
La cachette royale de Deir el-Bahari est l’une des découvertes les plus cruciales et romanesques de l’histoire de l’archéologie de l’Égypte ancienne. Ce caveau, probablement aménagé au début du Xème siècle av. J.-C. dans la nécropole thébaine, à proximité de la Vallée des Rois, a abrité pendant près de 3000 ans les momies de certains des plus célèbres pharaons du Nouvel Empire, comme Ramsès II, Séthi Ier, Thoutmosis III et Ahmôsis.
Une découverte à rebondissements
La cachette aurait été découverte au début des années 1870 par des locaux, les frères Abd el-Rassoul. L’un d’entre eux aurait perdu sa chèvre alors qu’il se promenait sur les hauteurs escarpées de Deir el-Bahari ; l’animal, tombé dans la bouche de la cachette, aurait signé la découverte inespérée de ce site exceptionnel. Selon les estimations des dernières fouilles, les frères égyptiens auraient exploité le contenu de la cachette de Deir el-Bahari durant une dizaine d’années, à la suite d’au moins trois salves d’extraction d’objets. L’exploitation purement financière de ces ressources archéologiques aurait été effectuée dans le silence peut-être complice de la communauté locale. Néanmoins, l’apparition progressive d’objets archéologique de valeur sur le marché de l’art interpella peu à peu les égyptologues. Les papyrus des reines Notemit et Tiouhathor, les statuettes funéraires ouchebtis de Pinedjem Ier… Tant d’artéfacts de même qualité et datant de la même époque – les XIèmeet Xème siècles av. J.-C. – devaient probablement provenir de la même source, encore inconnue des cartographies archéologiques officielles. Au printemps 1881, Gaston Maspero, directeur du Service des antiquités égyptiennes et du musée de Boulaq (ancien musée égyptien du Caire), alors en France à ce moment, délègue Émile Brugsch, un archéologue allemand travaillant également au musée de Boulaq, pour mener un enquête sur le terrain. Il ne s’agissait pas d’engager une quelconque fouille mais bien d’identifier les personnes à l’origine de ce trafic. Rapidement, les frères Abd el-Rassoul sont considérés comme les coupables de ce marchandage : commence alors une lutte déterminée pour les faire avouer l’emplacement de leur cachette. À la suite de moult querelles fraternelles et de mensonges, l’aîné de la fratrie, Mohammed Abd el-Rassoul avoue soudainement les faits au mois de juillet 1881. On emmène alors Émile Brugsch sur place : s’il n’est pas l’égyptologue le plus brillant de son temps, c’est bien ce dernier qui est témoin de l’une des plus incroyables découvertes de sa matière. Celle-ci est décrite avec talent par Gaston Maspero dans l’ouvrage La Trouvaille de Deir el-Bahari :
Il fallait s’avancer en rampant, sans savoir où mettre les mains et les pieds. Les cercueils et les momies, entrevus rapidement à la lueur d’une bougie, portaient des noms historiques. […] Le rapport de Mohammed Ahmed Abd er-Rassoul, qui paraissait exagéré au début, n’était guère que l’expression atténuée de la vérité. Où je m’étais attendu à rencontrer un ou deux roitelets obscurs, les Arabes avaient déterré un plein hypogée de pharaons. Et quels pharaons ! Les plus illustres peut-être de l’histoire d’Égypte, Thoutmosis III et Séthi Ier, Ahmos le libérateur et Ramsès II le conquérant. M. Émile Brugsch crut être le jouet d’un rêve de tomber à l’improviste en pareille assemblée, et je suis encore à me demander comme lui si vraiment je ne rêve point, quand je vois et touche ce qui fut le corps de tant de personnages dont on croyait ne devoir jamais connaître que les noms.

Une excavation express

Émile Brugsch, relativement inexpérimenté et surtout très craintif des réactions de la communauté locale, expédia l’extraction de la cachette en un temps record, sans inventaire ni aucun relevé topographique. Seulement quelques dizaines d’heures après son premier passage, on engagea entre 150 et 300 ouvriers pour dégager l’ensemble du contenu de la cachette royale. On déblaya entre 5000 et 6000 objets, ainsi qu’une trentaine de momies. Tout ceci fut extrait, non sans mal ni bris, en l’espace d’environ quatre jours, puis transporté à dos d’homme jusqu’aux navires et emmené jusqu’au musée de Boulaq par voie nilotique. La réaction de la population fut alors fascinante et inattendue : lors du passage de ce convoi exceptionnel sur les eaux du Nil, les locaux réagirent par des larmes et des lamentations, comme il est d’usage lors des cortèges funèbres contemporains. La nature précipitée et négligée de cette fouille express occasionna la perte de nombreuses données archéologiques, tant artistiques (on constata la perte et l’endommagement de nombreux cercueils lors de l’extraction), que cartographiques, puisque le plan de la cachette n’a été dessiné que de mémoire par Émile Brugsch à la suite des événements et non sur place comme il se doit. À la suite de la découverte de cette cachette, on présumait encore qu’un autre lieu allait délivrer le reste des momies royales du Nouvel Empire, dont l’arbre généalogique restait incomplet : cette assertion se révéla vraie lorsqu’en 1898, Victor Loret découvrit la tombe d’Amenhotep II , n° 35 de la Vallée des Rois, qui renfermait les corps d’autres rois du Nouvel Empire, notamment Thoutmosis IV, Amenhotep III et Séthi II.
Contenu et contexte de la cachette

Le contenu de la cachette peut se distinguer en deux groupes : un premier datant des XIème et Xème siècles, localisé dans le milieu et dans le fond du caveau, lié à la famille des grands prêtres d’Amon. Ces derniers régnaient alors quasiment comme des souverains dans le sud de l’Égypte, alors que le pays était morcelé et la région de Thèbes en grande souffrance économique. On retrouve dans cette catégorie les dix momies dans leurs cercueils et pléthore de mobilier funéraire déjà évoqué dans précédemment. Le second groupe, retrouvé dans l’avant de la cachette, est constitué des vingt momies de la XVIIème dynastie et du Nouvel Empire (qui s’est étendu de 1500 à 1000 av. J.-C. environ et qui regroupe la XVIIIème , la XIXème et la XXème dynastie) : rois, princes et personnages non identifiés, inhumés dans des cercueils qui ne leur appartenaient pas et sans matériel funéraire.

Les dernières fouilles de la cachette royale de Deir el-Bahari ont été opérées de 1998 à 2004 par l’équipe germano-russe dirigée par Erhart Graefe de l’Université de Münster et par Galina Belova du département d’égyptologie de l’Académie Russe de Sciences. Leurs recherches ont démontré que cet endroit était en premier lieu destiné à l’inhumation, dans la chambre funéraire, des grands prêtres d’Amon au Xème siècle, et avait ensuite servi dans la deuxième partie du Xème siècle, jusque sous le règne de Chéchonq, de dépôt des momies du Nouvel Empire, raison pour laquelle celles-ci sont situées près de la bouche du caveau. En effet, depuis la fin du Nouvel Empire, les pillages de tombes apparaissent de plus en plus fréquemment dans la Vallée des Rois, ils deviennent monnaie courante sous les Ramessides. Le papyrus Abbot en fait état. Certains dirigeants tiennent à protéger l’intégrité des corps des rois anciens. Les inscriptions à l’encre tracées sur les bandelettes ou les cercueils (ce qu’on appelle les étiquettes de momie) décrivent les différents déplacements des celles-ci au sein de plusieurs cachettes successives dans la région thébaine. On peut alors établir le parcours posthume et séculaire des momies, baladées au fil des risques qui pesaient sur elles. À la suite des analyses des archéologues, on a pu par exemple affirmer que le père et le fils de Séthi Ier, Ramsès Ier et Ramsès II, avaient rejoint celui-ci dans sa tombe (n°17 de la Vallée des Rois) avant de rejoindre une mystérieuse tombe, attribuée à une reine Inhapi, de la XVIIème dynastie (dont l’emplacement demeure encore aujourd’hui inconnu et débattu) jusqu’à ce qu’ils reposent au sein de la cachette royale de Deir el-Bahari.
Lacunes, interversions, pillages : un véritable capharnaüm
Les stigmates des pillages, qu’ils soient antiques ou plus récents, pèsent encore énormément sur l’état des données archéologiques de la cachette . Les prêtres chargés de restaurer et de déplacer le corps des rois arrivaient parfois après que le mal eût été fait.

Les pilleurs antiques allèrent jusqu’à arracher les lobes d’oreilles pour obtenir le plus rapidement possible les boucles, malmenaient les corps, au point où certains prêtres durent restaurer l’intégrité du corps de certains rois, indispensable dans le contexte religieux égyptien. Par exemple, les quatre membres et la tête de Thoutmosis III avaient été arrachés : les prêtres chargés de restaurer son corps reconstituèrent sa momie à l’aide de quatre rames de bateau, permettant par la même occasion de faire tenir le corps debout dans le cercueil. Par ailleurs, le comportement négligeant et avide des frères Abd el-Rassoul entraîna un désordre complet dans la cachette. Il est certain que ces derniers avaient déplacé un certain nombre de cercueils de leur emplacement original et interverti des momies, entraînant ainsi de fausses interprétations chez les archéologues.
Certains cercueils ont été usurpés par des personnages du Xème siècle av. J.-C.: en effet, les grands prêtres d’Amon Pinedjem Ier et Pinedjem II reposent dans les cercueils autrefois inscrits aux noms des rois Thoutmosis Ier et Thoutmosis II, encore lisibles par endroits. Par ailleurs, il faut aussi noter qu’aucun des rois du Nouvel Empire de la cachette ne repose dans son cercueil original : il s’agit de cercueils de particuliers d’une bien moins belle facture que les véritables cercueils royaux.

L’identification des momies a fait, pour bon nombre d’entre elles, débat depuis le début de leur étude et certains corps n’ont toujours pas été identifiés. Thoutmosis Ier, s’il a un temps été reconnu dans les traits d’une momie, est aujourd’hui considéré comme disparu. On peut aussi mentionner le prince sans nom ou l’inconnu E, dont la physionomie déconcertante a fait couler beaucoup d’encre : enveloppé d’une peau de mouton, ses entrailles sont demeurées intactes, preuves que ce jeune homme pourrait avoir bénéficié d’une momification à l’étranger, prodiguée par des personnes qui ne maîtrisaient pas cet art. Son rictus aurait été accentué par la dessication et la rigidité post-mortem et par le piètre embaumement de son corps.
Les momies royales du Nouvel Empire
La confusion règne au sein de cette cachette, des interversions aux pillages, des rapports incompréhensibles de Brugsch aux interprétations douteuses. Toutefois, les analyses scientifiques des corps permettent d’y voir plus clair. La découverte des momies bouleversa l’approche des égyptologues du débandelettage : jusqu’alors considéré comme un spectacle divertissant, la rigueur du procédé scientifique de débandelettage devint incontournable. Les premières momies furent débandelettées et succinctement analysées par Gaston Maspero en 1886, et les premières autopsies poussées furent prodiguées par le médecin légiste australien Elliot Smith (qui n’est pas l’auteur de Roman Candle) .

Néanmoins, si Flinders Petrie débuta l’analyse aux rayons-X des momies dès la fin du XIXème siècle, ce n’est qu’à partir de 1969 avec une équipe d’égyptologues de l’Université de Chicago qu’on les utilisa sur les momies de la cachette de Deir el-Bahari. Plus récemment, les études de l’A.D.N. et le passage au scanner des momies effectués au Caire par, entre autres, Sahar Saleem ont permis d’en apprendre plus sur les caractéristiques physiques des momies et sur les techniques de momification. On remarque des traits héréditaires : calvitie et prognathisme chez les premiers rois de la XVIIIème dynastie comme Ahmôsis ou Thoutmosis II et III , mâchoire imposante et traits plus larges chez les premiers rois de la XIXème dynastie (Ramsès Ier, Séthi Ier, Ramsès II et III). On relate également des problèmes d’ossification et d’arthrite, notamment chez Ahmôsis et Ramsès II, une obésité chez Thoutmosis III. On a pu remarquer l’évolution de la position des rois, passant des mains le long du corps au début du Nouvel Empire, à une position dite osirienne, avec les avant-bras croisés sur le torse, les poings enserrant les sceptres royaux, à partir de Thoutmosis II. Le changement de la position de l’incision de l’abdomen (dédiée à l’extraction des entrailles), a été opérée à la même époque : Si elle était auparavant pratiquée sous les côtes, on la déplace plus bas, dans l’axe du pubis, à partir de Thoutmosis II. D’autres pratiques de momification demeurent inexpliquées, notamment l’absence des parties génitales chez Ramsès II et Séthi Ier (coupées pour une signification inconnue selon Gaston Maspero ou tombées par dessication selon Elliot Smith).
L’analyse au scanner des années 2000 a permis de détecter les amulettes logées dans les bandelettes ou au sein du corps des rois. Celles-ci prodiguaient des vertus protectrices et régénératrices pour l’au-delà ; elles correspondaient souvent à des blessures physiques véritables. On peut par exemple évoquer Ramsès III, dont le gros orteil avait été amputé et qui avait été assassiné par égorgement : plusieurs amulettes prophylactiques ont été détectées au sein de ses chevilles et dans sa gorge, témoignage d’une volonté de rendre intact et intègre le corps du roi dans l’au-delà.
La cachette royale de Deir el-Bahari a permis de conserver et d’étudier un corpus de mobilier de la Troisième Période Intermédiaire et de momies royales inespéré pour la communauté scientifique. Les aléas du contexte historique ont entraîné de nombreuses incertitudes, notamment quant à l’identification de certains corps (comme la momie CGC 61065 ou celle de l’inconnu E). Néanmoins, l’étude tant dans le domaine de la paléopathologie que de la momification a permis d’établir des données archéologiques exceptionnelles. Par son intérêt scientifique et son histoire passionnante, la cachette royale de Deir el-Bahari mérite une plus grande attention et une meilleure reconnaissance de la part des médiateurs culturels auprès du grand public.
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