George Desvallières : La rencontre d’un peintre avec Dieu ?

Pascale Martinez, historienne de l’art et ancienne élève de l’Ecole du Louvre, nous parle cette année de George Desvallières (1861-1950). Ce choix n’est  pas anodin pour elle, elle a été, comme lui, touchée par le Christ lors de sa vie adulte. Dans le cadre de la thématique annuelle, la rencontre, elle souhaite en aborder une qui est essentielle dans la vie de cet artiste : la rencontre avec Dieu.

George Desvallières est un « nouveau converti » car il est issu d’une famille patriote mais pas pratiquante. On trouve en l’artiste cet amour profond de la patrie qui le pousse à s’engager dès 1914 pour défendre la France.

Gustave Moreau, grand professeur à l’Ecole des beaux-arts et artiste symboliste, est le maître de George Desvallières. Il a su insuffler une liberté étonnante à ses élèves et ne leur a jamais imposé un style, une manière de peindre ou même de penser. George Desvallières, jury du Salon Automne, défend les avant-gardes comme les fauves et les cubistes, chose qui n’est pas si évidente à cette époque.

Il est proche de Maurice Denis sur le plan amical mais aussi spirituel. Aujourd’hui, ces deux artistes ne sont pas très enseignés. Par exemple, on parle surtout de la période nabi de Denis et peu du reste de son travail. Ces artistes font partie d’un milieu confidentiel mais devraient être davantage reconnus.

La conversion de George Desvallières est essentielle car elle fait suite à des rencontres. En effet, G. Desvallières est lié à un certain nombre d’artistes dont un catholique qui le met en lien avec l’écrivain Léon Bloy. C’est par son contact qu’il se convertit en 1904 lors de la visite de la basilique Notre-Dame des Victoires à Paris. C’est radical alors qu’à l’époque les conversions sont peu courantes. Il décide alors de mettre explicitement son art au service de sa propre foi et de la transmission.

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Le Sacré Coeur, 1905, Collection particulière. ©️ Narthex.fr

George Desvallières va rapidement croiser Maurice Denis avec qui il veut de renouveler l’art chrétien. Ils entretiennent une grande relation amicale, faisant des pèlerinages et échangeant des œuvres. Maurice Denis définit le symbolisme comme « l’art de traduire et de provoquer des états d’âme au moyen des rapports de couleurs et de formes ». Le tableau du Sacré Coeur ne reprend pas l’iconographie habituelle. Il s’inspire du Sacré-Coeur du Montmartre car en le voyant depuis Pigalle, l’artiste y voit apparaitre le Christ. Il évoque son image mystique qui est associé au pélican depuis le Moyen-Âge. À cette époque, il était dit que cet animal nourrissait ses petits de sa propre chair. En 1896, dans ses notes sur la peinture religieuse, Maurice Denis voulait revenir à un art des origines, un art médiéval. La proximité avec la foi est aussi incarnée. Elle n’est pas que théologienne mais aussi vécue. L’idée est que l’on doit revenir à un art où l’on peint à genoux. L’artiste ne doit pas se contenter de parler mais vivre une vie empreinte de foi chrétienne, ce que font les ateliers fondés après la guerre. George Desvallières veut peindre la ressemblance de Dieu, toucher du doigt le sacrifice de Jésus Christ.

Il s’ancre dans une tradition qui existe : son modèle est la peinture espagnole du siècle d’or. C’est une union intime entre la peinture, la foi, la vie et l’art qui sont proches des considérations de Jacques Maritain.

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Christ à la colonne, Musée Maurice Denis de Saint-Germain-en-Laye ©️ Eric Simon

Maurice Denis acquiert le Christ à la colonne en 1919 mais il a été présenté au public notamment lors du Salon de 1910. Il s’agit presque d’une icône, une méditation profonde. On voit l’inconfort de la position par la déformation du corps. La dislocation montre la torture épouvantable et derrière la dureté, il y a la douceur du corps du Christ, « en pleine épaisseur terrestre » comme disait George Desvallières. Le corps musculeux et puissant comme un athlète montre l’attachement à la peinture espagnole du siècle d’or dont l’artiste a pu voir des œuvres lors de ses voyages. Il médite sur les souffrances et s’y associe. On peut lier cela au Retable d’Issenheim (musée Unterlinden de Colmar) où Matthias Grünewald (1480-1528) présente la souffrance à son paroxysme véritable. On est aux antipodes de l’art sulpicien, dans une oeuvre sans complaisance car le Christ est rapproché de nous. La partie transversale ploie sous le corps du Christ. Asphyxié, sa langue sort et ses mains et pieds sont tordus. Tout est déchiqueté. C’est par cette iconographie âpre qu’il entre dans un mysticisme allemand douloureux et exacerbé, y puisant alors son style.

 

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Annonciation, collection particulière. ©️ Eric Simon

Cependant, George Desvallières reste en communion avec Maurice Denis et, même s’ils ne traitent pas les sujets de la même manière, ils veulent fonder une association d’artistes chrétiens. Il y a un mouvement de fond important au début du XXe siècle, beaucoup d’associations artistiques veulent valoriser un art chrétien moderne. Ces écoles se construisent après guerre mais les idées germent avant. Dès 1912, George Desvallières veut créer une école d’art sous la protection de la Vierge Marie. Le rapprochement des deux artistes se fait notamment par la Société de Saint Jean à laquelle Maurice Denis adhère en 1906 et George Desvallières en 1910. Cette génération porte une réflexion et veut montrer que dans le fond la présence du Christ est une affaire quotidienne. S’ancrant dans une tradition médiévale, l’idée est d’incarner l’Histoire de la Passion et de la Résurrection dans le monde moderne. Dans cette Annonciation, l’idée est de se faire rencontrer le profane et le sacré. L’ange émerge dans le quotidien de la famille. Il y a quelque chose, une volonté dans la tradition du deuxième concile de Nicée où l’image servait de confirmation de l’incarnation réelle de Dieu. 

Lors de la Première Guerre Mondiale, quand il était sur le front, George Desvallières fait le vœu de ne faire que de la peinture religieuse s’il en réchappe et opte pour une voie qui lui est propre. Il décline des sujets de la peinture religieuse en les peignant avec son corps et son âme. Sa quête spirituelle est attisée par l’expérience de cette guerre. Son oeuvre est la rencontre entre un peintre chrétien et un soldat. La terribilità et le lyrisme s’y retrouvent. Apparaît ici une opposition avec ce que réalise Maurice Denis dans les mêmes années, son oeuvre est calme avec une souffrance apaisée. Ils ont cependant en commun la même foi et rencontre personnelle avec le Christ.

Dans son Christ aux barbelés réalisé vers 1922 et conservé dans la collection du département de la Meuse, le plus important est la volonté d’insister sur la douleur. On retrouve la même idée dans les récits du Massacre des Innocents ou de l’Apocalypse de Jean. Toutes les mères qui ont perdu un enfant à la guerre sont en souffrance avec la Vierge Marie. Il y a une tension, la composition est très noire avec une intensité et une énergie spirituelle.

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L’Eglise douloureuse, Verdun, 1926, Petit Palais de Paris. ©️ Petit  Palais, Paris.

Dans L’Eglise douloureuse, Verdun, on voit un écho entre le grand et le petit souffrants. Le corps du Christ semble terriblement peser sous toute cette souffrance. Il y a une présence comme confondue de la Vierge debout aux pieds de la Croix. Cette oeuvre résume un drame collectif mais aussi un individuel avec une volonté d’associer à la rédemption,  de même que l’Apothéose du chasseur.

 

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Sainte Marie, Reine des anges, esquisse, vers 1936 ©️ Gilles Castelnau

Cette esquisse de Sainte-Marie, Reine des anges a été réalisée pour le monastère Sainte-Claire de Mazamet où une des filles de l’artiste prend le voile en 1926. Le spectateur peut y admirer une juxtaposition des espaces célestes et terrestres, particulièrement expressive. « Certes, il y a la croix, la croix toujours mais aussi la résurrection, mais aussi le Ciel » disait George Desvallières. L’artiste a reçu peu de commandes par rapport à son engagement complet. Cela est vrai pour beaucoup d’artistes de son époque ou actuels car l’Eglise commande peu d’œuvres et l’Etat aucune sur le thème religieux après 1905. Le « Grand Art » et l’« Art Religieux » se séparent à cette date. L’Oeuvre de George Desvallières est donc d’une très belle qualité mais ne résulte que de très peu de commandes. Il y a, de plus, une difficulté de l’art chrétien par la présence de deux pôles : celui du retour à l’icône au XXe siècle (à la suite des révolutions russes) et celui la tentation de l’abstraction. La réalité est que, quand on est chrétien, on croit à un Dieu incarné. 

Pour conclure, cette conquête de la paix et de la vie ne s’éteint pas par le sacrifice à prendre. L’amour de Jésus Christ, par lequel il a accepté de mourir sur la croix, prend sa source en Dieu. George Desvallières met cela en avant avec une déclinaison du génie, ce que chaque chrétien est appelé à faire dans sa vie quotidienne.

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