
La ville de Nogent-sur-Marne propose pour la rentrée deux expositions, permettant de partir à la découverte du monde du graphisme grâce à deux figures différentes, qui peuvent sembler opposées ; Etienne Robial (né en 1945) et Vanni Tealdi (1928-1998). L’un largement connu refuse le terme d’artiste, son but n’est point l’esthétique mais l’efficacité tandis que l’illustrateur italien cherche par le trait et la couleur à émouvoir le spectateur. Face à ces deux figures, il faut revenir aux fondements de l’esthétique : Qu’est-ce que l’art ?
Le graphiste sur-reconnu à la carrière brillante face à un affichiste à moitié oublié
La Fondation des artistes organise à Nogent-sur-Marne deux expositions sur le graphisme, ou pour être plus exact, une exposition réellement constituée et un simple accrochage sans la moindre médiation; ce qui est d’ailleurs à déplorer. Sans grande surprise, c’est Etienne Robial qui capte toute l’attention. Même si vous ne vous intéressez pas à ce milieu, vous connaissez son travail sans le savoir. C’est à lui que l’on doit l’habillage de la télévision française notamment de Canal+.
Deux noms traités de manières radicalement différentes nous interrogent par leur portrait dos-à-dos sur l’essence de l’artiste.
Au format et à la grille
Si le monde du graphisme vous est étranger, l’ouverture de l’exposition peut sembler déroutante. Au travers d’un étroit couloir est présenté le panel des formats existants et utilisés par le graphiste. La création et le choix du format répondent entièrement à des données mathématiques et géométriques. Rien n’est laissé au hasard ou à l’esprit créateur de démiurge. Le format le plus utilisé est celui du rectangle d’or. En effet, d’après des études statistiques, c’est celui que le spectateur apprécie le plus. Vous voilà maintenant averti sur l’exposition. Dans une atmosphère très dépouillée, le commissaire d’exposition, ainsi que l’invité ont réfléchi à un dispositif original. Les travaux ne sont pas accrochés au mur ou à plat. Les visiteurs se trouvent confrontés à des plans inclinés formant, aux dires des organisateurs, l’angle idéal avec l’œil. Cette approche a le mérite de faire pénétrer le visiteur dans une atmosphère particulière.
Liberté artistique ou efficacité commerciale ?
Etienne Robial, co-fondateur de Futuropolis, libraire mais également directeur artistique pour Canal+, a touché à divers domaines. En 1972, naît Futuropolis, librairie puis, rapidement, maison d’édition de la bande dessinée originale. Elle permet grâce, à à de jeunes artistes de se faire connaître par des éditions à faible coût (absence de couleur, diversité du catalogue, petit feuillet…). Le cumule du statut de libraire et d’éditeur engendre une plus grande liberté dont témoigne la variété des BD publiées. Dans l’arrière de la boutique, se font les rencontres cruciales pour l’avenir d’Etienne. C’est ainsi qu’il contribue à la revue Métal Hurlant (1975).
Néanmoins, n’oublions que le graphiste est avant tout un pragmatique. Effectivement, il finit par revendre Futuropolis à Gallimard et poursuit son ascension. Comme il l’affirme de ces propres mots, il n’a jamais été un réel amateur de BD et ne regarde pas la télévision. Son travail n’est pas de créer quelque chose de « beau » pouvant toucher la sensibilité du spectateur. Son objectif est beaucoup plus terre-à-terre, il cherche l’efficacité promotionnelle de son logo, la mise en page qui va fidéliser le public. Son approche est celle d’un graphisme né de logique mathématique, on pourrait même parler d’un art industriel comme tend à l’étayer l’usage du banc de reproduction.
Mass média et la marque unique
Sa spécialisation sera donc la mise en place de ce qu’il appelle la « marque unique », pour un même groupe, une même entreprise, il promeut une identité graphique unique reconnaissable par tous afin d’assurer la cohésion et la diffusion les plus aisées. Il n’est pas difficile d’en voir les fruits, qui composent les 2/3 de l’exposition. Canal+, la sept, M6 et d’autres passent par ses mains afin d’obtenir leur logo et leur alphabet. On peut reconnaître l’intérêt de cette partie, qui permettrait, si une réelle médiation avait été mise en place, de découvrir l’histoire des médias de masse et tout particulièrement de la télévision. Par exemple, un encart sur la chaîne Canal+ aurait eu son intérêt; il s’agit de la première chaîne de télévision à diffuser en continu, d’où l’ellipse symbolisant toutes les heures de la journée sur son premier logo.
On peut donc faire un véritable reproche à la scénographie qui, au lieu d’inclure le public, le met à distance, ne rendant donc pas possible le dialogue avec le visiteur. Est-ce là un écho au travail d’Etienne Robial, un travail dépouillé jusqu’à l’extrême ne cherchant aucun message à véhiculer ?
Le voisin méconnu : Vanni Tealdi (1928 – 1998)
A quelques mètres de la première exposition se trouve l’accrochage dédié à Vanni Tealdi à la Maison nationale des artistes. Malheureusement, Tealdi n’a pas le droit aux mêmes égards que son « confrère ». Et pourtant, il y aurait eu des choses à dire ! Certes l’affichiste crée dans l’idée de faire connaitre un film, de donner envie au spectateur d’aller au cinéma, néanmoins, sa création doit toucher le public, émouvoir, interroger. N’est-ce pas d’ailleurs là le propre de l’art que d’être un médium où la conscience de l’individu s’éprouve ainsi son appartenance à un groupe qu’est l’humanité ?
L’affiche se doit d’évoquer la fiction qu’elle promeut. C’est également une opportunité, une porte laissée ouverte au spectateur de nourrir son imaginaire. Sa force est sa capacité à suggérer plus qu’à montrer. Qui donc n’a jamais été voir un film, ou choisi un livre à cause de sa couverture et surtout du cheminement de notre imaginaire ?
Par le travail de Tealdi, c’est l’histoire du cinéma qui se déroule et dotant plus la branche populaire. L’aspect choisi pour l’accrochage est ses créations d’affiches de films réalisées entre les années 1960 et 1980. Fleurisse à cette époque les films noirs, les westerns spaghetti tel que une Poignée de Dollars, la science-fiction à l’instar de Godzilla etc. Chaque affiche est le fruit d’une réflexion, d’un travail pour s’accorder à l’esthétique du cinéaste et de son époque, de véritables œuvres d’art à part entière qui sont d’ailleurs signées par leur auteur, ce qui n’est pas le cas dans le graphisme, selon Etienne Robial.
L’illustrateur avait une place prépondérante à l’époque, puisque c’est encore lui que l’on appelle pour réaliser la promotion, les couvertures de livres ou autres médias. Artistes donc clef avant d’être remplacés par les photographes.
La Fondation des Artistes et MABA
Cet organisme reconnu d’utilité publique en 1976 permet d’accompagner les artistes de la sortie de l’école d’art jusqu’à la fin de leur vie. La MABA, faisant partie intégrale de la Fondation, accueille dans un site privilégié un espace d’exposition ainsi qu’un EHPAD réservé aux anciens artistes. C’est dans le hall et salon d’entrée que se situe l’accrochage dédié à Vanni Tealdi, qui a lui-même était résident de l’institution. Ce n’est pas l’hommage auquel on pourrait s’attendre, les oeuvre exposées sont d’un nombre très limité. Ce n’est pourtant pas faute de rareté puisque la Cinémathèque de Toulouse possède une collection conséquente de cet artiste. On pourrait se demandait si Etienne Robial n’a pas monopolisé l’attention de manière exubérante.
Les informations pratiques à propos de ces deux événements :
Etienne au carré du 5 septembre 2019 au 15 décembre 2019
Commissaire : Etienne Hervy
Entrée libre MABA
16, rue Charles VII
94130 Nogent-sur-Marne
maba@fondationdesartistes.fr
Tous les jours de semaine de 13h à 18h
Les samedis et dimanches de 12h à 18h
Fermeture les mardis et les jours fériés
Vanni Tealdi (1928-1998) du 5 septembre au 29 décembre 2019
Maison nationale des artistes
14, rue Charles VII
94130 Nogent-sur-Marne
T : 01 48 71 28 08
Comment se rendre à Nogent ?
RER A : Nogent-sur-Marne
puis bus 114 ou 210, arrêt Sous-préfecture
RER E : Nogent-Le Perreux
puis direction Tribunal d’instance
Métro ligne 1 : Château de Vincennes
puis bus 114 ou 210, arrêt Sous-préfecture