
Les journées du patrimoine ayant eu lieu le week-end dernier, trois rédacteurs de Florilèges nous présentent aujourd’hui leurs visites respectives dans trois lieux du patrimoine français, bien différents, et bien représentatifs de la diversité de nos monuments !
L’hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France
Mael Vandewalle
Au coeur du 1er arrondissement se trouve le siège de la Banque de France, la banque centrale française s’y est installé en 1811 soit seulement onze ans après sa création par Napoléon Bonaparte, alors fraichement devenu Premier Consul en 1800. Situé entre le Palais-Royal et la Place des Victoires, son siège se situe en réalité dans un des plus fastueux et anciens hôtels particuliers de la capitale, l’hôtel de Toulouse. L’hôtel primitif avait été construit pour Louis Phélypeaux de La Vrillière, secrétaire d’Etat sous Louis XIII puis sous Louis XIV, dans les années 1640 par François Mansart. Hôtel à la française entre cour et jardin, son second propriétaire prestigieux qui lui donna le lustre que l’on peut encore en partie admirer aujourd’hui fut Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse et fils naturel de Louis XIV et de Madame de Montespan.
Ma visite au sein de ce lieu incroyable fut à la fois source d’émerveillement et instructive grâce aux équipes de médiation de la Banque de France qui m’ont expliqué de manière ludique et simple le processus de fabrication, de conservation et de distribution de la monnaie, son historique permettant de voir que depuis sa création en 1800, la Banque de France a perpétué la fonction régalienne de « battre monnaie » ou aujourd’hui de faire marcher la planche à billets. Toutefois, j’aimerais vous parler davantage de la valeur patrimoniale de ce lieu méconnu du public et qu’il est particulièrement exceptionnel de pouvoir admirer grâce aux Journées européennes du patrimoine. Ses salons de réception meublés tour à tour à la mode rocaille du plein XVIIIe siècle ou plus néoclassique dans le goût du Directoire puis du Consulat et de l’Empire sont une formidable introduction au joyau de ce lieu, la Galerie dorée.
Longue de quarante mètres et haute de huit mètres, elle est l’une des galeries françaises d’Ancien Régime les mieux conservées et exceptées ses dimensions, son faste n’a rien à envier à la Galerie des Glaces à Versailles. Elle fut construite par François Mansart pour abriter l’exceptionnelle collection de peintures italiennes de Louis Phélypeaux de La Vrillière constituée autour du chef-d’œuvre de L’Enlèvement d’Hélène de Guido Reni (Paris, musée du Louvre). La voûte peinte par François Perrier entre 1646 et 1649 mais refaite au XIXe siècle, déploie en son centre le char d’Apollon accompagné des représentations des Quatre Éléments en périphérie figurés sous les traits de divinités romaines. Mais le décor de bois sculpté doré qui a donné son nom à la galerie attire immédiatement le regard. Il fut réalisé pour le comte de Toulouse par l’architecte Robert de Cotte et le sculpteur du roi, François-Antoine Vassé entre 1714 et 1719. D’une abondance exceptionnelle, il est riche en trophées de chasse et de pêche rappelant les charges de Grand Veneur et d’Amiral de France occupées par le fils naturel de Louis XIV. Il fait ainsi la part belle aux motifs issus de la nature à l’instar des coquilles, des têtes de poissons, des filets de pêche, des hures de sanglier, des tortues ou des lions… Un amoncellement de motifs issus de la nature représentés avec précision dans un chaos dissymétrique et sinueux savamment agencé. Ce style si particulier et inédit en ce début de Régence de Philippe d’Orléans fait de ce décor un jalon dans le décor intérieur français du XVIIIe siècle comme un premier exemple de décor rocaille en France. Il reste une œuvre de transition par l’héritage versaillais fort que l’on ressent aussi bien dans l’importance donnée à cette galerie, apanage des palais de la plus haute noblesse, que dans l’iconographie qui dispose en abondance les figures mythologiques elles-mêmes invoquées avec force à Versailles. Une galerie éminemment politique donc pour celui qui faillit accéder au titre de prince du sang si la Régence n’avait pas réduit à néant ses ambitions.
Cette galerie vaut à elle seule le détour à la Banque de France. Chef-d’œuvre artistique et habile démonstration politique, elle marque la transition vers un XVIIIe siècle qui commence à s’affirmer à la suite de la mort de Louis XIV et annonce une époque dévolue aux plaisirs et au beau.
La collégiale de Picquigny dans la Somme
Anne-Elise et Anne-Flore Guilbert–Tetart
Picquigny, village picard se situant dans la Somme, était animé pour les Journées Européennes du Patrimoine. Sous un soleil radieux, les membres de l’association « les amis de la collégiale de Picquigny » accueillaient les visiteurs pour une visite guidée de la collégiale Saint-Martin. Église paroissiale depuis la Révolution Française, les messes y sont toujours célébrées. Cet édifice reste exceptionnel et est classé monument historique depuis 1906.
Cette collégiale a été fondée en 1066 par Eustache de Picquigny qui était à cette époque premier Vidame d’Amiens et avait comme destinée d’être la chapelle du château. Cependant, il reste peu de traces de cette période et elle a été remaniée plusieurs fois. Par exemples, la nef est du XIIIe siècle tandis que le clocher est du XVIe siècle. De plus, de nombreuses restaurations ont eu lieu dans la seconde moitié du XXe siècle suite à un incendie qui a détruit la toiture de la nef, l’orgue, le mobilier et les vitraux. Les travaux continuent encore aujourd’hui, aussi bien pour les tableaux que pour l’architecture.
Cette collégiale accueillait les huit chanoines de Picquigny qui vivaient au sein du village. Elle a aussi une attribution funéraire et les seigneurs locaux y étaient inhumés. L’édifice possède aussi un accès à une cave qui était auparavant reliée au château et dont la richesse repose aujourd’hui sur les nombreuses inscriptions laissées par ses visiteurs : un retour dans le passé.
Depuis le 1er janvier 2018, Picquigny abrite un des rares Service intercommunal d’archivage de France. Ce service pour la Communauté de Communes Nièvre et Somme a pour but de collecter, conserver et valoriser les archives liées à ces trente-six communes. Dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, un programme spécifique a été concocté par Gautier Gente, archiviste de ce service. Il se constituait de visites du service, permettant aux visiteurs souvent originaires des villages de la communauté de communes d’en apprendre un peu plus sur les manières de manipuler et conserver ces documents. De la conservation préventive mais aussi de l’histoire car un focus sur certains documents anciens était réalisé. C’était aussi une manière de comprendre la mise en place de leur conservation d’un point de vue local car cette structure est jeune et encore en développement.
Des activités plus ludiques étaient aussi proposées comme la manière d’étudier un cadastre napoléonien et une initiation à la généalogie. Pour ce dernier, il s’agissait d’une première approche en utilisant uniquement les cahiers de déclaration de naissance dont certains dataient du XVIIIe siècle. Les visiteurs étaient répartis en équipes et chacune devait travailler sur un village. Cette approche était des plus intéressantes car souvent ces visiteurs souhaitaient retrouver des informations sur leurs aïeux mais se demandaient la marche à suivre. La mise en place de ces activités a donc mis en lumières un patrimoine trop souvent oublié mais qui est la mémoire commune des citoyens.
Châteaubleau en Seine-et-Marne
Célia Bellache
Le site de Châteaubleau se situe dans un petit village de la campagne seine-et-marnaise à quelques kilomètres de la cité médiévale de Provins. Aux Ier et IIe siècles ap. J.-C, Châteaubleau est un sanctuaire religieux particulièrement renommé pour ses divinités aquatiques. Encore en fouilles aujourd’hui, Châteaubleau accueille ainsi tous les étés plus de 70 étudiants archéologues.

Le premier monument à être découvert sur le site est le théâtre, à la fin du XIXe siècle. C’est de ce théâtre que vient le nom de « Châteaubleau » car a longtemps cru que c’était les ruines d’un ancien château. Une grande partie de ce théâtre comme son mur de scène ont disparu. Pour autant, on peut encore voir le tracé des gradins, deviner les entrées, et imaginer ses dimensions. Il pouvait accueillir environ 3000 personnes bien qu’on ne sache pas à quelle hauteur s’élevaient les gradins. On peut également penser que c’était des scènes en lien avec le culte local qui y était joué.


Le second endroit qui a participé à la renommée de Châteaubleau est le sanctuaire des sources avec ses deux bassins encore en eau aujourd’hui puisqu’ils sont alimentés par une nappe phréatique. On peut encore voir les marches qui permettaient de descendre dans ces bassins. En effet, ces bassins étaient le lieu d’ablutions car l’eau avait la réputation de soigner les maux d’yeux et les problèmes de fécondité. On a ainsi retrouvé de nombreuses pièces, car les gallo-romains avaient l’habitude d’en jeter pour voir exaucer leurs prières. Une coutume italique encore conservée aujourd’hui comme on peut le voir à la Fontaine de Trévi !

Contrairement au théâtre ou aux différents temples, le sanctuaire des sources se situait à l’écart de la ville, perdu dans la nature. On connaît plusieurs restitutions de son élévation totale, et on sait qu’il possédait quatre galeries formant un bâtiment quadrangulaire. Les bassins, eux, étaient placés au centre dans une cour sans toit.

Lors des JEP, les bénévoles de l’association La Riobé ont également fait des démonstrations de frappe de monnaies sur de l’étain. En effet, Châteaubleau n’était pas uniquement connu pour son sanctuaire religieux mais aussi pour son importante production de fausse monnaie. On en a retrouvé jusqu’en Angleterre !
