
Du 14 septembre au 2 février 2020 se déroule au Musée des Beaux-Arts de Montréal l’exposition « Momies égyptiennes, passé retrouvé, mystères dévoilés ». Organisée en collaboration à partir d’une sélection d’œuvres du British Museum, cette exposition présente les pratiques culturelles liées à la momification en Égypte Ancienne.
Le musée des Beaux-Arts de Montréal ne possède pas d’antiquités, qu’elles soient amérindiennes, proche-orientales, européennes ou encore égyptiennes. L’exposition pallie donc cette lacune pour cinq mois et présente au public montréalais des objets qu’il ne pourrait habituellement voir dans sa ville. Il s’agit d’une sélection de 200 œuvres de très grande qualité, toutes issues du prestigieux musée britannique. L’exposition, qui n’a que du bon pour les deux côtés de l’Atlantique, est organisée autour de la vie de six momies aux profils et aux époques différentes, et présente un parcours pédagogique qui permet de retracer plus de mille ans d’histoire égyptienne, de la Troisième période intermédiaire, à partir de 900 av. J.-C., au IIe siècle de notre ère, durant la période romaine. Il s’agit de la première exportation en Amérique du Nord de cette exposition, dont le nom original est « Exploring Ancient Lives », deux ans après son installation au musée national du palais à Taipei puis au Hong Kong Science Center.

À mi-chemin entre l’histoire et la science, l’exposition présente, pour chaque personnage, l’univers particulier dans lequel il a évolué, explique les divers choix funéraires qui sont notamment déterminés par la condition sociale, la santé, le genre et l’âge, et fait voir l’évolution des pratiques d’enterrement au fil du temps.
Âge, croyances, ou historique médical : chaque momie a son histoire à raconter.
Cet axe très pédagogique permet d’évoquer les rituels funéraires égyptiens, les croyances religieuses et la place que les personnages occupaient dans la société. On n’omet jamais d’évoquer les mutations culturelles qui se répercutent visiblement sur les objets et le culte de chaque période. Agrémentée d’une imagerie numérique dense et didactique, l’exposition est également un succès du point de vue de la scénographie grâce à son esthétique moderne mais feutrée, et l’espace large permet de tourner autour des œuvres facilement, toute en fluidité. Elle s’intègre parfaitement dans l’étage du musée qui est réservé aux expositions temporaires, qui forme un parcours en « U ».

Six momies extraordinaires
Deux chanteuses d’Amon
Prêtresse du temple d’Amon de Karnak, XXIIe dynastie, vers 800 av. J.-C., Troisième période intermédiaire
Cette femme anonyme, probablement chanteuse d’Amon, occupe une place prestigieuse dans la société de Haute-Égypte à cette période. En effet, les grands prêtres et les chanteuses d’Amon sont la contrepartie au Sud du pays du roi et de ses épouses, qui résident dans le Nord.

Maquillée, enduite de parfums et de cosmétiques, parée et vêtue de luxueuses étoffes, cette momie est prétexte à présenter les outils de beauté de l’Égypte ancienne. Pinces à épiler, rasoirs, petits peignes à cheveux sont présentés dans une vitrine, aux côtés d’une amusante perruque à boucles blondes et d’une petite collection de bijoux aux vertus apotropaïques.

Tamout, chanteuse d’Amon de la XXIIe dynastie vers 900 av. J.-C., Troisième période intermédiaire
L’âge de Tamout est situé entre 35 et 49 ans, ce qui est honorable pour une femme en Égypte ancienne. Comme la femme précédente, elle est chanteuse d’Amon. Son cercueil est probablement le plus beau de tous ceux présentés à l’exposition. Sa dépouille contient de nombreuses amulettes, placées sur la peau après qu’on ait enduit la défunte de cosmétiques. L’exposition en profite pour nous présenter une explication complète et remarquable sur les amulettes funéraires, appuyée par une collection de véritables amulettes et de modèles imprimés en 3D d’après les scanners de momies non débandelettées.
Son cercueil témoigne de la popularisation croissante du cartonnage au détriment du bois, car il est aussi qualitatif et bien moins dispendieux. Technique proche de celle du papier mâché, le cartonnage est un mélange de lin, de plâtre et de colle. Celui de Tamout, ajusté à la taille de son corps, est orné de scènes religieuses et d’inscriptions chatoyantes encore merveilleusement préservées. L’une des scènes représentées au niveau de la poitrine dépeint la défunte conduite par le dieu Horus vers un groupe de divinités. La femme apparaît comme une jeune personne, à la fleur de l’âge : c’est sous cet aspect qu’elle souhaite revivre dans l’au-delà, alors que les analyses de tomodensitométrie indiquent qu’elle est décédée plus âgée, dans la quarantaine.
Nestaoudjat, XXVe dynastie, 700-680, Troisième période intermédiaire
La momie de Nestaoudjat est particulièrement soignée et bien conservée pour l’époque, et est un excellent témoignage du plus haut savoir-faire égyptien en matière d’embaumement. Séchée dans le natron, cette femme a ensuite été ointe d’huiles parfumées puis ses entrailles, dépouillées des organes impurs, ont été soigneusement rembourrées. Son corps a ensuite été paré d’amulettes et enveloppé dans des bandes de lin avec sophistication.

Sa dépouille parfaitement préservée permet d’expliquer les croyances égyptiennes en l’au-delà et d’évoquer deux natures de l’âme (parmi d’autres) selon la foi égyptienne : le ba, énergie du mouvement et de la transformation, et le ka, double immatériel et statique incarnant les formes vitales de l’être.
Irthorrou, XXVIe dynastie, vers 600 av. J.-C., Époque tardive
Ce stoliste (prêtre égyptien) du temple de Min d’Akhnim au sud de l’Égypte, était chargé d’habiller le dieu et avait la mission de « maître des secrets ».

Sa momie, noble et luxueuse, illustre le haut rang social et religieux auquel appartenait Irthorrou, et est l’occasion de développer l’exposition autour de la vie dans le temple, administré comme une petite cité. La salle où repose Irthorrou est également celle qui abrite les objets liés à la médecine égyptienne et à la conjuration des maladies par la magie : s’y trouvent donc des amulettes, une très belle statuette d’Horus sur les crocodiles (sur laquelle on effectuait des libations) ainsi qu’une magnifique statue de la déesse lionne Sekhmet en pierre noire dont les inclusions brillantes magnifient le modelé.
L’enfant d’Hawara, 40-60 de notre ère, époque romaine
Ce cercueil, touchant, de petit enfant est le premier exemplaire qui fait suite à la conquête romaine, officialisée en 31 av. J.-C. suite à la bataille d’Actium qui opposa Cléopâtre VII et Marc Antoine contre Octave-Auguste.

Cette dépouille évoque l’attention plus intense et démonstrative qui est dorénavant accordée aux enfants. En témoignent les nombreux jouets en bois et petits accessoires pour enfants exposés dans la salle : petit cheval, petite souris, sandales, jeu de senet, etc.
Le jeune homme de Thèbes, IIe siècle de notre ère, époque romaine
La dépouille de ce jeune homme témoigne du métissage culturel provoqué par la conquête romaine en Égypte qui donne naissance à de nouvelles techniques. Sa momie est dotée d’un portrait réaliste peint sur un cartonnage, semblable aux célèbres portraits des momies d’époque romaine, dont deux exemplaires sont exposés dans la salle. De nombreux portraits de ce type ont été découverts dans l’oasis du Fayoum, situé au milieu du pays. Cette représentation fascinante, qui illustre les traits juvéniles d’un garçon aux sourcils épais et aux cheveux bruns et bouclés, montre qu’il portait un clavus et une cape, des vêtements d’allusion romaine.

La salle du jeune homme de Thèbes présente également un cercueil anthropomorphe en bois dont les drapés témoignent d’une influence gréco-romaine évidente. Cette salle expose avec simplicité et pédagogie la période romaine, caractérisée par de grands brassages culturels dans le bassin méditerranéen. Concernant ce cercueil, les métissages sont si intenses qu’on ne peut pas déterminer l’origine précise du défunt.
Un succès pour le musée, une chance pour les Québecois
Cette exposition, pédagogique et enrichissante pour les visiteurs néophytes et pour les familles, est une chance pour les québécois. En effet, au Canada, seul le musée royal de l’Ontario à Toronto est doté d’une collection d’antiquités égyptiennes. C’est d’ailleurs là que l’exposition s’installera en 2020. Néanmoins, le public plus pointu, ou plus curieux, restera un peu sur sa faim : on regrette le fait qu’on n’évoque pas davantage les recherches liées à la généalogie des dynasties du Nouvel Empire, période qui n’est, par ailleurs, pas assez développée. Le sujet aurait mérité qu’on s’attarde davantage sur les périodes antérieures à la Troisième période intermédiaire, puisque les avancées en matière de momification sont majeures, facilement identifiables et très intéressantes aux IIIe et IIe millénaires av. J.-C. Néanmoins, l’évocation assez riche des amulettes et des rituels magiques est très satisfaisante. Si le connaisseur en égyptologie ne doit pas s’attendre à apprendre énormément, il savoure cependant l’exceptionnelle qualité des œuvres présentées. On retient particulièrement le cercueil de Tamout, à l’iconographie funéraire remarquable, et dont le décor doré, encore parfaitement conservé, laisse le visiteur bouche-bée.

Cette sélection, dense et de qualité, va à l’essentiel et est soutenue par une présentation efficace et instructive pour celui qui n’y connaît pas grand chose. Le musée des Beaux-Arts de Montréal a saisi une opportunité en or et c’est un succès puisque le public est au rendez-vous, avec déjà 50 000 visiteurs en un mois. On ne peut qu’encourager cette institution à perpétuer l’accueil des expositions d’antiquités et d’archéologie, en collaboration avec des musées richement dotés, voire débordant d’œuvres, à ne savoir qu’en faire. À quand un partenariat avec le musée du Louvre ?