
« C’est une légende créée de toutes pièces par la presse », proclamait Christiane Harlan à propos de son époux. Stanley Kubrick a su s’imposer dans le monde du cinéma, et grimper bien plus haut que ce que le jeune photographe qu’il était à ses débuts aurait pu espérer, figurant aujourd’hui parmi les plus grands réalisateurs de l’Histoire. Ce cinéphile autodidacte, devenu cinéaste perfectionniste, a indéniablement marqué les esprits, même plus de vingt ans après son décès.
Si ses films ont su construire la légende du réalisateur, il n’en est pas moins de sa personnalité. Cet homme discret s’est transforme en un être dur lorsque qu’une caméra lui est passé entre les mains. Stanley Kubrick, réalisateur perfectionniste et touche à tout, aimait avoir le contrôle total sur son film. Beaucoup d’encre a coulé à son sujet. Critiques, réalisateurs, amis, entourage… Tantôt homme provocateur et mégalomane, tantôt réalisateur de génie, tout le monde a eu son avis sur Stanley Kubrick. Ses films, vivement critiqués, furent souvent sujets à polémiques, surtout Orange Mécanique, vivement critiqué pour sa violence, et que la censure a voulu étouffer. Certains réalisateurs, pourtant, se sont rangés auprès de Kubrick, comme Steven Spielberg et Martin Scorsese.
Débuts dans la photographie
C’est âgé de treize ans que le jeune Stanley Kubrick se passionne pour la photographie, après que son père lui ait offert un appareil photo. Trois ans plus tard, bien qu’il soit encore un lycéen, il arrive à se faire embaucher comme photographe indépendant pour le journal Look.


C’est ici qu’il apprend le métier et se familiarise à la conception de l’image. Son goût pour la perfection lui fait faire et refaire des centaines de fois la même photo jusqu’à trouver le cliché idéal, demandant parfois de surjouer une scène, comme ça a été le cas avec un kiosquier, pleurant la mort de Franklin D. Roosevelt. Très observateur, Kubrick s’intéresse déjà aux différentes relations humaines, qui le poursuivront jusque dans ses films.
Il trouve comme sujets les gens de sa ville. Les new-yorkais apparaissent sur portraits, dans des mises en scènes que seul Stanley Kubrick sait si bien mettre en avant. Ses différents reportages, sur la nuit, la boxe et le cinéma, font germer en lui sa passion pour le cinéma. Il fréquente beaucoup le studio du film La cité sans voiles, de Jules Dassin, ce qui contribue à sa sensibilité pour le cinéma et le travail de l’image. Pendant quatre ans, il exerce ce métier de photographe indépendant, avant de faire un bond décisif dans le monde du cinéma.

Kubrick et le cinéma
Seul, il apprend le métier de cinéaste. En plus de mettre à profit ses talents de photographe, il participe à plusieurs projections au MoMA de New York, où il se passionne pour le cinéma d’auteur européen. Kubrick est partout à la fois, depuis le scénario, jusqu’au montage, en passant par le cadrage et le son. Il débute dans le documentaire et le court-métrage. Il n’hésite pas à s’inspirer de son récit-photo Prizefighter pour réaliser son reportage Day of fight, et suit le boxeur Walter Cartier pendant quelques jours. Arrive ensuite Flying Padre, qui suit pendant deux jours un missionnaire catholique, Fred Stadtmueller. Il obtient des financements de la RKO, qui distribue ses deux reportages. « Même si mes deux films étaient mauvais, ils étaient bien photographiés », dira-t-il par la suite.
Échecs et perfectionnisme
C’est avec Fear and Desire qu’il signe son premier long-métrage. Son perfectionnisme le pousse une fois de plus à tout faire, bien que le scénario ne soit pas de lui. Il fait pourtant
l’erreur de ne pas tourner l’image avec le son. Le film est un échec commercial. Kubrick lui-même le qualifiera de « tentative inepte et prétentieuse ». Cela ne l’empêche pas de continuer dans le cinéma. Bien que son deuxième film, Le baiser du tueur est également un échec, par manque d’originalité dans le scénario, il prouve cependant la maîtrise par Stanley Kubrick du cadrage et l’éclairage. Il s’agit du seul scénario original écrit par Stanley Kubrick.
Par la suite, il travaille sur des adaptations de romans ou de nouvelles. Ainsi porte-t-il à l’écran Shining, de Stephen King, Lolita de Vladimir Nabokov, Les sentiers de la gloire de Humphrey Cobb, L’Orange mécanique de Anthony Burgess, Spartacus de Howard Fast, Mémoires de Barry Lyndon par William Makepeace Thackeray, The Short timers de Gustav Hasford que l’on retrouve avec Full Metal Jacket, Traumnovelle de Arthur Shnitzler que Kubrick réalise avec Eyes Wide Shut. En mangeant de l’herbe, de Lionel White, est adapté dans L’Ultime Razzia. 120 minutes pour sauver le monde de Peter George repris avec Docteur Folamour, et La sentinelle de Arthur C. Clarke a inspiré 2001 l’Odyssée de l’espace. Stanley Kubrick nous montre dans ses films une vision très pessimiste de la nature humaine.

Bien conscient que le conflit est au cœur du drame et de l’intrigue, il voit pourtant dans cette idée une réflexion bien plus profonde, que l’on ressent dès ses premiers films. L’agressivité de l’Homme est un point central de sa filmographie. Stanley Kubrick met un point d’honneur à la préparation de ses films, dont nous avons retrouvé de nombreuses traces. En se plaçant en historien-cinéaste, ses films sont inspirés des crises de l’Histoire, et surtout de différents basculements vers l’inconnu. Barry Lyndon, notamment, est né à partir des recherches faites par Stanley Kubrick pour Napoléon, film qui n’a jamais vu le jour. D’autres films d’histoire seront bien réalisés, comme le peplum Spartacus, mais aussi des films de guerre, Full Metal Jacket, Docteur Folamour ou encore Les Sentiers de la Gloire.
Le perfectionnisme dont il a toujours su faire preuve lui a valu d’être critiqué par certains de ses collaborateurs et acteurs, le désignant comme colérique et paranoïaque. L’actrice Shelley Duval, qui a incarné Wendy Torrance dans Shining, a affirmé s’être emportée dans une dispute que le réalisateur avait volontairement enclenchée, pour la préparer à une scène émotionnellement forte. Malgré sa forte implication dans ses ouvres, une dizaine de ses projets de films n’a jamais abouti, comme Napoléon, ou encore I stole 16 millions dollars.
Son travail sur le cadrage et sur la lumière est hérité de son métier de photographe. Kubrick suit un schéma très symétrique lorsqu’il s’agit du cadrage. Les décors, les personnages, répondent à cette idée d’une symétrie parfaite, comme le placement des soldats de Full Metal Jacket, ou le labyrinthe de Shining. C’est sa méticulosité presque psychorigide qui a dominé la production photographique de ses débuts et qui lui a permis de créer les chefs-d’œuvre du cinéma qu’on lui connaît.