
Le Palais Galliera rouvre ses portes pour notre plaisir à tous en dévoilant l’exposition Gabrielle Chanel . Manifeste de mode, un événement qui s’inscrit dans le contexte de la semaine de la mode qui débute en ce moment même à Paris.

Les prémices d’un empire
En l’espace d’un demi-siècle, Coco Chanel a révolutionné la mode féminine. Née à Saumur en 1833, orpheline, elle ira parfaire son éducation de l’abbaye cistercienne d’Aubazine en Corrèze. Elle devient par la suite modiste aux côtés de Lucienne Rabaté. Elle participe à la fabrication de trousseaux, de layettes. Son surnom, Coco, lui vient de ses premiers pas dans le milieu mondain, d’une chanson qu’elle interprétait souvent : « Quelqu’un a vu coco sur le Trocadéro. » Ce surnom est à son image, intrépide et moderne. C’est à Paris qu’elle fait une rencontre qui marquera le reste de son existence, celle d’Étienne Balsan, qui l’introduit dans la vie mondaine.
C’est grâce à Étienne Balsan qu’elle rencontre son premier mari qui la convainc de se lancer dans la fabrication de chapeaux. C’est grâce à lui qu’en 1910, elle fonde sa première boutique parisienne, rue Cambon.
Gabrielle Chanel innove et crée avant tout pour elle-même. Elle envisage la haute couture comme un laboratoire d’expérimentation, en travaillant directement sur les corps des mannequins qu’elle choisit. Ses créations se démarquent par leur grande simplicité, qui font leur élégance. Elle refuse tout élément superflu, en opposition avec la mode de son époque. Ces créations appartiennent à un ensemble, à une collection, elles s’inscrivent dans une continuité.

Parmi ses lieux de prédilection figurent des stations balnéaires telles que Deauville et Biarritz, où elle ouvre successivement des boutiques. « Dans ses jolis nouveaux salons, Chanel crée des modèles de tricot pour Biarritz » titre Harper’s Bazaar en août 1918. Les modèles de tricot se portent en vacances, au bord de la mer, à la campagne. L’étoffe, venue d’Écosse, et les lainages, d’ordinaire réservés exclusivement au vestiaire masculin inspirent Chanel. Elle joue des motifs ; tartans, carreaux, pieds-de poule. La pénurie de tissu durant la Première Guerre Mondiale force la créatrice à se fournir en jersey, une matière réservée qui était traditionnellement réservée aux sous-vêtements. Cependant cette idée audacieuse remportera un grand succès auprès de sa clientèle. On se revêtit alors de robes sur mesure. L’image d’une femme résolument libre se détache. Gabrielle Chanel n’hésite pas à revendiquer cette touche masculine dans ses tenues.
Elle initie, selon la légende, la mode du bronzage, et participe ainsi au dénuement progressif et à l’émancipation des corps féminins. Le bronzage devient alors un marqueur social au début des années 1920. On pense alors que le corps peut être fortifié, comme du bronze, lorsqu’il est exposé au soleil.
Le bronzage prouve l’aisance de ceux qui le portent : ils ont accès aux loisirs balnéaires et sont donc privilégiés. Cette tendance du bronzage s’oppose à la valorisation de la blancheur chez les femmes, qui se doivent d’être « préservées ». Cette idée renvoie à l’image de la pureté liée à la blancheur, du mal lié à la noirceur. Il faut rappeler que jusqu’en 1900, les élégantes s’intoxiquaient avec des produits chimiques afin de conserver cette pâleur.

La théâtralité dans l’œuvre de Chanel:
Ces créations sont si remarquables qu’elles semblent parfois sorties d’un opéra, d’un bal costumé. Chanel collabore à de nombreuses occasions avec d’illustres artistes de son temps ; Jean Cocteau et Pablo Picasso en 1924 lors de la création du Train Bleu. Il s’agit d’une opérette dansée au Théâtre des Champs Élysées : il est vu comme une parodie de la société des années 1920 à bien des égards. Cocteau ajoute à ce sujet que Le Train Bleu est en réalité « une fausse opérette, on y mime les couplets et les chœurs, on y sculpte la mode ». Afin de réaliser les costumes, Chanel s’inspire des tenues sportives de golf et de tennis, réalisées avec des tissus souples. On y aperçoit des marcels en maille, qui libèrent davantage les corps féminins.
« Des robes ajustées au corps de la femme comme les draperies de la Victoire de Samothrace »
À l’aube des années 1930, le style Chanel s’affirme encore davantage : harmonie des proportions, couleurs monochromes témoignent de sa recherche de la simplicité. Les tenues qu’elle crée sont une combinaison de matériaux vaporeux. Elle y intègre de la dentelle noire, de la tulle. Elle recouvre ensuite ses créations de perles, de minuscules paillettes, ajoutant subtilement de la brillance. Il lui arrive, rarement, de jouer de l’asymétrie. Cette mode s’inscrit sous le signe de la retenue, de la distinction, de la discrétion ; les drapés sont à peine esquissés, flottants, tout en légèreté. Coco dessine la fameuse petite robe noire, couleur réservée au deuil, en s’inspirant de l’uniforme qu’elle portait dans sa jeunesse. Le modèle devient un classique de la maison de couture, tout comme le tailleur en tweed.

Éloge de la parure
Cependant, la tenue demeure incomplète sans les accessoires qui l’accompagnent. Afin d’aborder le thème de l’accessoire chez Chanel, il faut comprendre que selon elle une tenue reste incomplète sans les bijoux, éloges de la parure. Elle se sert donc de son propre usage des bijoux, loin de toute ostentation (“la fureur de vouloir éblouir« ). Le bijou demeure un ornement, il ne fait qu’accompagner la tenue. Les diamants ne servent qu’à la mettre en valeur. On pourrait citer également les différentes perles, sautoirs, boucles d’oreille et broches qui accompagnent ces créations, rappelant parfois les motifs floraux des tenues qu’elle confectionne. Gabrielle Chanel raffole des fleurs, le camélia figurant au rang de ses préférées. On pourrait noter un paradoxe certain entre l’opulence du répertoire symbolique des bijoux et le dépouillement des vêtements, entre le précieux, l’opulence et la simplicité. Elle est la première créatrice à avoir l’idée de lancer sa première collection de joaillerie, diversifiant ainsi ses créations.Les bijoux étaient pour elle l’occasion d’associer divers matériaux, d’expérimenter à nouveau, de se renouveler sans cesse. Pour la réalisation de sa collection de joaillerie elle fera appel au comte Étienne de Beaumont, ainsi qu’à l’orfèvre de renom François Hugo. On peut y remarquer des influences historiques venant de Venise, de Byzance, à la manière des bijoux anciens : l’orfèvre ira même jusqu’à reprendre une croix reliquaire byzantine, ainsi que des broches en forme d’aigle du VIe siècle. Les bijoux participent à la codification du style Chanel, inimitable.
C’est en 1921 qu’elle crée un parfum, Chanel n°5 qui s’ancrera dans la postérité. À l’image de ses collections, le flacon est sobre, minimaliste. Tout comme les tenues qu’elle dessine, il se compose de lignes simples, élégantes. Il peut évoquer aussi le flacon de vodka, Coco étant influencée par la Russie à cette époque de sa carrière.
Le parfum est le fruit d’une association de rares essences de fleurs, choisies par le parfumeur Ernest Beaux. On y retrouve des notes de jasmin, de rose mais aussi des notes plus épicées et boisées. Le parfum est une extension de la garde robe, il accompagne les tenues et s’inscrit dans une vision d’ensemble.

La légende veut qu’Ernest Beaux présenta à Coco Chanel plusieurs séries d’échantillons numérotés de 1 à 5. Coco choisit l’échantillon n°5 et décida d’en conserver le nom. Ce parfum deviendra en quelque sorte le porte bonheur de la maison de mode. Il est popularisé grâce à des icônes telles que Marilyn Monroe, Catherine Deneuve, Nicole Kidman ainsi que Gisele Bündchen et entre dans la postérité, éclipsant les autres créations olfactives « Cuir de Russie », « Bois des îles » qui lui succèdent.
L’harmonie de la tenue est complète, avec un souci du détail, si caractéristique de son œuvre : C’est dans le détail qu’elle excelle […] Gabrielle a un goût trop classique pour se rien permettre qui dérange la pureté du contour » selon la princesse la princesse Marthe Bibesco. On pourrait ajouter également les souliers bicolores que Chanel incorpore à ses collections dès 1957. Ces ballerines apportent une note supplémentaire d’élégance à la tenue. Raymond Massaro est son plus fidèle collaborateur pour la confection de ces chaussures. Elle s’accorde avec lui sur la teinte beige, qui a pour effet d’allonger la jambe. Elle prend soin d’y ajouter un petit bout noir, qui rend le pied plus fin. Tout est pensé dans le moindre détail.
Tout comme la collaboration entre Hubert de Givenchy et Audrey Hepburn dans des films tels que Breakfast at Tiffany’s, les créations de Chanel sont présentes au cinéma. Elles permettent de mieux discerner la personnalité du personnage principal dans le film L’année dernière à Marienbad. L’actrice Delphine Seyrig y apparait comme une femme moderne et émancipée, semblable à bien des égards à Coco Chanel. Delphine Seyrig fut une figure du féminisme en France, bravant les interdits pour revendiquer les valeurs qui lui sont chères. Elle milita en valeur de l’avortement, en participant à la signature du Manifeste des 343 en 1971.

Ses choix cinématographiques au cours de sa carrière sont liés à ce désir d’émancipation : elle joue notamment dans des films tournés par des femmes, India Song réalisé par Marguerite Duras, Jeanne Dielman 23, quai du commerce, 1080, Bruxelles de Chantal Ackerman entre autres.
Coco Chanel décède à Paris en 1971, alors qu’elle entreprend de dessiner une nouvelle collection. Ses créations seront présentées à titre posthume.

Et aujourd’hui que reste t-il de l’héritage Chanel ?
“Nous devons à Gabrielle Chanel la chanelisation de la mode, et ce deux fois en ce siècle” Women’s Daily Wear, 1957.
Ce terme « chanelisation » donne une idée de l’ampleur de l’influence de Chanel sur son époque. Elle a su imposer sa vision du vêtement au monde tout entier.
Après la disparition de Coco Chanel, le succès n’est plus au rendez-vous. On se détourne progressivement de la maison de mode : elle devient poussiéreuse, endormie, passée de mode. Ce n’est qu’avec la nomination de Karl Lagerfeld au début des années 1970 qu’elle connait un renouveau. La maison Chanel est à l’origine de la création du ligne d’horlogerie et de haute joaillerie. Ce renouveau contribue à un regain d’intérêt pour cette prestigieuse marque de haute couture. Karl Lagerfeld propose des créations innovantes tout en conservant l’esprit couture de la maison : les célèbres vestes à quatre poches, les twin-sets, les tweeds masculins, les souliers bicolores, la petite robe noire. Cette fameuse petite robe noire est surnommée par de nombreuses personnes la « Ford de Chanel ». Karl Lagerfeld multiplie les références à Gabrielle Chanel et en devient le digne héritier. Il contribue à forger le mythe Coco Chanel en réalisant des courts-métrages, des documentaires sur la vie de la créatrice. Peu avant son décès, il présente sa dernière collection sous la voûte du Grand Palais.
Une exposition si vaste que l’on en ressort étourdi par tant de beauté. À voir au Palais Galliera à Paris jusqu’au 14 mars 2021.
Merci bcp pour ce retour
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