
« La femme qui exerce librement son charme : aventurière, vamp, femme fatale, demeure un type inquiétant. Dans la mauvaise femme des films de Hollywood survit la figure de Circé. Des femmes ont été brûlées comme sorcières simplement parce qu’elles étaient belles. Et dans le prude effarouchement des vertus de province, en face des femmes de mauvaise vie se perpétue une vieille épouvante1. »
De nombreux adjectifs qualifient Circé, l’enchanteresse du monde grec, mais qui est-elle vraiment et comment l’iconographie s’est-elle emparée de ce mythe ?
Une sorcière exclue du monde divin
Fille d’Hélios, dieu du Soleil et de l’Océanide Perseis, sœur d’Æétès, le roi de Colchide, gardien de la Toison d’Or et de Pasiphæ, l’épouse de Minos, Circé s’inscrit sous le double signe de la passion amoureuse et d’un savoir magique faisant appel aux apparences. Empoisonnements et métamorphoses sont les principales facultés de cette magicienne du monde antique dont le nom en grec ancien signifie « faucon ». Reniée par sa famille, elle trouve refuge sur l’île Æaea en compagnie de ses nymphes, de loups et de lions. Elle est notamment connue pour avoir empoisonné son époux, le roi des Sarmates, changé la nymphe Scylla en un monstre marin ainsi que transformé les vingts-trois compagnons d’Ulysse en pourceaux avant de leur redonner leur forme humaine. Le règne animal fait donc partie intégrante de la vie de Circé comme en témoigne l’œuvre de Castiglione, La magicienne Circé. Assise avec sa baguette, attribut par excellence de la sorcière, Circé est entourée d’animaux de tout genre tels qu’une vache, un paon et des volailles entre autres.


Circé et Ulysse
Par son esprit manipulateur, ses sortilèges et ses philtres magiques, Circé n’inspire guère la confiance des hommes qu’elle rencontre. Toutefois, elle entretient une relation étroite avec Ulysse, jusqu’à donner naissance à leur fils, Télégonos. C’est pourquoi, elle est souvent représentée en compagnie du roi d’Ithaque. Dans l’œuvre du Bronzino, Circé se trouve devant un livre, des lions et un loup, tenant une baguette dans sa main. À l’arrière plan, se dessine la silhouette d’Hermès tendant le moly à Ulysse, cette fleur magique permettant à ce dernier de se protéger des philtres de Circé. Bien que mélancolique, la sorcière n’en reste pas moins séduisante.


Jean-Baptiste Rousseau, « Cantate VII, Circé », Œuvres de J.B Rousseau, Tome I, Paris : Chez Lefèbvre, Libraire, 1820.
Sur un rocher désert, l’effroi de la nature,
Dont l’aride sommet semble toucher les cieux,
Circé, pâle, interdite, et la mort dans les yeux,
Pleuroit sa funeste aventure.
Là, ses yeux errants sur les flots,
D’Ulysse fugitif sembloient suivre la trace.
Elle croit voir encor son volage liéros ;
Et, cette illusion soulageant sa disgrâce,
Elle le rappelle en ces mots,
Qu’interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots
Circé: l’archétype de la femme fatale ?
Au-delà de l’image d’une magicienne bannie par sa famille, Circé pourrait incarner l’archétype de la femme fatale, à l’instar de Judith et de Salomé. Victimes de son pouvoir, les hommes trouvent la mort ou rencontrent un destin tragique dès qu’ils tombent sous son charme. De cette manière, elle est souvent dépeinte comme une femme séductrice, dangereuse et maléfique. Contrairement au Bronzino, le préraphaélite John William Waterhouse met en avant la jeune femme en tant que sorcière. Cette dernière verse le contenu d’un cratère dans une large fontaine rappelant l’épisode de la transformation de Scylla en monstre, accentué par la présence d’une bête aux pieds de la sorcière et l’atmosphère bleutée de la scène. Waterhouse dépasse même la représentation de Circé en tant que séductrice ou sorcière en la montrant comme une alchimiste. Assise à une table d’étude sur laquelle repose un livre ouvert avec une figure géométrique, Circé semble seule, mélancolique, voire désespérée avec sa coupe renversée.


huile sur toile, 179×85 cm, 1892, Adelaide, Art of South Australia.
Une sorcière aux multiples facettes
Ces représentations, loin d’être exhaustives, permettent de constater que l’imaginaire collectif a conservé l’image d’une femme séductrice, malveillante et puissante passant ses journées à confectionner des potions magiques. Mais seule sur son île, Circé doit sans cesse combattre les attaques de sa famille, sans faillir à sa réputation d’ensorceleuse. Néanmoins, il ne faut pas oublier que Circé, en tant que demi-déesse, peut également symboliser l’émancipation de la femme : libérée de la patria potestas, elle suit son propre chemin et ses propres convictions.
Enfin, pour en apprendre davantage sur cette mystérieuse et complexe sorcière, n’hésitez pas à lire le roman de Madeline Miller, Circé, qui retrace l’ensemble de sa vie !
1 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe I, Paris : Gallimard, 1949, p. 311.