
Erwin Wurm, Outdoor Sculpture (Taipei). (2000). C-print, 159.1 x 126.5 cm © Erwin Wurm.
C’est un nouveau regard sur le quotidien que propose Erwin Wurm, photographe autrichien reconnu sur la scène internationale, exposé aux biennales d’art contemporain et professeur aux Beaux-Arts de Paris.
Sa carrière débute dans les années 1990 et s’articule autour de deux thèmes principaux, le détournement ainsi que l’éphémère.
Le temps est un aspect essentiel de son œuvre, pour que ces « One minute sculptures » fonctionnent, il faut que le laps de temps soit limité, pour capturer la réaction des sujets avant qu’ils n’aient le temps d’analyser les instructions qu’il leur donne.
La photographie est pour lui un médium pour interpeller le spectateur, et le pousser à questionner son rapport au réel, aux conventions, aux normes, au politiquement correct.
Espiègle, il prend au pied de la lettre des expressions connues et les détourne, créant la surprise.Cela s’explique également par le fait que les sujets de ces photographies conservent des expressions neutres, sérieuses, contrairement à leurs postures et leurs actions absurdes et dénuées de sens. Erwin Wurm fait souvent appel à des volontaires, des inconnus, auxquels il donne des consignes, des instructions précises, dans sa série « One minute sculptures ». Il s’agit là encore de questionner jusqu’où peut aller l’obéissance d’un individu face à une figure d’autorité ; dans le cas présent, un artiste renommé. Il est important pour lui de sortir du milieu artistique, de prendre des gens communs qui sont comme des cobayes. Il déclare, interrogé à ce sujet « je préfère travailler avec les gens de la rue, afin de connaître leur désir, leur façon de penser. »
Les lieux des photographies peuvent paraître de prime abord banals ; il peut s’agir de motels américains, réaménagés à sa manière comme dans sa célèbre série « Hotel Rooms », réalisée en 2001. On peut ajouter à ce sujet que cela lui a parfois porté préjudice, en effet, il raconte avoir déplu aux maîtres d’hôtels, furieux de constater l’utilisation surprenante qu’il faisait des meubles des chambres où il passait la nuit.
Les objets semblent s’animer, mués d’une vie propre ; une chaise en équilibre, instable, des lits empilés, des voitures déformées, un bidon chimique relié au mur…Il semble jouer du contraste entre le fond et la forme, le sérieux et le ridicule, le banal et l’étonnant.
Il donne même la parole à une maison dans sa vidéo « Fat House » en 2003, créant chez le spectateur un sentiment d’empathie pour un objet inanimé. Erwin Wurm place le mobilier et les personnages de manière inhabituelle, bouleversant ainsi les attentes du spectateur. Il crée ainsi à sa manière de nouvelles formes de sculptures ; son œuvre s’inscrit quelque part entre la photographie et la performance.

Il s’oppose à une vision figée de l’art, qui, de par son aspect éphémère, est d’autant plus puissant, marquant. Ce sont des œuvres remarquables qui semblent en évolution perpétuelle, loin d’être seulement figées sur du papier glacé, rappelant aussi les œuvres surréalistes.
Il est possible notamment d’établir des parallèles avec l’œuvre de René Magritte. L’artiste belge s’est toujours farouchement opposé à ce que l’on apporte une explication, une analyse psychanalytique de ces œuvres, qui évoquent des visions oniriques étranges : « l’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse, il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. » Selon lui, ces œuvres mystérieuses ne peuvent être vues comme des rébus à déchiffrer ou des énigmes à résoudre. Le spectateur ne peut cependant que s’interroger sur la signification de telles peintures, ainsi que de leurs titres, parfois encore plus flous.

Le photographe partage donc avec Magritte cet aspect novateur, cette manière de jouer avec les frontières entre le réel et l’imaginaire, défiant les normes du langage artistique. Cependant, même si ces œuvres peuvent paraître uniquement comiques au premier abord, amusantes, divertissantes, il ne faut pas négliger l’aspect politique de son œuvre. Il s’agit bien là d’une critique de la société contemporaine, noyée dans la consommation des biens matériels et dans une insatisfaction permanente. Il remet en question une certaine manière de vivre, d’envisager un certain modèle de réussite à travers l’accumulation des objets matériels.
Erwin Wurm déclare d’ailleurs dans une interview, à propos de notre époque qu’il est « horrifié par notre futur, notre environnement ». Le spectateur ne peut rester insensible face à ces photographies, Erwin Wurm cherche avant tout à créer une réaction, quelle qu’elle soit. Ces séries de photographies sont comme autant de palettes d’émotions, de variations autour d’un même thème ; le détournement des objets, allant de l’humour à la répulsion. Tous les objets sont potentiellement des œuvres d’art, comme autant d’expériences à réaliser.
C’est sa manière unique de faire passer un message, celui selon lequel nous vivons dans un monde dénué de sens.
Sources : https://www.mep-fr.org
La biographie de l’artiste.
L’exposition a lieu à la Maison Européenne de la Photographie à Paris du 17 juin au 30 septembre 2020.