
La fin des vacances approche, retour à la ville et au béton. Toutefois tout espoir n’est pas perdu, pour les amoureux de grand air, l’exposition « L’Atelier de la nature, 1860-1910, Invitation à la Collection Terra » au Musée des Impressionnismes à Giverny est faite pour vous. Venez contempler les paysages impressionnistes revus par les artistes américains. Laissez-vous charmer par le jeu des couleurs en larges touches et les effets de lumières sur les champs de blé.
Le fil directeur de l’exposition amène le visiteur à découvrir l’évolution de la peinture de paysage en se concentrant sur l’art américain. Outre l’idée de découverte de la nature, l’exposition est également une invitation au voyage, bien que le parti pris est de n’exposer que des artistes originaires des États-Unis. La France rend hommage aux États-Unis, pays qui au XIXe a porté un regard précurseur sur l’art français et notamment en soutenant les avant-gardes.
Les lieux immortalisés sont multiples et ne se limitent pas aux frontières de cette nation. Le départ de ce voyage commence à Yellowstone, fait un détour par l’Italie pour vous ramener enfin en France, à Giverny.
Peindre en plein air est une pratique novatrice à l’époque où les artistes sont habituellement cantonnés dans leurs ateliers. Cette attitude va être promue par le courant impressionniste. Dès 1855, le peintre Asher B. Durand diffuse cette idée via une lettre ouverte. Selon lui, les élèves doivent se former face au sujet même, c’est à dire en plein air. Asher B. Durand met ainsi en avant la notion « d’atelier de la nature », expression à la postérité florissante que l’on retrouve même dans le titre cette exposition.
Les artistes développent une sensibilité différente de celle du discours académique, au lieu de retranscrire fidèlement le paysage, ils s’attachent à traduire les émotions créées par ce dernier. Le discours artistique bascule, il n’est plus question d’imitation mais d’imagination. Qu’ils soient à Barbizon ou à Giverny, les toiles des peintres américains, faites de larges touches, jouent tant sur les effets de lumière que sur le choix de scènes plus ordinaires. Après leur retour aux États-Unis, ceux-ci conservent leur apprentissage impressionniste mais le métissent avec d’autres techniques plus modernes.
Toutefois, la peinture sur le motif n’a pas toujours régné en maître et il serait erroné de réduire la question à cette seule tendance qui ne représente qu’une seule salle du parcours. Il nous faut rendre hommage au travail de la commissaire d’exposition, Katherine Bourguignon, qui loin d’offrir une vision binaire, nous amène à explorer les différentes esthétiques utilisées par les peintres.
Une immersion progressive dans l’art du paysage sous tous ses supports
Pour pénétrer dans ce domaine, la visite s’organise chronologiquement des années 1860 à 1910. Le découpage en cinq sections contribue à aborder de manière fluide les diverses réflexions esthétiques autour de la nature en art.
I. Les liens entre photographie et peinture de paysage dans les années 1870
Du fleuve Hudson à Yellowstone
Le début du parcours scénographique nous invite à plonger dans les grands espaces américains. Peu ou mal connues du public européen, ces toiles de modestes dimensions, très léchées, jouent sur la profondeur et la grandeur de leurs paysages. Les années 1860 et 1870 correspondent à l‘âge d’or de la peinture et de la photographie de paysage aux États-Unis. Toutefois la nature n’est pas le seule sujet, chez Alfred Thompson Bricher, Sanford Robinson Gifford ou encore Worthington Whittredge, des personnages viennent peupler les berges et les chemins.
Ce goût pour la représentation de l’Ouest entre les année 1860 et 1880 s’explique par l’organisation de plus en plus récurrente d’expéditions pour étudier le territoire. Très rapidement, la photographie est utilisée de manière massive à des fins documentaires. Parmi les grands photographes de la périodes, vous pourrez admirer les clichés réalisés par Timothy O’Sullivan ou encore George Barker (1844-1894). La multiplication et la diffusion de ces images les font dévier de leurs fonctions initiales, elles sont réappropriées à des fins idéologiques et promotionnelles. Néanmoins, cette massification de la diffusion de la beauté de ces espaces apporte une revalorisation du cadre naturel et une prise de conscience par le gouvernement. Effectivement, le Congrès vote en 1872 la création du premier parc national, Yellowstone Park.
II. La réinvention radicale du paysage par Whistler
Les paysages esthétiques de Whistler
Une place d’honneur est réservée à James Abbott McNeill Whistler, ce qui n’a rien d’étonnant. Whistler (1834-1903), d’origine américaine est la figure même de l’artiste cosmopolite, ayant vécu en Russie mais aussi à Paris où il étudie les arts. C’est surtout au travers de son travail du paysage que vous pourrez le découvrir à l’exposition du Musée des Impressionnismes Giverny.

Son rapport à la nature est assez surprenant. Étant imparfaite, c’est au peintre de l’améliorer, de la magnifier. Loin de l’idée d’une copie servile, l’américain choisit de modifier le réel en s’inspirant notamment de l’art japonais.
Le rayonnement du style de Whistler est également permis par un autre medium que la peinture, la gravure. Sa série de vues de Venise éditée en 1880 et 1886, en est un exemple, c’est grâce à ce type d’œuvre qu’il touche les nouvelles générations d’artistes tant européennes qu’américaines.
III. Des paysages aux ambiances poétiques
Les paysages d’émotion, cherchant à toucher l’intime produit par les peintres américains dans les années 1880, sont issus de la sensibilité de Whistler mais également de celle de l’école de Barbizon. La représentation de la nature quitte toute matérialité pour le monde spirituel. Cette tendance est tout particulièrement exprimée par les créations de George Inness (1825-1894). En observant L’été à Montclair (1877), le spectateur sentira au travers des touches de plus en plus visibles, une plus forte retranscription des émotions.
Les peintres ne voient plus des formes à reproduire car ils regardent maintenant avec leur cœur. Pour donner une image plus concrète de cette nouvelle manière de penser, il faut dire deux mots de la manière avec laquelle sont réalisées les toiles. Tandis que leurs prédécesseurs, les impressionnistes, travaillaient en extérieur, les Américains croquent en extérieur le sujet puis réalisent d’après leurs souvenirs les paysages.
IV. L’impressionnisme coloré de Giverny
La vie du village de Giverny change en 1883 avec l’arrivée de Claude Monet. Suite à son installation, ce petit bourg devient connu à travers le globe, des centaines d’artistes internationaux se rendent sur place au cours des trente années suivantes. Giverny a plusieurs atouts qui lui apportent sa renommée, la présence bien sûr du « maître des impressionnistes » (du moins d’un point de vue outre-atlantique) mais également la possibilité d’une émulation artistique en plein air et si proche de la « capitale des arts», Paris.
Du fait du lieu de l’exposition, le choix a été fait d’explorer les relations entre les peintres américains en séjour dans le petit village et Claude Monet. Quand il y a encore peu de visiteurs, le maître accepte de peindre à leurs côtés, de les inviter à dîner. Après leurs départs Monet continue d’entretenir ces amitiés grâce à la correspondance. Néanmoins, tout n’est pas rose dans ce monde aux couleurs pastel, les tensions existent aussi. La plus frappante est celle entraînée par uns inspiration un peu trop poussée des meules de Monet.
Breck (1860-1899) va réaliser à son tour une série sur les mêmes meules où il étudie la lumière sur les différentes heures de la journée. Le résultat en est presque cinématographique. Toutefois Monet ne voit pas d’un très bon œil cette réalisation et coupe les ponts avec l’artiste.
V. Les diverses interprétations de la nature par des artistes urbains du XXe siècle
Vers une vision moderne
Une fois l’apprentissage de la technique impressionniste acquis, les Américains retournent chez eux et vont alors essayer d’adapter les fruits de leurs voyages avec leurs propres territoires. Néanmoins, la difficulté reste de taille, effectivement la lumière grise de Paris a peu en commun avec la chaleur de Cuba. Ainsi dans Ruisseau en juin, Willard Metcalf recourt à une palette plus lumineuse pour adapter la manière des impressionnistes de Giverny.
Cette tendance très nationaliste amène la touche à revenir faire un aspect plus lisse. C’est le cas dans le tableau de William Merritt Chase Matin sur la digue, Shinnecook, vers 1897 peint par le chef de fil de l’école en pleine air outre-atlantique. Dans ce tableau, deux manières de créer s’opposent dans la partie basse, les traces du pinceau sont visibles tandis qu’en partie haute le rendu est plus académique avec une ligne d’horizon apposée parfaitement au milieu de la composition, ce qui n’a rien d’avant-gardiste !
Or la modernité est bien en marche. L’adaptation peut porter beaucoup plus loin et amener des changements de sujets. Pour ne citer que quelques exemples qui vous seront possible de découvrir, Childe Hassam (1859-1935) ou Edward Simmons (1852-1931), usent de la touche vive et légère pour des scènes urbaines. La fin du parcours de visite tend vers des œuvres à la limites de l’abstraction, à l’image de La cueillette des airelles à Montegan par Rockwell Kent (1882-1971) peinte vers 1907.
Parler du paysage afin de repenser l’Homme
Ce genre artistique est promu comme un miroir de l’esprit humain. Il est possible d’y lire au travers les jeux des influences artistiques, les tentions et tentatives de création d’une identité nationale mais aussi les rapports de l’homme à la nature.
De la variété des supports
L’une des grandes richesses de cet accrochage est la très grande mixité des supports, chose que l’on retrouve assez rarement et qui est à déplorer. La peinture n’est pas élevée au rang d’unique médium artistique, la commissaire a réussi à replacer cette dernière dans son contexte, entourée, soutenue, influencée par d’autres types de productions artistiques que sont la photographie et la gravure.
Cette variété est permise par de nombreux prêts du musée d’Orsay, de la Bibliothèque nationale de France et de la Société de Géographie. Mais aussi d’œuvres de Terra Foundation for American Art, l’objectif étant d’offrir une nouvelle compréhension de l’évolution de l’art du paysage au travers du travail des artistes américains.
L’exposition se veut nuancée, et présente aussi bien la vision traditionnelle de la nature, comme un espace idyllique où toute créature trouve sa place de manière harmonieuse que le pressentiment de l’impact négatif de l’activité humaine sur son environnement. Une réflexion tout à fait actuelle qui donne une intemporalité et une modernité à la présentation de ces œuvres.
Pour toujours être au courant des expositions en cours en France :
Musée des Impressionnismes Giverny, 12 septembre 2020 – 3 janvier 2021. Commissariat : Katherine Bourguignon, Conservateur à la Terra Foundation for American Art.