Lewis Caroll : photographie, petites filles, et nudité

Lewis Caroll, connu principalement pour son ouvrage Alice aux pays des Merveilles (1865), a aussi eu une pratique photographique soutenue, représentant près de 3 000 photographies. Ancré dans la culture victorienne, Caroll tient une production dans l’ère du temps. Mais une partie de ses créations posait déjà question de son vivant, et l’aspect immoral de celle-ci n’a fait qu’augmenter. Nous parlons de la récurrence de portraits de petites filles, parfois dans des positions lascives, ou même dénudées.

Lewis Caroll, de son vrai nom Charles Lutwidge Dogson, entretenait des relations décrites comme amicales avec ce qu’il appelait ses « amies enfants ». Ces dernières, majoritairement des petites filles, étaient issues d’environ huit familles qu’il fréquentait assidûment.

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Charles Dogson, Alice Liddell

En 1856 il achète son premier appareil et commence directement le portrait de petites filles. Il les déguise et leur demande d’incarner des rôles fantastiques. Durant son parcours il a plusieurs « muses » (terme utilisé par certains commentateurs), dont Alexandra « Xie » Kitchin et Alice Liddell – qu’il photographie  environ de leurs quatre à leurs seize ans. Cela peut nous paraître étrange, à notre époque, de laisser des petites filles avec un homme plus âgé, mais Lewis Caroll veillait à toujours avoir l’accord des parents, au nom de la pratique artistique. La photographie était très bien vue dans la société bourgeoise de l’Angleterre du XIXe siècle. Il faut également se rappeler que la mortalité infantile était très importante, il paraissait alors important de multiplier les images de ses enfants par peur de leur disparition.

Le débat des historiens et historiennes est de savoir si Lewis Caroll se consacrait à la beauté enfantine victorienne ou s’il utilisait ses photographies comme prétexte pour assouvir des penchants pédophiles. Si on peut noter qu’il ne reste plus que trente images d’enfants nus, soit 1 % de sa production, il s’agit de garder en tête qu’une partie de sa production semble avoir été détruite à sa mort (certains disent par peur du scandale). Ces prises de vues interviennent à l’époque où l’Angleterre débat de la définition juridique de l’enfance. En 1861, les rapports sexuels avec un enfant de moins de 10 ans constituaient un crime, et un délit jusqu’à 12 ans. En 1875, l’âge nubile est relevé à 13 ans, puis en 1885 à 16 ans. Ces lois formaient une assise juridique contre la prostitution enfantine principalement. La période d’activité photographique de Caroll se situe bien dans ces temps de débat et d’adoption de nouvelles lois.

Lewis Caroll - Xie Kitchin v 1875
Charles Dogson, Xie Kitchin

La fréquentation régulière et les échanges épistolaires avec ces petites filles posent de multiples questions sur la nature réelle de leur relation. Beaucoup de rumeurs se rajoutent aux faits, pour tenter de combler les zones d’ombre. Ces dernières sont favorisées par la destruction d’une partie du journal de Lewis Caroll. Une zone de flou particulièrement importante reste la journée du 27 septembre 1863 où Lewis Caroll a été interdit par la famille Liddell. Il ne pouvait donc plus visiter Alice Liddell, son « amie-enfant ». Les lettres envoyées après cette date ont été brûlées par la mère de famille. Certains avancent une demande en mariage faite à Alice, alors âgée de 11 ans, d’autres une aventure avec l’employée de maison.

Il nous reste ses photographies, à regarder, à penser. Généralement ses compositions sont centrées sur l’enfant, sur un fond neutre. Dans The Prettiest Doll in the World, la petite fille se tient debout, dans une composition épurée. Elle porte une robe à bretelles, qu’elle relève sur ses jambes, nous laissant voir ses pieds et ses mollets. Ce dévoilement partiel des corps chez la petite fille n’interroge pas autant que chez la femme. Une photographie de femme les jambes visibles auraient été interprété comme érotique, tandis qu’on préfère voir chez l’enfant une douceur innocente. Sur un des portraits d’Alexandra Xie Kitchin, on la voit couchée sur ce qui semble être un récamier ou un sofa, les yeux fermés et sa poitrine dénudée comme si le vêtement glissait le long de son corps.

Dans le corpus de Dogson, on pense aussi à Beatrice Hatch qui commence à poser nue pour lui dès cinq ans. Sa mère autorise chacune des séances, sans en ignorer le contenu. D’ailleurs, on retrouve des photographies de ses deux sœurs dans les productions de Dogson. Parmi elles, Evelyn Hatch as a gypsy sitting by a brook qui est à l’origine, comme la photographie de sa sœur, une image de Dogson colorisée par Anne Lydia Bond sur les instructions de celui-ci. Elles sont toutes les deux assises, montrant leur nudité sans en dévoiler les détails. Elles ont été placées dans un décor naturel, leur laissant une atmosphère sereine et calme, qui détonne avec leur complète nudité.

Une constante dans les récits de ses petites filles était de rassurer le public sur la réalité de cette amitié platonique entre Dogson et les fillettes,  chacune étant présentée comme la favorite de l’artiste. Ce discours sur les « muses », les « favorites » du photographe interroge tout de même sur le contenu de leurs échanges oraux lors des séances de poses et leurs dialogues écrits. L’âge de ses fillettes ne leur permettait pas d’avoir un regard lucide sur la nature de leur relation avec Dogson. L’objet de l’article n’est pas de dire si Dogson / Caroll était pédophile, mais d’interroger les compositions. Certes, la photographie d’enfants n’avait pas la même teneur en sexualité et en tabou qu’actuellement, mais pourquoi la persistance d’une nudité partielle ou complète ? Pourquoi entretenir une relation épistolaire avec des modèles ? Beaucoup de questions restent en suspend.

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