Téo Hernandez. Éclater les apparences.

Du 8 février au 27 avril 2019, la Villa Vassilieff accueille l’exposition « Éclater les apparences » autour du cinéma expérimental de l’artiste mexicain Téo Hernandez. Sous le commissariat de la curatrice mexicaine Andréa Ancira Garcia, première boursière résidente du programme Pernod Ricard Fellows en 2016, elle présente le résultat de plusieurs années de recherches en partenariat avec la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou qui ont permis de se rapprocher des obsessions et de la personne Téo Hernandez.

La personne Téo Hernandez

Né en 1939 à Ciudad Hidalgo au Mexique, il entreprend des études d’architecture à l’Universidad Nacional Autónoma de México durant lesquelles il fonde le Centre Expérimental de Cinématographie. En 1966, il s’installe à Paris, sans que l’on sache ce qui a motivé cet « auto-exil ». Il a alors une pratique du cinéma expérimental au sein des communautés homosexuelles et de la contre-culture parisienne des années 1960 et 1970. Il fréquente d’autres artistes d’avant-garde comme Michel Nedjar, Jacques Haubois aka Jakobois et Gaël Badaud avec lesquels il fonde en 1980 le collectif MétroBarbèsRochechou Art. Si Paris reste son point d’attache, il effectue plusieurs voyages dans le monde, à San Francisco, Tanger, ou encore Florence qui deviennent les lieux d’images cinématographiques. Entre 1968 et 1991, il a réalisé environ 160 films de différentes tailles et formats (8mm, Super-8 et 16mm), la Super-8 étant prisée entre autre pour sa maniabilité. Peu de temps avant son décès en 1992 du virus du sida, il lègue à Michel Nedjar l’ensemble de ses archives, qui en fait don au Centre Pompidou afin qu’elles soient conservées et diffusées.

Nichée au cœur du quartier Montparnasse, la Villa Vassilieff était le lieu idéal pour accueillir une exposition des œuvres cinématographiques de Téo Hernandez. Dominé par la haute tour de verre et d’acier, il est le lieu de plusieurs vidéos de l’artiste mexicain. La ville se trouve en effet parmi les thèmes de prédilection de l’artiste, comme lieu de la pérégrination, des corps en mouvement, corps captés au plus près dans un cinéma qu’il qualifie de « tactile ». L’exposition est ainsi divisée en trois sections : « le je filmé », « villes intimes » et « vertiges des corps ».  Elle n’a pas vocation à présenter une analyse canonique de son travail, de se livrer à une interprétation, explication et classification au sein de l’histoire de l’art mais plutôt de faire revivre cette subjectivité sensible.

« Le je filmé »

Dans la première salle, correspondant à « le je filmé », se trouvent une carte des voyages mentionnés par Téo Hernandez, une carthographie (subjective) des zones de tolérances vis-à-vis de l’homosexualité dessinée par l’artiste qui montrent la dimension d’utopie espérée par l’ailleurs et le voyage. Dès le début, la pérégrination comme dimension existentielle et interrogative de l’existence est introduite. Sont aussi montrés des documents comme des extraits de presse, des affiches pour des événements, des photos, des notes, issus de dons des proches de Hernandez et qui nous plongent au plus près de sa personne. Un parallèle se dessine alors entre la pratique d’un cinéma de l’intime par l’artiste et la recherche de reconstituer la personne dans une dimension affective. 

30 films brefs, réalisés entre 1977 et 1984 sont présentés sur trois cubi-moniteurs. Ce sont des projets non achevés, il s’agit parfois de simples images d’arbres. Il n’y a pas de son. L’impression d’une réalité sans cesse à capter, parfois en latence, se dégage de toutes ces images. D’autres films plus aboutis comme Trois gouttes de mezcal dans une coupe de champagne, de 1983 sont également présentés au sein de cette section. En tant qu’immigré mexicain qui a vu le renouvellement de son titre de séjour refusé et qui était soumis à la verve des contrôles policiers, Téo Hernandez a un rapport singulier à la ville, fait notamment d’exclusion. Andréa Ancira Garcia l’oppose au flâneur, chez lui dans la ville, décrit par Walter Benjamin. Symbole rutilant du modernisme des années 1970, d’une ville qui cherche à ordonner les corps et les pratiques sociales, la Tour Montparnasse apparaît comme un motif récurrent de ces différents films. 

Dans Fragments de l’ange, vidéo réalisée en 1983-1984, la Tour alterne avec des images de photographies, d’amis au bord d’une rivière, de chantiers, de terrains vagues tandis que les mouvements de caméra sont vifs et saccadés. En fond sonore, la voix de Téo Hernandez évoque sa mère, sa maladie, des réflexions métaphysiques et des réflexions sur le cinéma, preuves d’une certaine influence de la Nouvelle Vague et notamment du cinéma de Jean-Luc Godard. La pérégrination et l’éclatement de l’image s’opposent à la géométrie pure, ordonnée et finie de cette architecture qui fascine dans le même temps. Les terrains vagues et chantiers apparaissent comme l’envers du modernisme. Ils sont la marge et le quelque chose en devenir. À la fin, une image des Chevaux de Marly crée un contraste entre l’immobilité statuaire et le rythme de l’image. Hernandez parle de « nostalgie des sommets ». 

« Villes intimes »

À l’étage, sont présentées plusieurs vidéos prenant place à Marseille, Florence et dans différents quartiers de Paris comme le Parvis Beaubourg de 1981-1982. Caméra au poing, il filme tout de la ville, cherche à capter ses contours alors qu’elle est le lieu par excellence de la mise en scène. Les mouvements de caméra imitent les flux et vitesse de la ville. Il y a ainsi un double mouvement dans ce cinéma : une recherche visant à se rapprocher de la réalité, par l’inclusion du plus grand nombre de détails, de sujets, du mouvement même de celui qui voit et en même temps, ce que nous voyons, c’est une image éclatée des apparences. Très éloignée de la perception oculaire, elle s’inscrit dans le champ de l’émotionnel et de la subjectivité. Dans ses carnets, Téo Hernandez fait souvent mention du jaguar qui dans la mythologie mésoaméricaine incarne la force spirituelle des chamans. Métaphoriquement, cette figure comme alter-égo atteste du désir de transcendance et de transmutation. 

« Vertiges des corps »

La figure du jaguar se réfère également à la notion de transe, aspect recherché dans les vidéos qui ont pour sujet principal le corps et le montrent souvent dans des situations de danse ou de performances corporelles. Dans la troisième section de l’exposition, la notion de cinéma « tactile » apparaît le plus clairement. La caméra se meut comme pour suivre les contours du corps. Les mouvements sont aussi ceux du corps qui filme, l’image inclut donc un autour de l’image, ce qui lui est extérieur. Le cinéaste essaye d’aller au plus près de ce qu’il filme, comme pour faire tomber le quatrième mur des conventions bourgeoises, celles dominantes et qui excluent. Cette proximité révèle parfois plus la subjectivité de Hernandez que la réalité qu’il capte. Mais la réalité est forcément fragmentaire. C’est au cœur de la perception intime de ce cinéaste expérimental que nous sommes plongés et l’intimité des petites salles de la Villa Vassilieff se prête parfaitement à ces rapprochements. 

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