Arts et Cinéma, les liaisons heureuses

La relation entre beaux-arts et cinéma est aussi longue que l’apparition de ce dernier. Elle est le point de rencontre où cinéastes et artistes interagissent et échangent leurs rôles. C’est de ce constat qu’est partie l’idée de monter cette exposition, d’abord présentée en Espagne.

Le Musée des Beaux-Arts de Rouen et la Cinémathèque se sont associés pour présenter une des premières expositions tentant de retracer une histoire des arts et une histoire du cinéma concomitantes.

Cette exposition coïncide avec l’ouverture de 5 autres expositions dédiées au cinéma sur le territoire français dont, pour n’en citer qu’une, celle de Metz : L’Œil extatique. Sergueï Eisenstein, cinéaste à la croisée des arts.

Les débuts du cinéma

L’exposition s’ouvre logiquement avec les balbutiements du cinéma. La chronophotographie, qui précède l’art cinématographique, est mise en parallèle avec les études anatomiques académiques. Les épreuves photographiques d’Etienne Jules Marey côtoient alors une huile de Géricault.

lumière
Les frères Lumière

Après 1895, date canonique de l’invention du cinéma, les vues des frères Lumière montrent les même thèmes et préoccupations que les Impressionnistes. La mode est alors de peindre et de tourner en extérieur. Clin d’oeil caustique de la part d’Antoine Lumière, il fait tourner à ses fils des plans semblables aux tableaux impressionnistes qu’il n’apprécie guère. C’est là une manière de les supplanter puisque ces “tableaux” sont animés.

Les avant gardes 

Médium populaire, le cinéma ne cesse d’intriguer les artistes. Il devient alors un moyen d’expérimentations.

Le cubisme s’infiltre dans le cinéma d’abord à travers les décors de Fernand Léger (L’Inhumaine, M. L’Herbier, 1923). La fascination des machines touche artistes et cinéastes. Léger reprend la silhouette de Chaplin dans son Ballet Mécanique (1920). Il est aussi la figure qui inspire Picasso lorsqu’il réalise des costumes pour le ballet Parade de Cocteau (1917).

fernand léger l'inhumaine

 

Puis Charlie Chaplin se fait critique de la modernité dans Les Temps Modernes (1936).

Le cinéma permet également de jouer des mouvements, qui une fois à l’écran deviennent presque abstraits. Ainsi La danse serpentine de Loïs Fuller, filmée par Alice Guy, trouve une résonance dans les œuvres de Sonia Delaunay et Léopold Survage.

Cette exposition permet d’admirer les étonnants “scénarios” peints d’Hans Richter et de Viking Eggeling. Comprenez là des bandes illustrées de formes abstraites que l’on fait défiler devant la caméra. Les pièces exposées sont des reconstitutions faites par les artistes à la demande d’Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque. Cette exposition est d’ailleurs l’occasion de rappeler le rôle important de Langlois dans la conservation du patrimoine cinématographique.

henri langlois
Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française

La salle suivante montre la continuité du courant expressionniste notamment en Allemagne avec les réalisations de Wiene, Murnau et Lang. Un autoportrait de l’actrice Asta Nielsen est mis en perspective avec une reproduction de l’inquiétante Maria, robot de Metropolis (Lang, 1927).

Le cinéma soviétique est ensuite illustré par les affiches frappantes de Boris Bilinsky. Art, cinéma et propagande se confondent, sur fond d’extraits des montages rapides d’Eisenstein.

Le parcours continue avec le surréalisme. C’est là l’opportunité pour les commissaires d’exposition de réhabiliter Cocteau dans les figures surréalistes, bien que peu appréciés de ces derniers.

1950-1960

Le processus du peintre est exploré dans Le mystère Picasso (H-G. Clouzot, 1955) et Jackson Pollock 51 (Hans Namuth, 1951). Extraits fascinants où l’artiste s’ouvre sur sa manière de travailler, ses réflexions, ses repentirs. Le film Henri Matisse (F. Campaux, 1947) avait retenu l’attention de plusieurs cinéastes dont J.-L. Godard, J.Demy et A. Varda.

 

Clouzot est décrié par la Nouvelle Vague pour son cinéma trop ancré dans la tradition française. Mais avec cette réalisation il se détache de cette tradition par son association à un peintre anti-classique.

mystère picasso

Ces films démystifient l’improvisation spontanée des peintres, sans diminuer leur génie. Improvisation chérie par Godard qui lui même excluait tout hasard de ses réalisations.

L’exposition se clôt sur la Nouvelle Vague et les sérigraphies de Guido Augusts. Godard est mis à l’honneur puisque la salle comprend majoritairement des pièces en lien avec sa carrière. Ainsi, une Anthropométrie de Klein côtoie une célèbre scène de Pierrot le Fou (Godard, 1965) où J.-P. Belmondo se peint le visage de bleu.

anthropométrie
Les Anthropométries d’Yves Klein, 1960

L’année 1968 marque profondément Jean-Luc Godard qui considère que le cinéma ne sera alors plus jamais le même. Il participe à faire annuler le Festival de Cannes 1968 en soutien aux grévistes. Il réalise également une série de Ciné-tract.

Désormais le cinéma doit être plus que jamais un travail collectif et porter des enjeux politique.

Le parcours est complété par une mise en lumière du travail photographique d’Anne Wiazemsky, écrivaine, réalisatrice, actrice. Puis une salle est dédiée aux dessins de l’acteur Alain Cuny. Il a réalisé une série de portraits d’aliénés n’étant pas sans rappeler le travail de Delacroix.

Si cette exposition, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut retracer entièrement l’histoire du cinéma et des arts, elle en oublie les cinématographies extra-européennes et ne cite que très peu d’artistes et cinéastes féminines. Il était pourtant simple de piocher dans les films d’Agnès Varda ou d’Ida Lupino, pour n’en citer que deux. De même, l’onirisme de Kenji Mizoguchi ou le cinéma bollywoodien de Chetan Anand auraient mérités d’être mentionnés…

C’est une exposition bien documentée, claire, mais qui reste en terrain connu. Elle ne se limite pas aux extraits de films et affiches. Mais certains cartels ne sont pas assez mis en valeur.

Toutefois, elle est plaisante à visiter et intéressera les néophytes comme les aficionados.


Le parcours se poursuit au Frac de Normandie à travers l’exposition Remake (14/09/19 au 05/01/20) où les collections contemporaines d’art vidéo sont mises à l’honneur.

L’exposition Arts et Cinéma, les liaisons heureuses se déplacera cet été à Lausanne (du 26/06/20 au 01/11/2020).

Infos pratiques :

Arts et Cinéma, les liaisons heureuses; du 18/10/19 au 10/02/20.

MBA, Espl. Marcel Duchamp, 76000 Rouen

10h-18h, fermé le mardi.

Accessible depuis Paris par la Gare St-Lazare.

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