Versailles : les jardins de Louis XIV

Charles Lebrun, Portrait de Louis XIV, vers 1661 1662, huile sur toile, conservé au château de Versailles (MV 5930)
Charles Lebrun, Portrait de Louis XIV, vers 1661-1662, huile sur toile, conservé au château de Versailles. Crédits: domaine public

Lorsque Louis XIV décide d’embellir l’ancien pavillon de chasse de son père, Versailles n’est alors qu’une « plaine ingrate[1] » infestée de moustiques et recouverte de forêts. Quelques années plus tard, avec l’aide du jardinier Le Nôtre, le jeune roi l’aura transformée en bosquets, parterres, jeux d’eau, autant de lieux pour des fêtes mémorables où son pouvoir magnifié éblouira toutes les cours européennes. Les jardins de Versailles sont le parfait exemple de l’art au service du pouvoir absolu voulu par le jeune Louis XIV. Reflet de l’organisation étatique, ils connaissent une évolution singulière. Le jardin mystérieux des débuts devient ainsi un jardin minéral dès la seconde moitié de son règne, là où rigueur économique et religieuse sonneront la fin des fêtes. Tout au long du règne, les jardins seront un lieu d’influence, où les promenades quotidiennes du roi, les fêtes extravagantes impressionnent les courtisans et les souverains étrangers.

Partons donc à la découverte des jardins voulus et rêvés par un jeune Louis XIV désireux de légitimer son pouvoir.

[1] Saint-Simon dans ses Mémoires, décrit Versailles comme « le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux ».

Créer les jardins

Le jeune Louis XIV accède au pouvoir en 1661, peu après les événements de la Fronde menée par des nobles désireux de renverser la figure royale à leur profit. Rêvant d’un palais dans l’ancien domaine de chasse de Louis XIII, il choisit André Le Nôtre pour réaliser les jardins de son futur château.

Vue_du_château_de_Versailles_1660-1664
Israël Silvestre, Vue du château de Versailles côté jardins, vers 1660, eau forte, conservée au château de Versailles. Crédits: domaine public.

De 1662 à 1665, Le Nôtre trace le grand axe et les premiers bosquets qui constitueront les bases des jardins de Versailles. La mode des bosquets vient d’Italie où les boscos existent dès le XVe siècle, notamment dans les villas médicéennes comme celle de Castello en Toscane. Ils auraient été importés par Marie de Médicis, la grand-mère de Louis XIV, qui, en devenant reine de France aurait fait connaître l’art des jardins si chers aux Médicis.

A gauche : Le bosquet des trois fontaines, voulu par Le Nôtre en 1677 et restitué à l’identique en 2005. A droite : Le bosquet de la salle de bal, le dernier bosquet aménagé par Le Nôtre, entre 1680 et 1685. Il était auparavant doté d’un îlot qui supportait une piste de danse circulaire. 

Les seconds aménagements ont lieu entre 1666 et 1679. Une rampe monumentale en fer-à-cheval va désormais relier les jardins hauts et bas, permettant ainsi d’en doubler la surface. Le Grand Canal, si emblématique de Versailles, est creusé à cette période. Les bosquets jusqu’alors vides, sont décorés tout comme les parterres.

Le char d'Apollon et le tapis vert
Le char d’Apollon et le « tapis vert » des jardins de Versailles. Crédits: Wikipédia commons.

Selon Michel Baridon[1], le travail de Le Nôtre à Versailles peut être défini par quatre éléments : symétrie, proportion, accord et harmonie. C’est la naissance du jardin à la française régi par une perspective en axe, « le tapis vert », qui atteint à Versailles une longueur de 330 mètres et dont le point culminant est la fontaine du char d’Apollon.

Les bassins emblématiques de Jules Hardouin-Mansart, plus architecte que jardinier, n’apparaîtront qu’à partir de 1680. Ce sera alors la création du bassin de Neptune, de la pièce d’eau des Suisses et l’ajout de derniers décors dans les bosquets.

A Versailles, Le Nôtre imagine des jardins qui vont dialoguer avec le château déjà en place. Château et jardin fonctionnent en paire pour incarner le nouveau pouvoir de Louis XIV. La perspective des jardins commence par le centre du château, et peut être admirée depuis l’étage noble (celui qui recevra plus tard la célèbre galerie des glaces). Les grandes allées amènent le regard jusqu’au palais, les décors soignés des bosquets rappellent des salons de réception. Les actions du gouvernement se traduisent également dans les jardins : lorsque le ministre Colbert lance en 1669 la Grande réforme forestière appliquée dans tout le royaume, des plantations massives sont effectuées dans le parc de Versailles jusqu’en 1672. Tout doit concourir à célébrer le jeune souverain.

Façade côté jardin
Vue de la façade du château côté jardin, crédits : Wikipédia commons.

[1] BARIDON Michel, Les jardins de Versailles, Arles : Actes Sud, 2001

Rêver le pouvoir

Imaginer des jardins royaux comme le reflet d’un bon gouvernement n’est pas une idée inventée par Le Nôtre. Elle circule déjà dans les sphères intellectuelles de l’époque. Le philosophe Bossuet voit ainsi dans les jardins :

«  L’image de Dieu qui assis sur son trône au plus haut des cieux, fait aller la Nature »

Louis XIV a bien assimilé cette idée. Dans ses Mémoires à destination de son Dauphin de fils, il explique comment le roi doit ordonner la société à l’image de la main de l’Homme qui force la Nature pour en faire naître des jardins.

Les jardins de Versailles sont également en lien avec la monarchie absolue voulue par Louis XIV, à grands renforts de symboles.

Ces symboles apparaissent de deux manières, par le biais de la mythologie et d’allégories contemporaines. Si leurs formes évoluent au cours du règne de Louis XIV, ils auront toujours le même but : illustrer et exalter le pouvoir absolutiste. Dès 1663, le roi crée une petite académie pour imaginer la symbolique des jardins qui serviront le discours de sa monarchie. Charles Le Brun, le peintre de la future galerie des glaces, est ainsi chargé d’établir un programme iconographique jusque dans les années 1670.

On insiste sur le symbole du soleil, dont la course est illustrée par le grand axe et par la figure d’Apollon. Image du pouvoir absolu, il est le dieu solaire, initiateur et protecteur des Arts. Avec la perspective centrale, Apollon naît au parterre de Latone et se couche près de la grotte de Téthys aujourd’hui disparue.

Si cette symbolique nous échappe aujourd’hui, les contemporains de Louis XIV l’avaient bien comprise. Charles Perrault, le célèbre auteur de contes, rapporte :

« qu’Apollon va se coucher chez Téthys après avoir fait le tour de la Terre pour représenter que le roi va se reposer à Versailles après avoir travaillé à faire du bien à tout le monde »

Apollon se retrouve aussi dans le triomphe du Python dans le bassin du Dragon, dont le décor est posé en 1668. Pourquoi le Python ? Ce serpent gigantesque, difforme et hideux, tyrannisait les habitants de Thèbes qui supplièrent le dieu Apollon de venir les aider en le tuant. Ainsi, tout comme Apollon, Louis XIV triomphe du désordre de la Fronde pour imposer ordre et harmonie. C’est la victoire du dieu solaire contre les forces des ténèbres.

Fontaine du Dragon
Bassin du dragon, septembre 2015. Crédits : Wikipédia commons.

Le bassin de Latone est également une référence plus personnelle à Louis XIVLes sculptures représentent le mythe de la naissance d’Apollon. Attendant des jumeaux du roi des dieux Jupiter, Latone (ou Léto chez les Grecs) est poursuivie par la fureur de Junon. Elle ne trouve refuge que sur les rives d’un étang, là où les paysans vont s’empresser de la chasser. Jupiter se venge alors en les transformant en grenouilles. Latone donnera ensuite naissance aux jumeaux Apollon et Diane. Ce serait ainsi un parallèle avec les moments difficiles que vécut Anne d’Autriche, la propre mère de Louis XIV, durant la Fronde. Le roi aimait particulièrement cet endroit, puisqu’il recommande dans sa Manière de montrer les jardins de Versailles de faire une pause dans sa promenade pour l’admirer.

Apollon n’est pas le seul dieu cité, le reste du panthéon gréco-romain est également mis à contribution.  Jupiter, roi des dieux, est naturellement représenté dans le bosquet de l’Encelade. Louis XIV insiste sur son pouvoir absolu en montrant les rebelles châtiés, comme le géant de l’Encelade disparaissant sous les roches précipitées par Jupiter. Cette iconographie se retrouvera ensuite dans la Grande Galerie peinte par Charles Le Brun.

Pourtant dans les années 1680, à l’apogée de son règne, Louis XIV décide de se défaire du symbole du soleil. La raison de ce changement est mal connue. Des spécialistes proposent l’hypothèse que le roi ne voulait pas que Versailles devienne une réplique de palais antique et qu’il soit ainsi comparé à un empereur païen. En abandonnant ce programme mythologique, il va privilégier dès lors des thèmes liés à la Nature et une simplification des décors. De nouveaux bosquets sont inaugurés comme celui des Colonnades. Appelé « le jardin de marbre » par ses contemporains, imaginé par l’architecte Mansart, remplaçant le bosquet des sources de Le Nôtre, il est très éloigné de l’inspiration italienne des premiers bosquets où le mystère s’alliait à la surprise. Les jardins de Versailles doivent désormais être monumentaux et pourvus de groupes statuaires renvoyant à des événements contemporains.

Bosquet de la colonnade
Bosquet de la Colonnade, crédits: Wikipédia commons.

Par la suite, la disparition de la grotte de Téthys au profit d’une chapelle construite en 1708 signe définitivement un changement de goût et la volonté de Louis XIV de se tourner vers la religion.

Fêtes et promenades

La mise en scène de Versailles connaît son apothéose lors des fêtes qui sont organisées en son sein. Les jardins deviennent leur écrin en plaçant le roi comme le nouvel instigateur des Arts.

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Louise de la Vallière. Crédits : Wikipédia commons.

Les premières festivités données par Louis XIV à Versailles vont se dérouler sur une semaine. Les Plaisirs de l’île enchantée ont lieu du 6 ou 7 mai jusqu’au 14 mai 1664, leur nom étant tiré d’une série de poèmes du Roland furieux de l’Arioste. Comme d’autres fêtes organisées par la suite, elles sont en l’honneur de l’actuelle maîtresse du roi, qui est alors Louise de la Vallière.

Le bassin d’Apollon devient le lieu où la magicienne de l’Arioste retient les chevaliers. On retrouve dans ces poèmes le merveilleux et le mystère, comme les bosquets ont été imaginés au départ. C’est lors des Plaisirs Enchantés qu’est joué pour la première fois Le Tartuffe de Molière. Des théâtres éphémères sont dispersés dans les jardins, des lampions permettent de les illuminer à la nuit tombée et la fête se termine par un feu d’artifice. Pour l’occasion, Lully compose également plusieurs pièces et ses musiciens sont dissimulés dans les bosquets pour permettre aux invités de déambuler dans les jardins sans les voir.

L’autre fête mémorable organisée dans les jardins est « le Grand Divertissement royal », et aura lieu lors d’une unique journée, le 18 juillet 1668. Cette fois-ci, il n’y a pas de prétexte littéraire,  la victoire fêtée est réelle et non plus allégorique. C’est la célébration du traité d’Aix-la-Chapelle marquant la fin de la guerre de Dévolution (1667-1668) et le rattachement de la Franche-Comté à la France. Comme pour les Plaisirs Enchantés, la maîtresse du roi – devenue désormais Madame de Montespan – est mise à l’honneur. Le « Grand Divertissement royal » est également l’occasion de montrer l’immense richesse du roi, puisqu’elle coûtera 117 000 livres pour un seul jour. Des œuvres d’art sont placées dans les feuillages, on joue de nouveau Molière et Lully. On dresse un salon éphémère qui accentue le lien entre château et jardin.

La nature est un enchantement qui permet l’exaltation du roi. L’artiste Vigarani se charge des décors qui illustrent un idéal champêtre. Plus tard, il participera à la réalisation de nouveaux bosquets comme celui du Théâtre d’eau. On fait tirer des coups de canon lors du feu d’artifice, représentant le combat entre l’eau et le feu tout en soulignant la victoire militaire de Louis XIV.

L’ultime grande célébration durera presque deux mois, du 4 juillet au 31 août 1674, et sera organisée pour fêter la reconquête de la Franche-Comté. Ce sera la dernière de ce type, puisque comme pour le décor iconographique, Louis XIV annonce un changement dans sa politique.

On préférera dès lors les fêtes plus intimes, données au château et appelées « fêtes d’appartement ».

Conclusion

Les jardins de Versailles ont donc permis de placer Louis XIV comme un grand souverain, à la fois roi absolu, militaire victorieux et instigateur des Arts. La monumentalité et les immenses sommes mises dans la construction des jardins soulignent la toute puissance du roi. Ils exaltent son pouvoir et serviront de modèles à de nombreuses monarchies européennes qui reprendront les schémas des jardins de Versailles.

Si le sujet vous intéresse…

La grotte de Téthys, aujourd’hui disparue, a fait l’objet d’une récente reconstitution 3D dans un documentaire diffusé en juin 2019 sur Arte. Réalisé par Marc Jampolsky, Versailles, le palais retrouvé du Roi Soleil propose plusieurs hypothèses pour replacer le groupe statuaire d’Apollon et les nymphes au sein du pavillon dont nous ne connaissons que des gravures et quelques plans.

Bibliographie & Webographie

BARIDON Michel, Jardins de Versailles, Arles : Actes Sud, 2001

LABLAUDE Pierre-André, Les jardins de Versailles, Paris : Nouvelles éditions Scala, 2010

PINCAS Stéphane, Versailles : Un jardin à la française, Paris : La Martinière, 1995

Site internet du château de Versailles :

http://www.chateauversailles.fr/resources/pdf/fr/public-spe/brochure_jardins.pdf

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