Hairstyle – De l’antiracisme en histoire de l’art 3/3

« L’enjeu n’est donc pas de savoir si la réponse peut être trouvée dans les intentions de l’auteur, mais bien le rôle tout aussi crucial du lecteur ou de la lectrice et de sa façon d’attribuer à l’auteur une certaine intersectionnalité » – Kobena Mercer

Nous nous étions arrêté·e·s sur cette citation à propos du travail de Robert Mapplethorpe dans le second volet des articles sur Penser l’antiracisme en histoire de l’art. Cet artiste cisgay blanc s’était particulièrement intéressé à l’érotisation du corps masculin noir. Des artistes racisé·e·s ont centré leur pratique artistique sur la réappropriation de leur corps et la défense de ce dernier face au regard blanc (néo-)colonialiste. Les normes de beauté occidentales ont été mondialisées et universalisées. Les conséquences sont une sur-appréciation des caractéristiques physiques blanches et une dépréciation violente des caractères physiques non-blanches. Un exemple qui a traversé les époques c’est le mépris criant pour le cheveu crépu au profit du cheveu lisse.

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J. D. ‘Okai Okeikere, Hairstyle serie

De longue date, la coiffure a permis de distinguer les genres, les classes et les races. Dans les récits légendaires et textes anciens, l’auteur de Un ethnologue chez le coiffeur note que la traduction du cheveu relevait d’abord de la distinction des castes ou des classes. C’est un des éléments extérieurs socialement hiérarchique. Par exemple, le cheveu féminin est associé à la séduction érotique tandis que le cheveu masculin à la séduction idéologico-politique. De façon générale, le cheveu est l’objet de codes et de conventions qui donne une grille d’interprétation sans ambiguïté pour identifier une personne par sa chevelure. Le cheveu est considéré en Occident contemporain comme le symbole féminin par excellence, il est essentialiste. Nous retrouvons la même chose avec le cheveu crépu : il est considéré – en Occident – comme un cheveu dévalorisant. On va lui attribuer toute sorte d’adjectifs racistes comme sauvage, indomptable, exotique. La différence avec le cheveu lisse voire bouclé des blanc·he·s n’est pas acceptée, ces dernier·e·s vont donc s’attacher à le faire disparaître. Les publicités pour défriser les cheveux crépus sont très nombreuses, de même que la valorisation des perruques lisses. Certain·e·s commentateurs et commentatrices du paysage politique états-uniens ont d’ailleurs écrit à plusieurs reprises qu’Obama n’aurait pas été élu si Michelle, sa femme, n’avait pas fait le choix, contraint, de défriser ses cheveux et ainsi d’abandonner la coupe afro qu’elle arborait jusqu’alors.

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Ellen Gallagher, DeLuxe

L’artiste Ellen Gallagher s’intéresse particulièrement à la double oppression subie par les femmes noires (misogynie + racisme). Pour DeLuxe elle a travaillé à partir de publicités en noir et blanc produites entre les années 30 et 70. Ces dernières ciblaient les femmes afro-américaines, elles soulignent la pression imposée aux femmes noires dans le but qu’elles se conforment à un canon de beauté dit universel, c’est-à-dire blanc. Ellen Gallagher a rassemblé des publicités sur le défrisage des cheveux, les crèmes pour blanchir la peau, les pilules amincissantes ou encore des sous vêtements. Elle vient ensuite coller par dessus des coupes afro jaune vif, des paillettes ou de l’huile de coco. Avec le titre DeLuxe l’artiste transpose le vocabulaire publicitaire à son œuvre. L’œuvre finale rassemble 60 travaux papiers. La masse d’images sert le propos de Gallagher : les blanc·he·s veulent que les femmes noires intègrent l’idée que leur peau est trop foncée et leurs cheveux pas assez lisses pour être acceptées et belles.

D’un point de vue formel, ses collages donnent une impression malaisante avec ces figures hybrides en noir et blanc, perruque jaune et yeux globuleux de jouets. La reprise des visuels publicitaires est récurrente chez l’artiste, comme on peut le voir avec les presque 400 images rassemblées dans Pomp-Bang (2003).

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Ellen Gallagher, Pomp Bang
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J. D. ‘Okai Okeikere, Hairstyle serie

Ellen Gallagher s’attache à rappeler la nature des cheveux des femmes noires là où on veut la faire disparaître. Un autre artiste s’est inquiété de ce même élément : Johson Donatus Aihumekeokhai Ojeikere, plus connu sous le nom de J. D. ‘Okai Okeikere. Il commence la photographie à 20 ans avec des portraits des habitant·e·s de son village (Ketu), après l’indépendance du Nigéria (1960) il devient professionnel. Étant au contact de la population il voit les changements de comportements et de mode pour les coiffures des femmes. Il s’inquiète de la dévalorisation grandissante des coiffures dites traditionnelles au profit du lissage. En 1968 il débute un documentaire photographique sur les coiffures au Nigéria, son plus gros projet, afin de garder une trace du savoir-faire et des traditions de son pays. Ce témoignage de pratiques culturelles féminines regroupe pas moins d’un millier d’images différentes. C’est un précurseur de la pratique de la photographie documentaire au Nigéria, il attache une importance toute particulière à archiver l’héritage nigérian, que ce soit la coiffure ou l’architecture.

Sa démarche est d’ailleurs reprise par l’artiste Medina Dugger dans une version plus colorée Ode to JD ‘Okhai Ojeikere en 2017.

Une grande sélection d’images a fait partie de la 55e Biennale d’art de Venise en 2013. ‘Okhai Ojeikere bénéficie d’une reconnaissance internationale de son travail de photographe.

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J. D. ‘Okai Okeikere, Adebe

Son vocabulaire esthétique est simple et reconnaissable : le fond est complètement vidé ainsi le regard se concentre sur la coiffure de la modèle que nous voyons généralement de dos afin de mieux percevoir la mise en place des éléments. La lumière est douce et diffuse pour un résultat en noir et blanc.

Les projets de photographie documentaire sont rarement financés et/ou à visée commerciale. Nous pouvons y voir un véritable engagement de ces artistes pour la sauvegarde de leur histoire, de leur culture et de leur identité face à l’impérialisme occidental. Leur travail contrebalance la démarche fétichiste et raciste de certain·e·s artistes blanc·he·s qui vont en Afrique faire des reportages photographiques et qui se concentrent sur une vision exotisante et érotisante des femmes noires.

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