
Le ciné-club de l’école du Louvre organisait le 12 février dernier une conférence sur le thème de la représentation de la nature dans le cinéma de Fritz Lang. Un sujet dont est spécialiste Zoé Marty, doctorante à l’Ecole du Louvre, qui a gentiment accepté de venir nous en parler. Si vous n’avez pas pu assister à cette présentation, en voici un compte rendu.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, quelques mots sur Fritz Lang. Né à Vienne en 1890, ce réalisateur associé au mouvement des expressionnistes allemands, écrit son premier

scénario pour Joe May en 1917. Il réalise lui-même ses films dès 1919 offrant à cette première période allemande des films notables tels que Docteur Mabuse, le joueur (1922), le très coûteux chef-d’œuvre de science-fiction Métropolis (1927) sans oublier M le Maudit en 1931. Il fuit le régime nazi en 1933. Après une courte parenthèse française (il ne réalise que Liliom), il entame une carrière Hollywoodienne où se mélangent westerns, mélodrames, films noirs et d’espionnage. Enfin, il retourne en Allemagne en 1956 pour réaliser son dernier film Le Diabolique Docteur Mabuse (1960) avant de mourir à Los Angeles le 2 août 1976. Zoé Marty nous propose une lecture de son œuvre par le prisme de la nature.
La Nature comme élément dramatique
Selon Zoé Marty, chez Fritz Lang, les formes naturelles sont des éléments dramatiques au service de la représentation de la destinée ou de la fatalité. En effet, qu’il s’agisse de paysages, d’animaux réels ou fantastiques, de végétaux ou d’éléments atmosphériques, ils deviennent acteurs dans le drame et jouent parfois un rôle décisif sur l’intrigue. Plusieurs extraits de films en témoignent.
Dans Les Nibelungen : la mort de Siegfried (1924), alors que le personnage vient de tuer un dragon dans la forêt imaginaire, un oiseau lui dit de se baigner dans le sang du dragon pour devenir invulnérable. Siegfried s’exécute, mais le dragon agonisant fait tomber une feuille sur son dos le rendant ainsi, invulnérable sauf en un point. C’est précisément par une flèche tirée en ce point qu’il mourra à la fin du film.

Dans Man Hunt (1941) la feuille qui tombe devant le viseur d’un fusil empêche le capitaine Thorndike de tuer Hitler. L’assassinat raté, le capitaine est capturé par les nazis, il s’échappe mais est traqué.
Dans Le retour de Frank James (1940) alors que Frank, criminel repenti, s’apprête à venger l’un des assassins de son acolyte, l’homme en question tombe du rocher. La nature le tue avant que Frank ne puisse le faire.
Dans House by the River (1950), le vent dans le rideau devient tueur en étranglant l’assassin pour résoudre l’énigme sans entacher les autres personnages.
Dans Le Tigre du Bengale (1958) un architecte sauve une danseuse des griffes d’un tigre. Cette dernière rêve alors d’un combat entre deux tigres qui annonce en réalité une confrontation entre l’architecte et le maharaja qui la convoite.
Dans Le Tombeau Hindou (1959), l’araignée qui tisse une toile devant l’entrée d’une grotte devient l’agent de Shiva (ou du hasard, tout dépend du point de vue) pour sauver la danseuse et l’architecte du maharaja.

Par ailleurs, chez Lang, la dialectique du chasseur chassé est récurrente. L’innocent devient souvent coupable et le coupable veut devenir innocent. Cette lutte contre le destin est le thème central de ses films et passe par une dimension tragique ou fatale.
Une Nature construite
Ce lien entre la nature et le héro, que Zoé Marty met en évidence, a été développé par l’historienne Lotte E. Eisner dans L’écran démoniaque (1952). Pour elle, ce qui permet de plier la nature aux exigences de la narration est la création artificielle de cette nature, le décor fabriqué de toute pièce. Ce procédé s’inscrit pleinement dans la tradition expressionniste et crée « une atmosphère traversée d’un mélange de sensibilité et de sentimentalité ». Ainsi, la forêt de Siegfried n’est en réalité composée que de béton recouvert de mousse.
Si le mythe s’effondre un peu à la suite de cette révélation, l’artificiel permet, outre le fait de faire jouer un rôle actif à la nature dans le film, de styliser les images par des références à l’art.
Toujours dans Les Nibelungen : la mort de Siegfried, Fritz Lang opère un croisement entre histoire de l’art et cinéma par une citation directe et assumée des œuvres d’Arnold Böcklin. Pour Zoé Marty, plusieurs tableaux de l’artiste peuvent être mis en relation avec le film notamment Source entre deux parois rocheuses (1881) qui peut évoquer l’agencement de la nature dans la scène de la mort de Siegfried mais aussi Dragon dans un défilé rocheux (1870) pour la représentation du dragon.
Vous l’aurez compris, chez Fritz Lang il ne faut jamais sous-estimer le rôle de la nature et des animaux qu’ils soient réels ou non. Alors courez voir ou revoir ces films et surtout, prenez soin de la nature !
Eloïse Poncet
Image à la une : Les Nibelungen : la mort de Siegfried, Fritz Lang.
Merci pour ce superbe partage 😃
J’aimeJ’aime