
En 2001 sortait le film Millenium Actress de Satoshi Kon. Mais c’est en décembre 2019 qu’il sort dans les salles françaises. Il décrit la quête d’une actrice amoureuse, à la recherche d’un fugitif.

Le journaliste Genya Tachibana, accompagné de son cadreur Eiko Shimao, rend visite à Chiyoko Fujiwara, une ancienne actrice à succès, pour une interview. Cette dernière, devenue septuagénaire, vit en marge de la société, non loin de Tokyo, et n’a pas reçu de journaliste depuis longtemps. Avant de commencer, Tachibana, grand admirateur de la comédienne, lui remet une clé que l’actrice a perdu trente ans plus tôt. La comédienne se remémore alors l’histoire de ce petit trésor, qu’elle s’empresse de raconter aux deux journalistes.
À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Chiyoko, alors jeune adolescente, rencontre un mystérieux fugitif, qu’elle prend sous son aile, refusant de le dénoncer à la police. Après l’avoir caché dans une grange, la jeune femme soigne l’homme, blessé, tout en discutant avec lui. Chiyoko ne tarde pas à éprouver des sentiments pour le jeune peintre. Ce dernier lui offre une clé « Plus important que tout le reste », avant de disparaitre pour la guerre, comme la promesse d’une nouvelle rencontre.
Bien décidée à le retrouver, Chiyoko accepte une proposition de tournage que lui avaient faite les studios Ginei, et devient actrice. Elle passera toute sa vie à le chercher, en vain, jusqu’au jour, où elle perd la clé sur un plateau de tournage.

La fiction et la réalité s’entrecroisent dans ce film, si bien que le spectateur ne semble plus pouvoir faire la différence entre les deux. Les histoires de Chiyoko sont agrémentées de différents flashbacks auxquels participent les deux journalistes. La vie privée de Chiyoko se confond de plus en plus avec ses films. Ses œuvres font écho à son passé, à cet étrange peintre, que la comédienne cherche sans cesse.
Alors qu’ils sont d’abord placés au même rang que le spectateur, les deux journalistes, qui sont des témoins de la vie de l’actrice, deviennent rapidement acteurs au sein des souvenirs de l’ancienne vedette. Tachibana ne peut résister à interagir avec l’héroïne du film, jusqu’à devenir personnage à part entière de ses histoires, se voulant héroïque auprès de cette femme qu’il admire énormément.
Même le temps devient labyrinthique. Malgré la présence de plusieurs époques, allant de la période médiévale à une ambiance futuriste, les événements semblent toujours se répéter, mais créent tout de même une certaine cohérence, dans cette vaine quête d’un amour perdu.
Cette ambiguïté est fortement marqué par un montage dynamique et par des raccords, nous faisant passer d’un décor à l’autre sans aucune coupe de l’image. Ainsi, grâce à un astucieux travelling, nous passons d’un paysage neigeux à un paysage lunaire, ou encore du quai d’une gare à celui d’un port.
Le réalisateur disait vouloir travailler par bribes, par souvenirs, ce qui lui a permis d’appliquer cette non-linéarité, et de créer cette ambiguïté, à partir de la mémoire de l’ancienne vedette et du journaliste. À l’instar de son premier film, Perfect Blue, Satoshi Kon a voulu s’immiscer au cœur-même du personnage, et de ses pensées.
Le film s’articule toutefois autour du dialogue entre la comédienne et Tachibana, qui connait sa vie, et ses films sur le bout des doigts. Ainsi, nous vivons l’histoire avec l’énergie propre aux personnages, et acceptons d’entrer dans les souvenirs de la comédienne, avec le même enthousiasme que Tachibana et Chiyoko, rejouant avec entrain la scène d’un film de cette dernière.

À travers Chiyoko, c’est aussi une partie de l’histoire du Japon qui nous est en partie présentée dans Millenium Actress. La comédienne ayant commencé sa carrière à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, lors de l’invasion de la Mandchourie par les Japonais, les références à la guerre sont omniprésentes dans le film. Affiches et photos de soldats renforcent cette atmosphère, et plus particulièrement ce village en ruine, où Chiyoko retrouve un portrait d’elle, réalisé par le peintre inconnu. Nous retrouvons également à travers ses films de nombreuses scènes de batailles, bien qu’elles ne soient pas toutes en lien avec la Seconde Guerre Mondiale.
L’histoire du cinéma japonais est aussi au centre du film. De nombreuses références au cinéma japonais, tel que Godzilla, sont présents à travers les films de Chiyoko. Le réalisateur voulait, avec ce film, rendre hommage aux femmes du cinéma japonais, comme Kinuyo Tanaka ou Hideko Takamine. Bien que Millenium Actress soit purement fictif, Chiyoko présente dans ce film, le témoignage de l’âge d’or du cinéma japonais. De plus, la démolition des studios Ginei au début du film n’est pas sans rappeler la disparition des studios Shöchiku, en 1998, après leur revente.
Satoshi Kon a affirmé vouloir donner aux jeunes l’envie de s’intéresser à l’histoire du cinéma au Japon, quasiment inconnue du grand public. Le film est souvent comparé avec le premier film du réalisateur, Perfect Blue, un thriller psychologique, contant les difficultés qu’à une ancienne chanteuse pour devenir actrice. Millenium Actress est un film accordant à merveille les souvenirs, le temps, et la réalité.