
Pensez vous que tout ce qui nous entoure est propice à être art ? Que nos vies privée et intime peuvent s’entrecroiser avec la performance artistique ? Un accouchement peut-il devenir sujet à performance ?
L’art de l’intime est une notion qui se développe énormément. C’est notamment le cas dans la théorie et l’activisme féministes des années 1970 et 1980. Avec l’apparition des réseaux sociaux au XXIème siècle, la frontière de l’intime et du privé est de plus en plus floue. L’intimité et le privé sont deux notions différentes : l’intimité touche l’individu personnellement (ses émotions par exemple) alors que le privé est partagé entre plusieurs individus. Il est habituel que les utilisateurs d’Instagram notamment postent leurs traumatismes émotionnels, des photos intimes ou de leurs enfants alors que celles-ci peuvent être vues par des inconnus.
Certaines artistes travaillent alors autour de divers sujets relevant de l’intime comme le corps, la maternité ou la sexualité. En utilisant le corps comme médium ou sujet, ces artistes femmes pointent du doigts le point central du combat féministe.
C’est dans ce contexte que l’artiste américaine Marni Kotak a réalisé une performance en 2011 s’intitulant The Birth of Baby X.
Marni Kotak n’en est pas à sa première performance portant sur sa vie intime. Elle est célèbre pour de diverses performances comme la reconstitution de la perte de sa virginité ou encore les funérailles de son grand père (My Grandfather’s Funeral, 2009). Son travail est basé sur sa vie de tous les jours, ses expériences et ses accomplissements.
« Dans mon travail, je cherche à transmettre mon expérience réelle de la vie, tout en m’engageant dans des moments authentiques partagés avec mes spectateurs qui ont probablement traversé des événements similaires ou connexes. Des traumatismes de l’enfance, la naissance d’un enfant, la mort d’un être cher ou la perte de ma virginité, ou des gestes quotidiens tels que manger en famille, prendre une douche: c’est là que les performances réelles prennent vie » Marni Kotak

Sa performance The Birth of Baby X s’est déroulée du 8 octobre au 7 novembre 2011 dans la galerie Microscope à Brooklyn qui a aménagé une pièce pour l’occasion : cuisine, douche, piscine pour la délivrance, fauteuil à bascule de la mère de l’artiste ainsi que le lit de la grand mère de Marni Kotak où l’enfant a été conçu. Le papier peint de la pièce est constitué de photographies de l’artiste et de son époux en voyage. La pièce contient également deux trophées : un destiné à la mère-artiste pour avoir donné la vie ainsi qu’un pour son bébé en guise de remerciement d’être né. L’artiste s’est installée dans ce petit studio à partir du 8 octobre pour attendre la naissance de son premier enfant. Les visiteurs de la galerie sont informés qu’elle peut accoucher à n’importe quel moment et donc assurer une performance.
L’artiste confie au New York Post : « J’espère que les gens se rendront compte que la vie humaine est l’œuvre d’art la plus importante, et que donner la vie (…) est la forme d’art la plus élevée ».


Elle donne naissance à son fils Ajax le 25 octobre 2011 dans la galerie new-yorkaise accompagnée de son époux, d’une sage femme et d’une doula. Un vingtaine de personnes (dont des journalistes, des membres de la galerie et des collaborateurs de l’artiste) sont conviés à cette naissance-performance. L’artiste a restreint les invitations pour ne pas tomber dans une attraction touristique. Aucune vidéo de son accouchement n’a été diffusée sur Internet.
Marni Kotak a accouché naturellement par voie basse et sans péridurale. Cette performance nous rappelle que 30 à 40% des naissances aux États-Unis sont réalisées par césarienne et qu’accoucher à domicile est illégal dans certains états. En effet, si le travail dure plus de 6 heures ou que le terme de la naissance est dépassé de 6 jours, la césarienne devient automatique. L’artiste place donc son geste sous un prisme contestataire et engagé.

La performance s’inscrit dans un projet plus vaste renommé Raising Baby X (Élever Bébé X) qui témoigne de la vie de son enfant, de sa naissance à son entrée à l’université. Marni Kotak alimente régulièrement son site internet de performance mettant en scène la vie de son enfant, comme ses anniversaires ou la chasse aux œufs de Pâques. Le but est de partager son expérience de la maternité et de mère. Cette démarche a suscité de vives réactions ; l’artiste est accusée de mettre la vie de son enfant en danger, de narcissique et d’autres affirment que sa performance n’appartient pas au domaine de l’art.
L’artiste avait anticipé ses virulentes accusations : « Je me concentrerai sur la mise au monde de mon enfant de la manière la plus saine possible, plutôt que sur mon apparence ou ce que le public peut penser. »
Même si la performance peut être qualifiée d’extrême, elle nous pousse à nous questionner sur le rôle des mères youtubeuses ou instagrameuses qui elles aussi partagent le quotidien de leurs enfants et parfois sans modération ! On assiste même à des télé-réalités qui mettent en scène la vie d’une famille entière comprenant de très jeunes enfants (JLC Family diffusé sur TFX). La performance de Marni Kotak est alors peut être le reflet de notre société qui tend à surexposer notre vie la plus intime.
Sources :
– Gosling, Robinson, Tobin, L’art du féminisme, 2018
– Site internet de l’artiste Marni Kotak et de la galerie Microscope
– Judkis, Live birth performance artist Marni Kotak delivers healthy baby boy, The Washington Post, 26 octobre 2011
– Hybenovà, Baby X was born, Hyperallergic, 14 novembre 2011
Sources photographies :
– Site internet de l’artiste Marni Kotak et de la galerie Microscope
– The Washington Post