Tirer un trait : le dessin face à la Révolution

1789, Révolution française, fin de l’Ancien Régime, cette date ouvre une période de grandes mutations, de recherches, d’invention et d’instabilité. Ce n’est pas seulement le domaine politique qui est touché mais tous les pans de la société aussi bien économiques que sociaux et culturels. L’exposition « Génération en révolution » au Musée Cognacq-Jay vous propose de plonger au sein de la valse des régimes politiques que représentent les années 1770 à 1815, aux côtés d’une trentaine d’artistes contemporains des événements. A travers une sélection de dessins de grands maîtres comme Fabre, David ou encore Girodet, l’exposition propose de comprendre comment l’art s’adapte à ce contexte mouvementé.

Le Musée Cognacq-Jay à Paris, fondé à partir de la collection du fondateur de La Samaritaine, accueille du 16 mars au 14 juillet 2019 une exposition exceptionnelle de dessins issus du fond d’un autre collectionneur et artiste, François-Xavier Fabre (1766-1837) qui a lui-même vécu la Révolution.

Cependant, on pourrait s’interroger sur l’intérêt de cette exposition : en quoi est–elle « révolutionnaire » ?  Tout d’abord, il n’est pas courant d’avoir la possibilité d’admirer des œuvres graphiques pour des raisons de conservations. Ce type d’objet étant très fragile, il est soumis à des normes drastiques de préservation, il ne peut être exposé plus de trois mois à la lumière et doit après cela rester au repos pendant quatre ans. Ainsi, accrocher des dessins n’est pas si simple, et c’est une raison en soi pour y aller flâner. Un autre argument repose dans le fait que ces dessins sont accessibles au public pour la première fois à Paris. Grâce au partenariat avec le Musée Fabre de Montpellier, les Parisiens peuvent contempler un échantillon de la collection de Fabre ainsi que les nouvelles acquisitions du musée. Ceci permet de rappeler l’importance des cabinets des arts graphiques trop souvent négligés. Ces 80 dessins retracent l’histoire du dessin, et plus largement des arts, sous la Révolution et illustrent l’histoire du néo-classicisme. Les dessins retenus permettent aussi d’évoquer la question du rôle du collectionneur qui  par un legs permet la création d’un musée.

A la rencontre de François-Xavier Fabre

Élève brillant de David, Grand prix de Rome en 1787, l’artiste montpellierien voit sa carrière perturbée par les événements révolutionnaires. Il choisit de quitter l’Académie de France à Rome pour s’installer à Florence. Faisant preuve de pragmatisme, il ne cesse de s’adapter aux nouvelles normes et se diversifie allant jusqu’à devenir expert en oeuvre d’art.

Révolution ou l’art en question

Le découpage du parcours en quatre salles thématiques souligne les procédés employés par les artistes pour continuer de naviguer en eau trouble. En effet, la Révolution bouleverse le monde de l’art, les académies sont fermées, l’aristocratie immigre, la production n’est plus soutenue par les commandes royales : c’est une économie de l’art qui est donc perturbée. Le dessin apparaît alors comme un médium privilégié de la période car il exprime aussi bien l’intimité, le dessein de l’artiste que le perpétuel mouvement de l’Histoire car la peinture demande, elle, un long temps de réalisation et ne peut s’adapter aux mutations. C’est donc le dessin, plus souple, qui s’impose.

Dans une première salle, c’est la vision de l’art du dessin sous l’Ancien Régime qui est mise à l’honneur. Cette thématique est associée à lenseignement de la peinture. La pratique de l’académie (soit l’étude de modèle nu lors du travail préparatoire à une peinture), permet de souligner les tensions et la rivalité qui existent entre les différents artistes. Côte à côte, trois académies synthétisent l’exposition : une feuille de Girodet, une de Fabre et une de Suvée. On remarque alors que, sous la Révolution, le trait se libère, passant de la simple copie des œuvres des grands maîtres à une expression plus personnelle.

Papiers intimes

Face aux fluctuations sociales, l’art a tendance à se recentrer sur la figure de l’individu. N’oublions pas néanmoins que c’est dans un objectif plus concret que réapparaissent au même moment les scènes de genres et les portraits. Ces types de réalisation assurent un moyen de subsistance à leur créateur. Les toiles de petits formats sont plus aisées à écouler et répondent aux demandes de la bourgeoisie de plus en plus importante. Par conséquent, un système de vente parallèle aux traditionnels salons s’instaure. C’est dans cette veine artistique que des figures majeures s’épanouissent à l’instar de Fragonard et de Pierre-Paul Prud’hon. Ce dernier incarne à lui-seul la lutte pour la reconnaissance et la volonté de réussir de toute une génération. Prud’hon est l’un des rares artistes à ne pas être issu de l’atelier de David, il part de lui-même, seul, en Italie pour se former. La conception de cette exposition a le mérite de rendre hommage à cette forte personnalité. 

prud'hon

(Re)dessiner l’Histoire

Le goût pour la peinture d’histoire n’est pas totalement perdu, au contraire les différents régimes issus de la Révolution vont l’utiliser en accentuant son rôle moralisateur. La jeune République cherche à s’ancrer en s’inspirant des témoignages de vertu de l’antiquité romaine. Une large part des dessins exposés dans la troisième salle correspond à des études pour des toiles historiques, en majeure partie présentée au Musée du Louvre ou au Musée Fabre. Néanmoins ici les traits sont plus vifs, plus nerveux, le sentiment est exacerbé et magnifié par le noir et blanc du dessin. Si les récits antiques sont une source d’inspiration essentielle, ce n’est cependant pas la seule. La réappropriation des chefs d’œuvres italiens tels que le plafond de la Chapelle Sixtine et le prolongement de l’esthétique de Poussin (et de ce fait du classicisme) nourrissent le vocabulaire des œuvres révolutionnaires, ce qui se traduit par le retour des thèmes bibliques. La Révolution est donc bien un moment clé lors duquel de multiples esthétiques se côtoient. On pressent déjà dans la fascination pour l’Orient alimentée par la campagne d’Egypte et la redécouverte de l’époque médiévale, le romantisme qui s’impose au XIXe siècle. La richesse des exemples mis en vis-à-vis dissuade d’une appréhension simplement linéaire de l’Histoire de l’Art.

Le paysage, un nouveau refuge

La fuite artistique aussi bien que physique est choisie par une part des artistes. A l’image du parcours de Fabre, l’Italie devient un asile où le genre du paysage connait un important renouveau. Loin d’être une invention, ce genre s’affranchit alors du cadre historique, il est désormais considéré comme un sujet en tant que tel. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que ces productions sont des reflets fidèles d’un motif, le paysage fait l’objet d’un regard mental qui le recompose comme il devrait être et non comme il est tangiblement. L’un des biais majeur pour appréhender cette nouvelle conception est celui du projet éditorial de l’Abée de St-Non avec le Voyage pittoresque (1781) qui rassemble plusieurs vues de l’Italie alliant pittoresque et goût des ruines. De Castellan à Moulinier, du prisme idéaliste au méandre métaphysique, de la nature à la ville, le genre du paysage devient un lieu à part, une respiration hors du temps et paradoxalement un choix personnel inscrivant cependant l’artiste dans l’existence commune d’une société.

Une exposition vivante

Si la scénographie insiste sur la place du dessin dans lapprentissage artistique, elle ne considère pas pour autant le visiteur comme simple spectateur. Plusieurs ateliers de dessins sont proposés de 30 minutes à 3 heures et sont encadrés par des plasticiens pour se confronter à la réalité de la matière. Afin d’aller plus loin dans cette idée de création, le collectif Les soirées animées, réalisera sous le regard du public une grande fresque destinée à recouvrir les murs dans le comble. Une occasion originale de rendre hommage au travail en atelier des artistes du XIXe siècle.

 

 

Commissariat général :
Annick Lemoine, directrice du musée Cognacq-Jay
Rose-Marie Herda-Mousseaux, conservateur en chef pour l’époque moderne au Louvre Abu Dhabi
Michel Hilaire, directeur du musée Fabre

Commissariat scientifique :
Benjamin Couilleaux, directeur du musée Bonnat-Helleu, Bayonne
Florence Hudowicz, responsable du département des arts graphiques et des arts décoratifs au musée Fabre

 

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