à respecter pour atteindre le baga vazarka.
Le culte d’Ahuramazdā était donc largement prédominant au sein de la royauté achéménide, des élites mais également de toute la population. Par la multiplicité de ses représentations et de ses citations dans les inscriptions royales, il est facile d’attester de sa vénération importante. Ainsi, lorsque l’élément Feu est représenté, il est systématiquement et directement associé à ce dieu. Cela rentre en concordance avec son statut de dieu suprême, cosmo géniteur et père de la Lumière essentielle. Néanmoins, ces interprétations quelque peu trop directes ont conduit à fausser la réalité du paysage religieux achéménide. En effet, le Feu n’était alors étudié et compris que dans un contexte de lien avec le grand baga et toutes les sources documentaires (textes, architectures, reliefs et glyptique) qui s’y rapportent étaient examinées sous l’angle de la réforme de Zarathoustra, occultant de fait toutes les autres symboliques du Feu comme celle de la lumière du Soleil, Xvarenah.
Le Feu émanant du soleil : Xvarenah
« La manifestation d’Ahuramazdā est le soleil, il représente la gloire du dieu vers lequel l’homme doit se tourner chaque matin et chaque soir afin de s’imprégner de la lumière divine et la répandre à son tour » (M.-A. Kuhn 2001). Cette association du dieu suprême et de l’astre du jour relève du manichéisme qui caractérise le zoroastrisme : il est la Lumière sacrée, la chaleur et le Feu du soleil. Ahuramazdā et l’Agencement Aṣa qu’il a engendré sont donc indissolublement liés à la lumière du jour[2]. La partie en prose de l’Avesta ancien (chapitres 35 à 41 du Yasna) affirme on ne peut plus clairement leur nature céleste-diurne et la beauté éclatante qui fait d’eux des objets de vénération spéciale.
Dans la croyance zoroastrienne ancienne, l’énergie vitale de toute chose qui transmet la chaleur, et donc la vie, provient du Feu. Bien avant l’Avesta, dans la mythologie indo-iranienne, Yama (ou Yima), un des premiers hommes les plus connus notamment comme l’actuel dieu des morts indiens, eut comme père Vivanhan, dont le nom en sanskrit signifie « soleil » [3]. Cette royauté solaire attribuée à Yama est confirmée par l’épithète constant attaché à son nom, xšaēta « resplendissant », qu’il partage avec hvar, un autre nom du soleil (xoršid en persan) et avec Mithra. Ce mythe zoroastrien entre en résonance avec l’idée que l’espèce humaine est préservée à l’aide du soleil. Il est alors naturel que l’un des tous premiers hommes, Yama, eut été le descendant du soleil lui-même et donc tout désigné pour être roi. Ce concept de royauté solaire était déjà bien connu en Egypte et à Babylone avant l’empire perse achéménide et pouvait encore se retrouver dans de nombreuses monarchies modernes.
Lorsqu’on parle des symboliques du Feu en Iran ancien, il est donc impossible de ne pas mentionner Xvarenah, la lumière divine du soleil[4]. Malheureusement très peu étudié, à l’exception des travaux menés dans les années 1960 par J. Duchesne-Guillemin, cet autre aspect de l’élément naturel sacré est néanmoins un développement très important du zoroastrisme.
Il s’agit d’un développement proprement iranien, à partir de l’Avesta indo-iranien, d’une doctrine qui voit la force vitale de toute chose comme un Feu qui serait donné par le soleil et dont la force irradiante et lumineuse serait située dans la tête de l’Homme[5]. L’étymologie du mot Xvarenah a été proposée il y a environ un siècle, et rapprochée du terme xvar « soleil », donnant en sanskrit svar et son dérivé svarnara, terme qui aurait désigné la source divine du soma indien (haoma iranien), la liqueur sacrée bue par les Mages lors des cérémonies[6]. Il est donc possible d’en déduire que Xvarenah correspondrait à une émanation du soleil, le Feu divin, une force vitale lumineuse qui communique avec les Hommes. Dans la tradition latine, cette force résiderait dans la tête de chaque homme, celle-ci étant considérée comme le siège de la vie et de la puissance humaine. Cela se traduit dans l’iconographie correspondante et beaucoup plus moderne par les auréoles qui entourent les têtes des saints personnages ou bien des êtres numineux.
Un parallèle peut être établi entre Xvarenah et plusieurs typologies de Feux. En effet, les Feux Farnbāg, Gušnap et Burzēn-Mihr et Vahrān seraient les protecteurs des quatre classes sociales iraniennes et achéménides : le roi, les prêtres, les soldats et les fermiers. Selon l’Avesta, ces protecteurs seraient eux-mêmes protégés par Xvarenah. Il s’agirait ainsi ici d’une sorte de lumière protectrice générale dont bénéficierait toute la population de l’empire, peu importe la classe sociale. Cette protection suprême est directement en lien avec la lumière solaire qui englobe tout et devant laquelle tous les hommes sont égaux, selon les conceptions zoroastriennes.
Ici s’achève notre explication de la symbolique du Feu dans les religions iraniennes préislamiques. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur les représentations iconographiques du Feu et la liturgie spécifique, n’hésitez pas à laisser un commentaire sur les réseaux sociaux ou sur l’article.
Crédits image à la une : Temple du Feu de Yazd, © Marine Baron.
Bibliographie sélective :
DUCHESNE-GUILLEMIN J., « Fire in Iran and in Greece », East and West 13, 1962, p. 198-206.
KELLENS J., « L’Avesta et la figure de Zoroastre », sur le site Academia [en ligne], consulté le 16 janvier 2017.
[1] Duchesne-Guillemin 1962a, p. 201-202.
[2] Kellens 2002b, p. 118.
[3] Duchesne-Guillemin 1962a, p. 200.
[4] Duchesne-Guillemin 1962a, p. 203-204.
[5] Duchesne-Guillemin 1962a, p. 205.
[6] Duchesne-Guillemin 1962a, p. 204.