
Pour l’acteur James Stewart « un western est un bon western s’il vous plonge dans son monde, et vous donne une idée des qualités qu’avaient ces hommes – leur camaraderie, leur loyauté, et leur courage physique ».
Ainsi, un homme auquel le western doit beaucoup résume en quelques mots l’importance de ces héros. Protagonistes d’un genre qui a connu des heures de gloire et de mépris, mais qui en 120 ans de cinéma, n’a cessé d’exister et de captiver. C’est sans doute grâce à ces « hommes de l’ouest » qui l’incarnent, dont les actions, les valeurs, et la complexité fascinent encore aujourd’hui.
Qu’est-ce que le western classique ?
Genre le plus codifié du cinéma hollywoodien, le western a pourtant séduit de nombreux cinéphiles à travers les âges. Étroitement lié à l’histoire des États-Unis, l’action se déroule toujours à la fin du XIXe siècle, en pleine conquête de l’Ouest. Les protagonistes sont appelés les « pionniers » : fermiers ou citadins, ils arrivent de la côte Est pour investir un territoire dominé par les Indiens. Le western raconte leur vie quotidienne (le maintien de l’ordre, les querelles, la famille) et les événements historiques de la conquête (la conduite du bétail, les guerres avec les Indiens). Ces pionniers sont stéréotypés à travers une panoplie de personnages mémorables : cow-boys, shérifs, Indiens, hors-la-loi, tenancières de saloon, épouses éplorées et chasseurs de primes. Ils vivent dans un monde éminemment violent, dangereux et masculin, où s’opposent souvent de manière manichéenne, les bons et les méchants. Ils ont été interprétés par les plus grands acteurs, comme John Wayne, Henry Fonda, Gary Cooper ou Robert Mitchum, et les plus grandes actrices, comme Joan Crawford, Marlene Dietrich, Barbara Stanwyck ou Grace Kelly, qui ont contribué à faire de la période classique (les années 1930 à 1960), une période inoubliable dans l’histoire du western.
Cow-boys et shérifs : des figures positives
LE COW-BOY
Conduisant avec bravoure son bétail à travers l’immensité des paysages américains, le cow-boy est la figure la plus fameuse du western américain. Dans La Rivière Rouge (1948), Howard Hawks le pourvoit d’une intensité inédite. Le film met en scène le riche éleveur de bétail Thomas Dunson (John Wayne) et son fils adoptif Matt Grath (Montgomery Clift). Tous deux s’emploient à conduire leur bétail au Nord du pays, pour le revendre. Leur héroïsme réside dans leur admirable force mentale et physique, qu’évoquait James Stewart. En effet, Howard Hawks offre une vision presque documentaire de leur dur labeur. Le réalisateur va jusqu’à mobiliser 9000 bœufs durant trois jours, pour filmer huit minutes d’une traversée de rivière restée gravée dans l’histoire. Mais la puissance du film réside surtout dans l’étude des personnages principaux et de leur relation : le tempérament imbuvable de Thomas Dunson est certes nécessaire pour mener un troupeau, mais il se révèle insupportable pour son fils adoptif et pour ses hommes. Matt décide alors de rompre leur lien. Jamais la réalité de la vie d’un cow-boy n’avait été aussi bien dépeinte, et jamais ils n’avaient été rendus aussi humains et fascinants que dans La Rivière Rouge.

LE SHÉRIF
Dans un monde indompté et dépourvu de loi, le shérif incarne l’ordre, la justice et le courage. Il peut évoluer dans les plaines arides de l’Ouest, à la poursuite de terribles hors-la-loi, comme dans un

milieu plus urbain. C’est le cas du shérif Will Kane (Gary Cooper) dans Le train sifflera trois fois (1952) de Fred Zinneman. Alors qu’il vient d’épouser Amy (Grace Kelly) pour qui il s’apprête à prendre sa retraite, on lui annonce l’arrivée du bandit Frank Miller et de sa bande avec le train de midi, déterminés à se venger du shérif les ayant arrêtés. Filmé quasiment en temps réel, le film ne cesse de nous tenir en haleine par un suspense maîtrisé. Will Kane décide finalement d’accomplir une dernière fois son devoir, et d’affronter ses ennemis. Mais il se retrouve entouré de lâches : les citoyens refusent tous d’aider la justice, par souci de conservation personnelle. Ainsi, le cinéaste met en exergue son héroïsme et sa bravoure, alors qu’il s’avance seul dans la petite bourgade d’Hadleyville pour se confronter aux bandits. D’autres shérifs du western classique suscitent cette même admiration : l’un des plus mémorables se trouve dans La Poursuite Infernale (1946) de John Ford. Après le meurtre de son frère cadet, l’ancien shérif Wyatt Earp (Henry Fonda) reprend ses fonctions dans la ville de Tombstone, où résident les coupables. Serein et solitaire, il ne perd jamais de vue son but premier : la vengeance. Avec elle, il apporte la justice dans une communauté dominée par l’anarchie.
Étrangers et hors-la-loi : des figures ambigües
L’ÉTRANGER
Rendu célèbre par Clint Eastwood et les westerns spaghetti de Sergio Leone, le personnage de l’étranger trouve en réalité ses racines dans le western classique américain. L’Homme des Vallées perdues (1953) de George Stevens met en scène le plus célèbre d’entre eux : il s’appelle Shane et est interprété par Alan Ladd. C’est un cavalier solitaire, au passé secret. Sur son chemin il fait halte chez les Starrett, une famille de fermiers du Wyoming, à qui il propose son aide en échange d’un toit. Maria, la mère de famille, est charmée par le côté mystérieux de Shane, et son fils Joey est impressionné par cet étranger vêtu de daim clair. Mais lorsque la famille reçoit les menaces des riches éleveurs de la région, voulant récupérer leurs terres, Shane révèle sa vraie nature : celle d’un tueur. Il réagit nerveusement à certains bruits et il est extrêmement habile avec son pistolet. Alan Ladd donne au personnage un air énigmatique et inquiet, le rendant captivant aux yeux du spectateur. Après avoir accompli sa tâche, sans rien attendre en retour, il repart en s’enfonçant dans la vallée d’où il était soudainement apparu.

LE HORS-LA-LOI
Personnage emblématique du western, le hors-la-loi est un criminel : il vol, il tue et sert souvent de contrepoids au héros incarnant des valeurs vertueuses. Cependant, le hors-la-loi peut

être un personnage plus complexe, dépassant une vision manichéenne simpliste.
Dans 3h10 pour Yuma (1957) de Delmer Daves, Ben Wade (Glenn Ford) a tout du parfait bandit : assassin, manipulateur, dangereux et séducteur. Celui qui le conduira à la gare où passe le train de 3h10 pour la prison de Yuma, recevra une prime de 200 dollars. Le fermier Dan Evans (Van Heflin) se porte volontaire. Au dernier moment, alors que les deux hommes sont encerclés par la bande de Ben Wade, le hors-la-loi fait un choix étonnant. Au lieu de s’enfuir avec ses compagnons, il monte à bord du train et sauve le fermier d’une mort certaine. Face à son étonnement, il lui explique qu’il n’aime pas devoir rendre des comptes (le fermier l’avait aidé auparavant), et que de toute façon, il s’est déjà évadé trois fois de Yuma.
Par ailleurs, de nombreux westerns classiques racontent l’histoire des hors-la-loi de l’Ouest ayant réellement existé. C’est le cas de Billy The Kid, fameux bandit qui aurait tué 21 personnes en 21 ans, avant d’être abattu le 14 juillet 1881 par son propre ami, le shérif Pat Garrett. Avec Le Gaucher (1958), le réalisateur Arthur Penn se démarque des adaptations précédentes de la légende, en donnant à Billy The Kid, interprété par Paul Newman, une dimension psychanalytique nouvelle. Sans faire de lui un héros ou un antihéros, il le montre comme un adolescent immature, souffrant de l’absence d’une figure paternelle. En effet, profondément déçu par la justice corrompue de sa ville, Billy entend venger lui-même le meurtre de son patron qu’il considérait comme un père de substitution. Cependant, sa naïveté et son entêtement le mèneront à sa perte. Souligné par le jeu enfantin de Paul Newman, Billy The Kid apparait comme un gamin inconscient, pour qui on éprouve surtout du chagrin.
Quel rapport aux Indiens ?
Au début de son histoire, le western fait de l’Indien un ennemi dangereux et cruel. Hollywood glorifie les personnages historiques ayant contribué à son massacre : le chasseur Buffalo Bill est ovationné dans Une aventure de Buffalo Bill (1936) de Cécil B. DeMille, tout comme le général Custer dans La Charge Fantastique (1941) de Raoul Walsh. Cependant, dès les années 1950 le discours du western change. L’un des premiers à rendre sa dignité aux populations autochtones est Delmer Daves. Dans La Flèche Brisée (1950) il raconte l’histoire de Tom Jeffords (James Stewart), citoyen américain vivant en Arizona qui tente courageusement de conclure une paix avec les Apaches. Ces-derniers sont menés par leur chef Cochise (Jeff Chandler), un homme respectueux, ouvert d’esprit et loyal, avec qui Tom se lie d’amitié. Or, dans les deux camps, certains sont déterminés à poursuivre la guerre. L’accord finit brisé, lors d’un terrible bain de sang. James Stewart interprète avec sincérité et sensibilité cet homme de l’Ouest pacifiste, juste et admiratif de la culture apache. Son personnage nous rappelle un certain John Dunbar, lui aussi tombé amoureux de la culture indienne dans le célèbre Danse avec les loups (1990) de Kevin Costner.

D’une tout autre manière, La Prisonnière du Désert (1956) de John Ford défend aussi les populations indiennes. Le film met en scène le personnage d’Ethan Edwards (John Wayne), un ancien soldat de la Confédération, obsédé par l’idée de retrouver ses nièces. Ces dernières ont été faite captives dans leur enfance par une tribu comanche. Ethan est montré comme un homme triste, énigmatique, âpre et solitaire, à la fois attachant et détestable. En effet, sa haine envers les Indiens le pousse à commettre les pires atrocités : tirer dans les yeux d’un cadavre pour le blasphémer, massacrer des bisons afin d’affamer les Apaches, et même songer à tuer sa propre nièce Debbie qu’il considère « souillée » par les Indiens. John Wayne offre au personnage une réelle intensité, par la tristesse de son regard et l’horreur de ses actes, il nous amène à nous demander comment un homme peut en arriver là. Lors de l’attaque finale par les colons du camp des Comanches, le cinéaste s’attarde sur les corps sans vie des femmes et des enfants. Ainsi il montre l’autre versant de la conquête de l’Ouest : celui du massacre terrible et injustifié.

Finalement, si le western classique passionne tant c’est grâce à ses héros : leurs actions toujours plus spectaculaires, leur manière de voir le monde, leurs sentiments et leurs émotions rendent les films captivants et universels. Cependant, dès la fin des années 1960 débute une nouvelle période pour le genre. Il est actualisé par le Nouvel Hollywood et revisité par le fameux Sergio Leone, grand maître du western spaghetti.
QU’EN EST-IL DES FEMMES DE L’OUEST ?
Du point de vue historique, la conquête de l’Ouest fut principalement masculine. Néanmoins, les femmes sont omniprésentes dans le western classique. Leurs rôles sont d’une grande variété, allant de la chanteuse de saloon à la prostituée, en passant par la hors-la-loi, l’épouse ou la mère de famille, et permettent la plupart du temps de romantiser l’intrigue. Or les plus grands westerns ont su doter les personnages féminins d’une profondeur et d’une force sans précédent, faisant d’elles l’égal des hommes. Elles méritent évidemment un article dédié à elles seules, publié prochainement…
Roxanne Haessig
