Le contrôle du corps des femmes par les hommes : entre crainte, attirance et répulsion

Les filles d’Ève et le « sexe inférieur »

La domestication du rôle des femmes est issue d’une longue histoire patriarcale et inégalitaire. À titre d’exemple, même s’il est manifeste que le contrôle du corps des femmes est plus ancien, il était évident chez tous les philosophes, médecins, théoriciens politiques et théologiens du début du XVI° siècle (période correspondant à mes recherches de doctorat et sur laquelle sera centrée cet article) de prôner l’idée que les femmes étaient inférieures aux hommes en de nombreuses façons. Ils insistaient par exemple sur le fait que la place des femmes était au foyer, que leur rôle était celui de la reproduction et de l’éducation des enfants. Ces pensées, héritées de l’Antiquité et du Moyen Âge, admettaient le fait que les sexes différaient naturellement en ce qui concerne le corps, l’esprit et le caractère. Il était largement répandu que les femmes étaient physiquement plus faibles, plus froides et plus humides, que leurs intellects n’étaient pas aussi développés que celui des hommes et que leurs émotions étaient plus fortes et par conséquent moins sensibles au contrôle de la raison. Ainsi, elles étaient pensées comme moins équilibrées et modérées.

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Lucas Cranach l’Ancien, Adam et Ève, Courtauld Institute of Art, Londres, 1528

Ceci peut être expliqué par le fait que les femmes étaient considérées comme coupables du péché originel, à l’origine d’une méfiance pour l’Église, et ont fait l’objet d’écrits à vocation restrictive, visant à établir des règles de conduite, telles que la douceur, le dévouement et surtout la chasteté. L’histoire de la chute de l’Homme, tirée du mythe biblique de la Genèse, a inspiré les fondateurs de l’Église qui ont établi la place des femmes dans la société chrétienne. Déjà, l’expulsion du couple originel, Adam et Ève, du Jardin d’Éden est vue comme une faute venue de la première d’entre elles, en l’occurrence Ève qui, selon le récit, après avoir été trompée par le Mal, mangea le fameux fruit défendu puis convainquit son époux Adam d’en manger à son tour. Cette cosmogonie établit les prémices des rapports homme-femme, et explique la place réservée aux filles d’Ève dans la société de Dieu, d’un point de vue judéo-chrétien.

Le contrôle masculin d’une sexualité féminine jugée immorale

La conséquence inhérente à ceci est relative à la soumission et à l’infériorité, pensées comme naturelles, des femmes aux hommes. Cet assujettissement à leurs pères, maris, et autres membres masculins de leurs familles, a été entériné par les lois et contrôlée par la justice. Cette dernière était bien entendu rendue par les hommes dont les convictions et les mœurs étaient celles de leur temps. C’est pourquoi l’objet n’est pas ici de porter un jugement subjectif et anachronique sur leur comportement en souhaitant refaire leurs procès, mais de se servir de l’éclairage de certains cas comme illustration du patriarcat ambiant.

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Tiré de Zink Michel, Fabliaux érotiques, Lettres gothiques, Le livre de poche, 1993

Les femmes dont la sexualité était estimée comme incontrôlée, à savoir celles qui avaient des rapports avec d’autres personnes que leurs époux, représentaient une menace particulière pour l’ordre social établi et prôné par la religion. C’est pourquoi de nombreux tribunaux ecclésiastiques du XVIe siècle avaient pour objectif d’éradiquer ce type de pratiques jugées illicites, considérées comme étant à l’initiative des femmes souhaitant séduire les hommes. Il est d’ailleurs frappant de constater que les femmes étaient plus convoquées que les hommes à ce sujet. La grossesse étant la preuve visible d’un coït, elles étaient de ce fait plus enclines à être convoquées si des soupçons de paillardise ou d’adultère étaient mis au jour.

Les méconduites sexuelles féminines étaient clairement visibles dans les insultes qui les concernaient. Les plus mentionnées dans les délibérations de justice sont celles qui faisaient référence à un mode de vie contraire aux mœurs telles que « putain », « pute », « débauchée » ou « maquerelle ». Ces allégations sont les plus infamantes, car elles remettent en cause la légitimité et l’authenticité de la filiation. La charge dégradante de ces insultes se répercutait, par conséquent, directement sur l’honneur et sur la réputation de ces femmes, et beaucoup moins sur celle des hommes pour qui la sexualité était plus difficilement contrôlée et contrôlable.

L’acceptation du corps féminin blessé

Le corps des femmes était donc sujet à de nombreuses pressions coutumières, religieuses et légales, pourtant, la justice ne les protégeait pas face à la brutalité de leur mari. Le foyer était théâtre de violences physiques et psychologiques dont les femmes étaient bien souvent victimes. L’usage de la force était même recommandé pour corriger et punir une épouse qui ne remplissait pas le rôle qui lui était incombé. Seulement ce qui était considéré comme « cruel » était réprimé par la justice par quelques jours d’emprisonnement. Il reste donc à déterminer le seuil de la violence acceptable et tolérée, puisque de nombreuses affaires témoignent d’une cruauté masculine impressionnante. Certains hommes allaient jusqu’à casser le nez, le bras ou faire perdre un œil à leur épouse. Face à cela, la justice encourageait bien souvent les cibles à rester avec leur mari, voire à s’excuser de leurs comportements considérés comme révoltés. Le maintien du mariage passait donc avant la sécurité et la santé des femmes.

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Tiré de Charageat Martine, La délinquance matrimoniale. Couples en conflit et justice en Aragon, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.

Il en va de même pour les cas de viols, la parole féminine était peu considérée et estimée. Bien souvent, les victimes étaient des servantes, jeunes filles ayant quitté le foyer familial et ne bénéficiant plus de la protection paternelle. Elles étaient sujets de vulnérabilité et soumises au bon vouloir et aux appétits charnels de leurs maîtres. Cette violence apparaît peu souvent dans les registres judiciaires car elle était vécue comme une humiliation et faisait naître chez ces femmes un fort sentiment d’avilissement. La solitude des victimes peut, de ce fait, expliquer qu’elles hésitaient à exprimer ce crime moral dégradant.

Finalement, le titre de cet article aurait pu être conjugué au présent, car la perception de la sexualité féminine ainsi que le traitement de la violence conjugale et sexuelle sont encore sujets à débats de nos jours. Ils se manifestent par exemple par le biais du slutshaming ou de procédures judiciaires trop longues où les femmes sont souvent peu écoutées et peu défendues comme il se devrait. Il reste donc de nombreux combats à mener, car le contrôle du corps des femmes par des hommes via la religion, la loi, la justice et la tradition patriarcale persiste depuis trop de siècles. L’histoire permet une nouvelle fois de tirer des leçons du passé. Réveillons-nous !

Article de Mathilde Leclercq,
doctorante en histoire moderne à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

Lectures indicatives

  • Charageat, « Décrire la violence maritale au Moyen Âge. Exemples aragonais et anglais (XIVe-XVIe siècles) », in Tracés. Revue de Sciences humaines. [En ligne], (2010), no19.
  • Ozment, When fathers ruled : Family life in Reformation Europe, Harvard University Press, 2009.
  • Sommerville, Sex and subjection : Attitudes to women in early modern society, London, Hodder Arnold, 1995.

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