
Bien que l’installation monumentale de l’artiste mexicaine Carmen Mariscal ait été pensée en dehors du contexte de confinement, la réflexion qu’apporte l’artiste sur les relations conjugales résonne avec l’augmentation de 34% des violences conjugales en France depuis le commencement du confinement. En effet, cette maison prison, réalisée avec les anciens cadenas du pont des Arts à Paris, interroge la pertinence du cadenas comme symbole d’une relation amoureuse.

La conservation du patrimoine urbain
La Tour Eiffel, Notre Dame, le Pont des Arts, tous ces monuments contribuent à l’image de Paris comme ville de l’amour. Ainsi, nombreux sont les couples de touristes venus accrocher un cadenas, comme une promesse, pour symboliser leur amour, en espérant qu’il dure toujours. De 2008 à 2015, des milliers de cadenas ont donc été accrochés aux grilles du Pont des Arts. Mais en 2014, les 93 tonnes de cadenas menaçant le pont d’effondrement, la mairie a dû prendre la décision d’enlever les grilles le 1er juin 2015, et de les remplacer dans un premier temps par une exposition de street art par Jace, eL Seed, Pantonio et Brusk, puis finalement par des vitres en plexiglass pour empêcher l’accrochage de nouveaux cadenas. Depuis, les grilles sont entreposées par la mairie de Paris, loin des yeux du public dans un lieu surnommé le « vestiaire de l’amour ». La question s’est donc posée de savoir si un nouveau sens pouvait être attribué à ces cadenas.

Carmen Mariscal a assisté à l’ensemble du processus puisqu’elle a filmé la dépose des grilles en 2015. En parallèle de l’installation « Chez Nous », elle a aussi créé un film en trois plans intitulé le « cimetière de l’amour » qui permet de faire découvrir au public ce lieu mystérieux où reposent les vestiges de ces promesses. Cette vidéo-installation montre les trois phases d’un cycles amoureux : les illusions, les rêves brisés, l’après.
C’est aussi la conservation et la réutilisation du patrimoine urbain qui est au coeur de l’installation « Chez Nous », puisque cette maison monumentale de 3mx2mx3m pour un poids total de 5 tonnes est composée justement de ces anciens cadenas, mais pour leur donner un sens très différent.
La symbolique ambiguë du cadenas
Si on remonte au Moyen Âge, le cadenas dans le couple était celui qui servait à verrouiller la ceinture de chasteté de la femme quand l’homme partait en voyage. C’est donc un symbole à cette époque qui tient exclusivement de la possession et de l’absence de confiance envers l’épouse. Alors pourquoi accrocher un cadenas aujourd’hui est devenu un moyen de signifier l’amour éternel ?
Quand un couple accroche un cadenas sur ce pont, la symbolique paraît évidente : c’est un geste d’amour. C’est justement ce que Carmen Mariscal remet en question dans son travail : pour elle, le cadenas signifie aussi de manière sous-jacente l’enfermement de la relation en dehors de la sphère sociale, une sorte de possession qui peut avoir deux conséquences parfois dramatiques : l’une des personnes du couple peut considérer que l’autre lui appartient, ce qui conduit parfois malheureusement aux violences conjugales, physiques ou psychologiques, notamment quand l’une des personnes du couple tente d’y mettre fin. D’autre part, enfermer la relation comme ne concernant que les deux personnes du couples conduit parfois à considérer à tort que les affaires de couples tiennent de la sphère privée et qu’il ne faut pas d’ingérence. Or, s’il y a violences, il est de la responsabilité de tous et toutes d’intervenir et non pas de fermer les yeux !
Une maison-prison, comme le piège des relations conjugales
Cette maison de métal, sans porte ni fenêtre, veut montrer à quel point les victimes de violences conjugales sont emprisonnées dans leur propre foyer, sans échappatoire. Une vérité qui est d’autant plus marquante dans ce contexte de confinement. Le foyer censé représenter une certaine sécurité par rapport au monde extérieur, un refuge, devient pour les victimes un espace de danger. Carmen Mariscal a voulu délibérément créer une maison-prison, et le fait que celle-ci soit située en plein milieu d’un espace public, la place du Palais-Royal, accentue encore plus l’indifférence générale dans lesquelles ces violences se déroulent. Elle invite le passant à remettre en question les relations amoureuses, le foyer, et le cadenas : est-ce un lien chaleureux ou un emprisonnement ?

Enfin, l’artiste nous rappelle avec cette œuvre que nous sommes tous responsables d’aider les victimes de violences. Le contexte actuel nous force par ailleurs à être d’autant plus attentif.ve que ces violences sont en augmentation avec le confinement. Cette installation dans le cadre du parcours de la Paris Art Fair a un but non lucratif et les fonds récoltés iront à des associations de soutien aux femmes et enfants victimes de violences conjugales.
Informations pratiques :
– Dates : Installation du 12 mars au 28 avril 2020 (possible prolongation) Sculpture dans l’espace public, accès libre et gratuit, ouvert à tous et à
toutes.
– Accès : Place du Palais Royal ,75001 Paris
Métro : Palais Royal Musée du Louvre
(ligne 1 et 7)
N° Bus : 39, 68, 69, 72, 95
Stations de RER les plus proches : RER
A, B, D : Châtelet- Les Halles
Accès handicap : site accessible pour les
personnes en fauteuil en autonomie.
Pour en savoir plus sur le projet Chez
Nous visitez le site :
www.cheznousproject.com
Image de couverture : photographie de l’installation » Chez Nous » par Carmen Mariscal, tous droits réservés.