
Du 17 Octobre 2018 au 6 janvier 2019, le Palais de Tokyo présentait un ensemble d’installations pensé par Tomás Saraceno et ses équipes. Ayant assistée cet été et étant profondément marquée par la carte blanche de Tino Seghal dans le même lieu en 2017, j’étais curieuse de découvrir cette nouvelle carte blanche.
Regarder l’araignée comme un guide
A travers les différentes pièces et installations, Tomás Saraceno présente de nombreuses réflexions sur l’humain, sa place dans le cosmos, sur terre et son impact climatique. Nous nous concentrerons ici sur les deux concepts les plus présents. L’exposition présente d’abord une nouvelle manière d’envisager notre relation au monde à travers l’exemple de l’araignée avant de nous introduire à son projet d’homo flotantis.
La première salle marque le visiteur qui s’y attarde souvent plus longtemps que dans le reste de l’exposition. Dans le noir, sont disposées des dizaines de toiles d’araignées éclairées. Ces toiles ont été créées par plusieurs araignées que l’artiste a placées dans un même environnement. Nous pouvons distinguer les différents tissages de toiles et admirer la beauté dans cette création de l’éphémère.
Dans les cartels, Tomas Saraceno préfère le terme de « toile-araignée » refusant de séparer l’animal de sa toile. La toile est le chemin parcouru par l’araignée, son appropriation de l’espace mais aussi le capteur sensoriel des ondes qui l’entourent. La toile visqueuse garde en elle l’ADN des éléments qui l’ont touchée, elle est le passé et le projet de l’araignée. La toile incarne physiquement des notions qui restent abstraites pour l’être humain.
La visite de cette salle culmine avec cinq fils d’araignée en mouvement dont les ondes émises forment un son transformé pour être capté par l’oreille humaine. De plus, de nombreuses toiles sont équipées d’un système qui enregistre les vibrations changeantes des toiles en fonction de données liées aux visiteurs (son, mouvement, chaleur) et influencent l’éclairage des toiles.
En deux visites, nous n’assistons pas à la même exposition. Cela permet de s’interroger sur notre place et notre impact sur notre environnement.
Dans la même réflexion, Tomás Saraceno a travaillé à la création d’un traducteur inter-espèce. Il a auparavant réussi à créer un orchestre humano-arachnéen, des instruments scientifiques traduisant les vibrations produites par l’araignée en son et les sons humains en vibrations de la toile.
L’étape suivante consiste alors à enregistrer les vibrations des particules dans l’air produites par des sons, mouvements d’êtres vivants pour essayer d’en créer un langage universel.
Si Tomás Saraceno recherche à communiquer avec l’araignée c’est parce qu’elle a eu de nombreux rôles dans les mythologies du monde, elle peut être aussi bien dangereuse qu’oracle ou enseignante. Il est possible de considérer que nous pouvons apprendre du comportement de l’araignée et nous même évoluer, c’est ainsi que le « ballooning » des araignées créant un parachute avec leur toile se rapporte au travail de l’Aerocene Explorer présenté dans cette exposition. De plus, il nous est présenté une araignée aquatique capable de solidifier une bulle d’air par du fil de soie et de respirer sous l’eau, nous interrogeant sur nos propres capacités d’adaptations.
Dans la salle « A Thermodynamic Imaginary », le visiteur se déplace dans un espace sombre, aux lumières changeantes, entouré d’installations de grandes dimensions représentants des corps célestes dont les ombres portent sur les murs. Nous sommes alors transportés, nous déplaçant à travers ces astres, nos ombres nous grandissent à une taille équivalente à celle de planètes. Des miroirs sur les surfaces des installations nous reflètent au passage. Les jeux de lumières et de perceptions de soi interrogent le spectateur avec plus de force sur sa place dans l’univers.
L’Aerocène Explorer
Le projet que porte cette exposition est celui de l’Aerocene Explorer, une sculpture formée d’un ballon qui, après s’être remplie d’air peut s’élever dans les airs par la seule chaleur du soleil. De plus, les ballons des Aerocene ont capté les particules de pollution pour pouvoir mieux capter les rayons du soleil.
Le projet Aerocene est soutenu par une grande communauté artistique et scientifique dont le manifeste était exposé. Il s’agit de chercher à voler sans autre énergie que celle naturelle du soleil et de l’air mais aussi de reconquérir les airs. Par ce vol entièrement dépendant des variations climatiques naturelles, l’homme est amené à s’interroger sur les notions de frontières et les politiques qui dictent l’appartenance du ciel. Puisque la pollution se déplace librement, l’homme doit pouvoir le faire aussi.
L’exposition nous fait réaliser notre impact sur l’air et sa pollution mais propose de voir aussi la pollution comme un nouvel élément, carburant du futur.
L’homme qui se veut « Homo flotantis » doit de nouveau considérer le soleil comme le centre du fonctionnement de sa société, chose que seules les sociétés de chasseurs-cueilleurs ou agraires ont mis en place.
La pollution humaine joue un rôle sur les installations de l’exposition, par exemple les particules de carbone dans l’air de Mumbaï sont l’encre des aérographies. Ces installations sont faites de mines rattachées à des ballons se déplaçant selon les mouvements des visiteurs.
Les motifs formés sont la marque de notre passage encré par la pollution. Dans la même salle sont exposées des toiles d’araignées encrées jetées sur du papier, devenues cartographies du passage de l’araignée, mémoire de sa conquête d’un espace. De nouveau, l’homme est mis en parallèle à l’araignée.
L’exposition nous fait réaliser notre impact sur l’air et sa pollution mais propose de la considérer comme une nouvelle ressource.
Dans le désert de White Sand en 1945 eut lieu le premier essai de bombe atomique, cette date est pour de nombreuses personnes le début de l’ère anthropocène, ère où l’homme a un impact négatif sur son environnement. En 2015, au même endroit, eu lieu un vol de 2h15 de 7 personnes par un Aerocene Explorer, devenant un record du monde de vol sans aucune énergie autres que le vent et le soleil.
La fin de l’exposition présente un ballon géant fait de plus de 20 000 sacs en plastiques récoltés dans 27 pays qui sert de musée géant de l’ère anthropocène.
La réflexion finale est que si l’Aerocene fonctionne, il n’est pas insensé de croire qu’un jour, une ville dans les nuages pourrait exister, soulevée par un ballon Aerocene géant, dérivant sans frontières au gré du vent.
Cette exposition m’a fortement marqué, par l’originalité de son organisation et le nombre d’explications données. Sur tout l’espace de l’exposition, Tomás Saraceno propose une réflexion riche sur la place de l’homme dans l’univers, sa relation au microcosme comme au macrocosme. Située en équilibre entre l’utopie et le réel, il nous invite à repenser notre conception de soi. L’installation « Algo-R(h)i(y)thms » nous installe même comme au centre d’une toile-araignée géante où nous créons les ondes vibratoires.
La carte blanche de Tino Seghal en 2017 interrogeait notre relation à l’autre, celle de Tomás Saraceno interroge notre présent dans l’anthropocène et notre futur d’homo flotantis.
Credit photos : Hermine Vaquier