
Molly Nilsson est une chanteuse et interprète suédoise née en 1984 et basée à Berlin. Ses instrus synth-pop s’accorde singulièrement avec sa voix grave et monotone, l’inscrivant dans la veine du phénomène Internet « dark-wave ». Elle a sorti depuis 2007 pas moins de huit albums, une compilation, un EP et deux singles.
Indépendante
Molly Nilsson débute laborieusement sa carrière de chanteuse en 2007 à l’âge de 23 ans, à la suite d’une formation d’illustratrice. Ses premiers concerts sont pour elle très anxiogènes.
« À l’époque, c’était la chose la plus effrayante pour moi, le pire truc qui pouvait m’arriver était de monter sur une scène et chanter. […] j’imaginais que les pires choses allaient arriver, que tout le monde penserait que c’était très mauvais ou que je mourrai sur scène. Rien de tout ça s’est passé et ça a été, donc j’étais très heureuse. Les choses ont commencé à rouler. […] C’est très humiliant au début, parce que personne ne veut t’entendre, tout le monde attend que tu aies terminé et que le DJ joue, que les gens puissent à nouveau danser ou parler. »
Molly Nilsson sort son premier album en 2009 après avoir fondé son propre label indépendant, Dark Skies Association, qu’elle n’utilise que pour produire sa propre musique et non pas celle d’autres artistes, bien qu’elle collabore avec le label écossais Night School Records depuis 2015. Molly Nilsson tient à contrôler l’ensemble de sa production artistique en toute liberté, on pourrait la rattacher à la méthode artistique du DIY : un courant qui tend à l’autonomie totale des musiciens, qui composent entièrement seuls, organisent les concerts, la production et la distribution de leurs albums eux-mêmes, et gèrent seuls leur communication, sans aucun intermédiaire entre eux et le public. Une volonté de liberté qui transparaît souvent dans ses morceaux, comme « About Somebody« .
Damn, I thought you were gonna be my man / And I said damn, If you can’t love me maybe nobody can / But I don’t need to be somebody’s / Because I’m already somebody / Don’t need to be somebody’s / Because I’m already somebody
Somebody
Néanmoins, cet attachement pour l’indépendance et la liberté de création n’est aucunement revendiqué ou « markété » par Molly Nilsson, qui ne souhaite pas se conformer à l’étiquette de « DIY » ni qu’on définisse son art comme féministe. Elle souhaite avant toutes choses garder le contrôle de son travail et empêcher la formalisation de sa personnalité artistique. Pourtant, il est difficile de ne pas ressentir l' »empouvoirement » féminin qui se dégage de sa personnalité et de sa musique.
Nostalgique
Ses instrus reprennent les sonorités électroniques minimalistes issus des synthés des années 1980 et de l' »euro-dance », le tout souvent mis en « reverb ». Son style vintage est précurseur puis contemporain de la phase musicale et esthétique retrowave/ synthwave très présente sur Internet autour de 2015. La musique de Nilsson évoque tout naturellement une forme de nostalgie, parfois explicite, comme dans 1995.
Windows 95 / is only a metaphor for what I feel inside / Although I’m older now / there’s still an emptiness / that’s never letting go somehow
[…]
So what’s wrong with living in the past? / It just happens to be the place I saw you last / And what’s wrong with living in a dream? / That one day the echo answers / deep inside of me
L’artiste sample beaucoup pour remixer elle-même ses instrus. Au-delà de ces infuences très prégnante, Molly Nilsson pioche aussi du côté du tango, du calypso (un style de musique de carnaval issu de Trinité-et-Tobago) et des morceaux de saxophone présents par exemple dans le feel-good About Somebody et dans Not Today Satan. L’artiste est loin d’être plongée dans une perpétuelle mélancolie !
Son chant grave d’alto, proche du ténor, est distancié et souvent monocorde. Certains comparent sa voix à celle de la chanteuse Nico, bien qu’elle n’apprécie pas sa musique et ne s’en inspire donc pas du tout.
Ses textes sont teintés d’humour noir, sont parfois cyniques, comme dans Not Today Satan ou I Hope You Die. De même que sa musique nostalgique et pop est contrebalancée par son chant grave qui peut paraître ennuyeux et désabusé, les paroles jouent constamment de l’opposition entre mélancolie et joie.
Thanks for all you gave / We just found your graves / We made it there too late / We hope you didn’t wait
City of Atlantis
Mature
Dans son album « Zénith », sorti en 2015, elle sort de sa zone de confort avec maturité et assurance, par le rythme reggae de Lovers are Losers et les étonnants sons techno de Bunny Club. Cet album est le fruit d’un travail rétrospectif sur sa propre vie alors que la chanteuse passe le cap des trente ans. Elle souhaite se défaire de ses boulets pessimistes et cyniques qui ont fait son succès Internet pour se forcer à créer des sons plus poétiques et touchants comme le doux-amer H.O.P.E .
Are they really watching us from space ? / All that surveillance seems like such a waste/ ’cause can they see so deep inside / to see the secrets that we hide while the angels smoke their cigarettes in the night sky / And the scientists all search for life on Earth / So maybe that’s why I’m never lonely when I ride all alone in the night…
« Quand j’ai commencé à faire l’album, on était en 2014 et il y avait tant de choses horribles qui survenaient dans le monde. Il y avait tellement de guerres et de conflits partout et il était très difficile de ne pas être politiquement découragé. Je crois que j’étais peut-être aussi personnellement un peu déprimée par ça. Le plus gros défi a été de recommencer à croire de nouveau dans le futur. Mais une fois que j’ai trouvé une façon de faire ça, les chansons ont immédiatement commencé à sortir. »
Lucide
Molly Nilsson tape dans le mille avec son dernier album sorti en 2018, que certains considèrent comme un chef-d’œuvre, intitulé « 2020 ». Sorti entre septembre et novembre 2018, au début des actions de « Youth For Climate » et deux ans après l’élection de Donald Trump, cet album est le catalyseur des névroses et des angoisses que l’artiste partage avec beaucoup de ses contemporains. Y apparaissent en trame de fond des inquiétudes croissantes à propos de la politique, du port d’armes (Gun control) ou encore de la catastrophe écologique (Slice of lemon) ; de graves problèmes qu’elle exorcise en les traitant souvent par la métaphore du couple et auxquels elle tente d’apporter des réponses.
Remembering all the love we felt / You’re the reason I wear a safety belt / Every time you show me your soul / I only ever stare at the bullet holes / Remembering in you seat when the credit rolls / Gun control
Gun control
A slice of lemon / The pride of heaven / So obvious to everyone but me / So ominous to everyone who could see me / So why can’t you see me ? / Look into my watery eyes / With all the tears I shed for you / The disappointment of the future / And I’m mystified /
Sounds like something I would do
Slice of lemon
2020 semble ouvrir pour de bon une nouvelle phase de l’anthropocène et Molly Nilsson l’a compris deux ans auparavant. Cet album, bien plus militant et engagé qu’auparavant, est le point final de l’évolution personnelle d’une jeune femme clairvoyante, qui évolue personnellement et artistiquement et dont la musique est progressivement sortie de son cocon.
» À la suite de l’annulation d’un vol, je me suis retrouvée seule, échouée dans la nuit à l’aéroport de Tokyo. Entre mes siestes entrecoupées sur le banc, mon environnement s’est frayé un chemin dans mes rêves et particulièrement les grandes banderoles affichées dans le hall des départs, figurant « 2020 ». Ignorant qu’elles annonçaient les futurs Jeux Olympiques, mon imagination a vagabondé. 2020, une année charnière. L’année du rat, de l’élection. Vision parfaite. L’année du recul. La répétition, le rituel de la superstition. Un sortilège jeté sur le futur qui approche ; pas encore là, mais suffisamment proche pour qu’on le voit avec une complète lucidité. Cette année elle-même semble dessiner un cercle autour de sa suite, afin de protéger quiconque qui souhaiterait le franchir. Et tout a commencé avec la nuit du capitalisme tardif*… »
Malgré la vulnérabilité et les anxiétés partagées par cet album, des éclairs d’espoir et des échappées belles parsèment son message, comme le morceau Days of Dust ou le carpe-diem Every Night Is New.
« 2020 » reste, comme les précédents albums, enveloppé de l’aura naïve des années 1980 tout en abordant les problématiques à l’origine de l’extinction de ce monde qu’on a toujours connu.
* »The late capitalist night », référence au premier vers de l’album « 2020 » dans la chanson Every Night Is New.
Sources
https://www.brain-magazine.fr/article/interviews/7675-Molly-Nilsson—Sous-la-Lune-Exactement
https://crackmagazine.net/article/long-reads/molly-nilsson-planetary-vistas/
https://lesoreillescurieuses.com/2018/11/04/molly-nilsson-twenty-twenty/