Taxi Téhéran de Jafar Panahi (2015) – Le cinéma iranien prend la route

Mêlant avec agilité les dialogues humoristiques aux controverses politiques, Jafar Panahi nous présente un film important esthétiquement comme politiquement pour l’Histoire du cinéma. Avec Taxi Téhéran, le célèbre réalisateur propose d’emmener les amoureux du septième art à ses côtés en voiture dans les rues de la capitale iranienne, pour une balade d’une heure vingt-six mouvementée par la venue de plusieurs individus. Si l’enchaînement des clients dans le taxi semble au départ hasardeux, le spectateur se rend vite compte que chacun de ces personnages est en réalité porteur de conversations soigneusement mises en scène par le cinéaste.

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« Une lettre d’amour au cinéma »

Ce sont ces mots que prononça en 2015 Darren Aronofsky, alors président du jury au festival de Berlin, pour introduire « l’Ours d’or » de l’année, à savoir Taxi Téhéran. Comme ce dernier, les films de Panahi ont décroché de nombreux prix dans les plus prestigieux festivals de cinéma européens, mais ont aussi rapidement attiré la censure et la répression du gouvernement iranien en raison de leur discours contestataire. En 2010, le cinéaste est condamné à six ans de prison. Cependant, malgré sa libération, la peine la plus difficile pour lui sera l’interdiction de donner des interviews, de réaliser des films et l’ordre de quitter le pays pendant vingt ans. C’est en toute clandestinité que Jafar Panahi parvient à réaliser et diffuser Taxi Téhéran. Cet acte courageux pourrait simplement suffire à justifier tous les éloges faits sur le film ; mais non, avec ce long métrage Jafar Panahi prouve une fois de plus sa passion réelle pour le cinéma. Ainsi, véritable virtuose de la mise en scène, il transforme les contraintes dues à son statut de cinéaste clandestin pour en faire les éléments constructeurs du film.

La voiture : outil du réel

En donnant l’illusion d’une caméra cachée dans le véhicule, Panahi s’amuse à perdre le spectateur entre réalité et fiction, entre film et documentaire, et se libère des difficultés imposées par le contexte culturel de son pays. Le cinéaste utilise le cadre restreint du taxi comme moyen pour aborder des thématiques qui lui sont chères. Il traite du problème de la censure, de la liberté d’expression, de la peine de mort et de la condition des femmes iraniennes à travers les échanges entre les passagers et le chauffeur de taxi (lui-même). Par quelques situations ou certains plans fixes à travers le pare-brise, il met aussi en avant la présence de la violence et de la précarité en ville. En effet, quoi de mieux qu’une journée entière dans un taxi pour apprendre à connaître une ville ? Influencé par le cinéma de son mentor, Abbas Kiarostami, Panahi utilise aussi un procédé de déambulation, la circulation permanente des protagonistes dans la ville et l’alternance des discours et situations comiques aux réalités tragiques, pour faire ressortir un portrait satirique de la société iranienne.

taxi teheran3La vérité sort de la bouche des enfants

Panahi dénonce encore une fois avec ce film le manque de liberté attribué au cinéma en Iran depuis l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah chiite Khomeiny, notamment grâce à un personnage que l’on retrouve de façon récurrente chez les jeunes cinéastes les plus indépendants : l’enfant. Ces figures porteuses d’un regard tendre et naïf sur le monde permettent aux réalisateurs iraniens du Kanun d’éviter la censure du gouvernement tout en pointant du doigt avec ironie et simplicité les défauts de leur société. Dans Taxi Téhéran, c’est sa nièce qu’il met en scène pour montrer l’absurdité des règles du cinéma islamique. En effet, la jeune fille doit réaliser quelques séquences de film « diffusable » pour son école suivant les règles du MCOI. Cependant, elle se rend vite compte lors de ses tentatives des limites de ce cinéma trop éloigné de la réalité.

Autoportrait d’un homme vivant dans la peur

Ce film a souvent été perçu comme un autoportrait de l’artiste venant clore une trilogie autobiographique avec deux autres films réalisés aussi clandestinement en amont : Ceci n’est pas un film (2011) puis Closed Curtain (2013). En effet, dans Taxi Téhéran, les plans conditionnés dans l’espace du véhicule semblent être une métaphore de la condition de l’artiste, lui-même prisonnier dans son propre pays, empêché de faire du cinéma. Le réalisateur se met en scène dans son propre rôle avec beaucoup d’auto-dérision et témoigne de sa situation difficile partagée avec d’autres Iraniens, comme le montre le personnage (réel) de l’avocate Nasrin Sotoudeh. D’ailleurs, toutes les discussions avec les passagers permettent d’apprendre plus de choses sur le réalisateur. Cet autoportrait, loin d’une visée arrogante et nombriliste, a en fait pour but de dénoncer la condition de toutes les victimes de la répression du gouvernement iranien. Pendant l’entièreté du film, la peur due à l’interdit de filmer monte peu à peu jusqu’à devenir une vraie paranoïa. Les plans hors du taxi sont frénétiques, mouvementés, comme si celui qui tenait la caméra était de plus en plus inquiet. Cette inquiétude se transmet au spectateur qui guette à son tour les déplacements suspects autour du véhicule. La fin approche, elle se fait sentir, mais aucun indice n’est donné quant à son déroulement. Pour en savoir plus, il faudra voir le film par vous-même.

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Taxi Téhéran a été ma première découverte du cinéma iranien. Par hasard, j’ai pris la route aux côtés de Panahi pour finalement découvrir un cinéma engagé, lyrique et comique qui a beaucoup à nous dire. C’est un film qui parle du cinéma, un cinéma en difficulté mais qui persiste à exister ; un film résistant qui ne demande qu’à être vu et entendu.

Sandrine Courroye


Le ciné-club de l’école du Louvre vous propose de (re)découvrir Taxi Téhéran pour une séance le 8 octobre à 17 heures, amphithéâtre Goya.

Si vous êtes extérieurs à l’école, pensez à réserver au plus tard 24 heures avant en indiquant votre nom et votre prénom à l’adresse cineclubecoledulouvre@gmail.com.

Plus d’informations sur notre événement facebook.

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