I am not your negro de Raoul Peck (2017)

Par son exploration des tensions raciales et sociales aux États-Unis, James Baldwin (1924-1987) s’est imposé comme une figure essentielle de la littérature américaine du XXème siècle. Et trente ans après sa mort, il fait encore parler de lui. Au printemps 2017 paraissait le documentaire I am not your Negro de Raoul Peck, transposant sur grand écran l’histoire d’un livre que l’écrivain n’a jamais pu écrire.

Intitulé Remember this House, le texte en question est un manuscrit inachevé d’une trentaine de pages. James Baldwin entreprend sa rédaction en 1979, avec l’ambition d’esquisser une histoire du mouvement des droits civiques aux États-Unis à travers les figures de Malcolm X, Medgar Evers et Martin Jr. Luther King, trois personnalités de la lutte, et surtout trois de ses amis. Pour I am not your negro, Raoul Peck décide de compléter le texte d’images contemporaines et de fragments d’archives. Le réalisateur dispose en effet d’un accès à l’ensemble des productions de James Baldwin, mais également de ses correspondances et de ses apparitions sur le petit écran. Le documentaire dépasse donc la simple adaptation cinématographique et cherche à rendre, au-delà du verbe, un concentré de la pensée de l’auteur et l’univers dans lequel celle-ci s’est développée. Le spectateur navigue à travers un véritable patchwork audiovisuel, guidé par les mots de Baldwin, « incarnés » par la voix de Samuel L. Jackson (Joey Starr en VF).

I am not your negro_Raoul Peck

Si la composition « polyphonique » du documentaire peut paraître déroutante, c’est notamment parce qu’elle met en place des portraits et des narrations croisées. On a d’abord, à travers le texte Remember this House, l’histoire d’un univers militant noir-américain, animé d’une puissante colère, cristallisé par Malcolm X, partisan de l’auto-défense armée, par Lutherking, prêcheur de la résistance non-violente, ou encore Medgar Evers, membre de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). Si les positions politiques des trois personnages étaient différentes – sans pour être autant diamétralement opposées, comme le souligne Baldwin – ils ont pourtant connu le même sort : tous ont été assassinés.

Mais cet historique de la répression du mouvement des droits civiques est, dans une certaine mesure, seulement une composante du documentaire, et non pas son but en lui-même. Raoul Peck, de son propre aveu, a cherché avant tout à « donner » Baldwin, dans un portrait qui recrée à la fois son discours et sa persona publique – illustrée notamment par ses interventions télévisées datant des années 1960 – ainsi que son ressenti plus intime, privé. Les extraits choisis de Remember this House, jamais publiés, expriment notamment son vécu personnel en tant que témoin de la violence ambiante des Etats-Unis, sa douleur et ses inquiétudes face à la situation. Le documentaire est d’autant plus frappant qu’il ne se veut pas biographique. Le rendu de James Baldwin en tant que personne ne se fait pas au travers de reconstitutions mises en scènes, ou d’interventions d’experts, mais bien plus grâce à une attention accrue à la voix qui l’incarne, au choix des images et de la musique, et, bien sûr, au montage.

I am not your negro_Raoul Peck1

Enfin, les images d’archives, regroupant des médias divers, allant des actualités d’époque aux monuments de la culture américaine comme La Case de l’Oncle Tom, en passant par les talk shows, contribuent à dresser un portrait robot des États-Unis, des années 30 jusqu’à nos jours. Et le constat n’est pas beau à voir.

James Baldwin et Raoul Peck présentent aux occidentaux, chacun dans leur temps, une société névrosée : tiraillée entre l’illusion d’une Amérique béate, puérile et parfaitement blanche d’un côté, et de l’autre les fantasmes qu’elle plaque sur les populations qu’elle opprime, allant du nègre violeur et paresseux au bon sauvage – sans oublier l’Indien assoiffé de sang dans les plaines. Il y a aussi la dénonciation de ce gouvernement désemparé face à l’échec de son propre système, s’excusant avec plus ou moins d’enthousiasme à chaque drame national sans pour autant pouvoir apporter de réelle solution.

Le documentaire, somme toute, remet au goût du jour un manuscrit inachevé – et que Baldwin n’aurait pas pu finir – car l’histoire de la société américaine ne finit pas d’évoluer. Sans tomber dans le mélodrame, il tire gentiment la sonnette d’alarme et rappelle à ses contemporains qu’il ne tient qu’à eux de vivre dans une société raisonnée.

Émilie Blaise

Si l’envie vous vient de voir ou revoir ce film, il sera diffusé par le Cinéclub de l’Ecole du Louvre le jeudi 29 novembre46146887_2075811629150006_7348902597819891712_o à 18h en amphithéâtre Cézanne. 2€ l’entrée.

Pour celles et ceux qui seraient extérieur.e.s à l’école, il est possible d’assister à la séance en envoyant son nom et prénom à cineclubecoledulouvre@gmail.com. Réservations au plus tard 24h avant la séance !

Plus d’informations sur l’évènement Facebook.

Sources des images :
A la une – I am not your negro, Raoul Peck
Malcom X – NY Times
James Baldwin – Getty

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