
La séparation entre travail et art n’est pas récente : on peut en effet, sans remonter jusqu’à Platon, qui commence à penser une division des tâches de travail, partir du XVIIIe siècle avec Adam Smith. À partir de cette théorie, le travail s’industrialise et marque et la séparation entre le travail et l’art. En effet, avant l’industrialisation, l’artisanat marquait le lien entre la production et un savoir-faire, une création aux caractères uniques, que l’on peut considérer comme une forme d’art. Ainsi, on pourrait croire que l’industrie n’a plus ce caractère artistique. Or, cette nouvelle méthode de production n’est pas indifférente à ces effets. Elle comprend l’importance de l’art et on le réintègre dans un but bien précis, celui de promouvoir paradoxalement ses produits privés d’artisanat. C’est notamment le cas de JOB, fabriquant de cigarettes et mécène des arts.
Notre réflexion se fondera sur l’étude de la campagne de mécénat artistique de JOB. Plus particulièrement, nous aborderons la campagne de mécénat par l’analyse d’une affiche de Jane Atché de 1889.
Naissance d’une fabrique
L’histoire de l’entreprise de JOB commence avec sa création en 1838 par Jean Bardou, originellement boulanger de formation, à Perpignan. Il a l’idée de découper des feuilles de papiers minces qu’il réunit en carnet. Ainsi, le fumeur dispose d’un carnet pour rouler lui-même ses propres cigarettes. Pour marquer son invention, il dessine sur le carnet ses initiales séparées par un losange qui représente les armes de sa ville. De fait, le symbole est rapidement déformé, le losange devient un O. Il dépose son brevet en 1849. Le papier JOB est né.
L’entreprise se développe. En 1872, elle s’installe dans la commune d’Eycheil, près de Saint-Girons (Ariège), au site de la Moulasse. La production, du nom de Bardou et de Pauilhac commence en 1875. La société est fondée en 1903 et le siège social s’installe dans la ville de Toulouse. JOB fait notamment construire dans cette ville le bâtiment «l’Amiral », à l’architecture bien reconnaissable. En 1930, une usine de JOB s’installe au Sept deniers. La structure du bâtiment est d’une ampleur considérable, la façade est réalisée par l’architecte Pierre Thuriès.

Cependant, l’entreprise JOB ne connaît pas que des lendemains flamboyants. En 1986, elle est rachetée par le groupe Bolloré Technologie dans un contexte de restructuration. En 1992, le groupe hollandais KNP intervient et rachète 50 % des parts de l’entreprise, ce qui donne naissance à la société JOB-Parilux. La société continue d’être rachetée et revendue, les salariés sont licenciés par vagues. En 2001, JOB est mis en liquidation judiciaire. Republic Group, groupe international situé à Chicago, rachète l’entreprise dans les années 2000. JOB disparaît et l’entreprise s’appelle désormais Republic Technologies France.
Aujourd’hui, Republic Technologies France domine le marché, elle est la plus grande usine de production de carnets de feuilles à rouler. Sa production annuelle équivaut à celle d’un milliard de tonnes de cahiers.
Campagne de mécénat
La production industrielle qui se développe au cours du XXe siècle va utiliser un procédé qu’elle modernise : l’affiche publicitaire. Son apparition remonterait à l’ordonnance de 1539 de François Ier, qui développe l’affichage dans le pays. Elle connaît véritablement son essor avec les travaux conduits par le baron Haussman. Grâce à son nouvel urbanisme, des espaces sont dédiés à l’affichage notamment par des cadres en bois. Cela continue au cours du XXe siècle, l’affiche permet de rendre visible les innovations et les changements sociaux à travers sa propre évolution et sa diversité. Les nouveaux produits de l’ère industrielle sont alors sujets de le « réclame » illustrée.
La famille Bardou et ses associés, outre leur statut d’industriels, sont des mécènes de notoriété publique et brillent également de leurs amitiés avec des artistes. Dès 1895, ils développent avec l’aide de nombreux artistes des campagnes de publicité pour le papier à cigarettes.
Celles-ci sont composées de « la collection JOB » qui rassemble une large palette d’œuvres graphiques : des calendriers, des cartes postales, des affiches à vocation publicitaire. L’entreprise Job fait partie des grandes marques emblématiques qui développent entre 1894 et 1914 d’importantes séries d’affiches d’artistes à l’instar de Chéret, Mucha, Toulouse-Lautrec, Léandre ou encore Bouisset.
Grâce au concours qu’organise JOB entre autres, les supports commerciaux gagnent leurs lettres de noblesse. L’affiche publicitaire est considérée comme une véritable œuvre d’art. Elle permet même de rendre accessible et visible l’art qui s’affiche directement dans la rue et non plus seulement dans les musées. Ainsi l’art trouve grâce à l’affiche publicitaire un nouveau mode de diffusion des tendances esthétiques du moment.
Représentation de l’activité artistique
La campagne publicitaire JOB condense les divers mouvements artistiques de son époque. Entre 1894 et 1914, la collection JOB marque l’apogée de l’Art Nouveau par les affiches qu’elle présente. L’Art Nouveau correspond à un mouvent mais également à un style artistique qui souffle sur l’Europe à la charnière du XIXe et du XXe siècle. Cette esthétique est réellement consacrée lors de l’exposition universelle à Paris en 1900. Ainsi, la collection compte des œuvres des plus grands artistes du mouvement comme Alfons Mucha ou encore Jane Atché pour l’Art Nouveau. On compte aussi des œuvres symbolistes avec Edgard Maxence à qui l’on doit La femme à l’orchidée (1900, musée d’Orsay).
Les plus grand illustrateurs sont mobilisés à travers ces concours d’affiches comme les peintres « pompiers » tel que J.P Gervais, les orientalistes avec Rochegrosse ou encore le modernisme catalan avec Ramon Casas. La collection qui compte 32 œuvres est largement diffusée dans tout le pays et à l’étranger, les deux pièces les plus connues étant La femme bonde et La femme brune d’Alfons Mucha.
Cependant, cette production très cotée dissimule d’autres productions moins diffusées comme les soldats imaginés par Henri de Toulouse-Lautrec ou celle de Gaspar Camps. Les recherches récentes sur les artistes et la collection ont permis de reconstituer l’exhaustivité de celle-ci jusque dans les années 1920. À partir de cette date, la création deviendra très sporadique. Néanmoins, la collection de JOB ne cessera d’influencer des artistes qui revisitent les affiches. Ainsi, dans les années 1960, une affiche JOB de Mucha sera réinterprétée avec des effets psychédéliques, et en 2008 l’artiste stuckiste Paul Harvey propose une nouvelle version des affiches publicitaires de la marque.

Merci pour ce partage ! Très intéressant ! 😉
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