
Comme le font si bien remarquer les militantes du groupe des Guerilla Girls, l’exposition des femmes pose toujours problème lorsqu’elles sont artistes et non plus modèles (nues). Lors des expositions collectives elles sont systématiquement minoritaires, quant aux expositions monographiques, elles se font très rares, se focalisant généralement sur quelques figures en invisibilisant la variété des pratiques et des démarches. Mais pourquoi se font-elles si rares ?

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? Cette question, que nous reprenons du texte fondamental de Linda Nochlin, est tout à fait rhétorique : les femmes sont oubliées dans l’art, comme dans les autres domaines. Ce système d’omission est mécanique, systématique et d’ailleurs systémique. Ceux qui font l’histoire de l’art sont majoritairement des hommes, pour qui les dynamiques d’artistes femmes n’ont que peu d’intérêt. Heureusement les femmes rentrent dans le domaine avec force et enthousiasme, en repensant la façon d’écrire et de transmettre l’histoire de l’art. Un long travail de ré-écriture est en cours, et nous ne pouvons que l’encourager et y participer.
Les récits d’histoire de l’art prennent une part importante dans la visibilisation et la légitimation des artistes femmes, nous noterons tout de même qu’il intéresse une partie restreinte de la population, c’est-à-dire les passionné-es et les universitaires. Le monde des expositions quant à lui a le bénéfice d’apparaître à la fois comme lieu de construction du savoir mais aussi de monstration de ce dernier. Le public y est beaucoup plus diversifié et permet une approche à différents niveaux de lecture : de la simple délectation visuelle à l’analyse des images et des discours. Nous nuancerons tout de même notre propos sur la diversification du public en ajoutant que les institutions ne réussissent que rarement à intégrer le public dit « éloigné », ce qui constitue à la fois un défi de médiation et une nécessité morale.

La porte d’entrée vers la connaissance des arts est généralement le musée, et donc il représente un élément important pour la valorisation du travail des artistes femmes. Cette différenciation entre artistes femmes et artistes hommes fait toujours débat, comme nous avons pu le constater avec l’événement « elles@centrepompidou », accrochage d’artistes femmes sur deux étages du Centre Pompidou entre mai 2009 et février 2011. Conduit par la commissaire Camille Morineau, cette exposition a accueilli près de 2,5 millions de visiteurs et visitrices.
Décrié par la critique et notamment par Emmanuelle Lequeux dans son article paru Le Monde (28/05/2009) : « Pour certains, c’est un geste fort. Pour d’autres, une ineptie de placer les femmes dans un ghetto ». Pour la journaliste une monstration omettant les hommes serait un « ghetto » ?
Nathalie Ernoult et Catherine Gonnard répondent à cette attaque dans leur article « Regards croisés sur « elles@centrepompidou » : « l’exposition répond positivement au paradoxe énoncé par Joan Scott, selon lequel les femmes doivent « se battre contre l’exclusion et pour l’universalisme en faisant appel à la différence des femmes – celle-là même qui avait, en premier lieu, conduit à leur exclusion »
Pour rappel, les œuvres d’artistes femmes restent minoritaires au sein des collections du Centre Pompidou : 18 % en 2010 et 21 % en 2020. De plus, un accrochage classique du Musée National d’Art Moderne (MNAM) n’accueille que 13 % d’artistes femmes. Le constat est simple : si on n’organise pas d’expositions non mixte, les artistes femmes ne seront que très peu représentées.

Camille Morineau organise « Women house, maison selon elles » à la Monnaie de Paris, d’octobre 2017 à janvier 2018. Une exposition qui interroge la construction théorique et politique de l’espace domestique en ne donnant la « parole » qu’aux artistes femmes (39). En effet, le lieu domestique représente un élément central dans la domination masculine. L’événement ne crée pas le scandale comme « elles@centrepompidou », nous pouvons supposer que la thématique de l’espace domestique calme les ardeurs des détracteurs de la non mixité.
Lorsque nous effectuons une recherche Google avec les mots-clefs « exposition féministe », les premières propositions sont en rapport avec le Centre Pompidou et « elles ». En effet, l’établissement a commencé avec cet événement une politique de valorisation des artistes femmes, et a, récemment, ouvert un MOOC (Massive Open Online Course) sur ces dernières. Balayant l’histoire de l’art contemporaine en cinq séquences, il comporte une bonne introduction en la matière, même s’il n’apporte qu’un regard restreint sur la thématique.

Si les institutions permettent un travail bien référencé, il est impossible de concevoir qu’elles sont seules sur ce terrain. Les initiatives individuelles, ou d’associations et de collectifs sont à prendre en compte car, bien souvent, plus dynamiques et plus ancrées dans l’actualité. Nous pouvons citer l’initiative du colloque « Constellations créatrices : héritages et réseaux féminins / queer » organisé par le groupe Les Jaseuses, accompagné d’une exposition virtuelle « Retracer notre ciel. Constellations féministes et queer : archives et création contemporaine » en partenariat avec l’Atelier Corps, Genres, arts d’EFiGiEs. Nous y retrouvons des artistes comme le Laboratoire de la contre-performance, Rose Butch ou encore Odonchimeg Davaadorj. Un des éléments particulièrement pertinent de cet événement a été la rencontre (virtuelle) entre les artistes et le public lors d’une table-ronde très enrichissante. Si nous pouvons faire plusieurs critiques au « tout zoom », il faut avouer qu’il permet une plus grande accessibilité géographique aux événements culturels, souvent parisiano-centrés.
Pour certaint-es commentateur-trices l’exposition « elles@centrepompidou » était une initiative féministe radical, nous ne les suivrons pas sur ce constat. En effet, il ne suffit pas de visibiliser les artistes femmes pour être dans une dynamique radicale : il faut également revoir le discours qui entoure l’écriture de l’histoire de l’art et de la monstration de l’art. Les tentatives institutionnelles restent souvent timides dans la critique, préférant des formulations plus douces, moins frontales, mais qui n’invitent pas le public et les acteurs et actrices du monde de l’art à se questionner. Si nous pouvons apprécier tout de même ces expériences, nous pouvons regretter qu’elles n’aillent pas assez loin, et/ou qu’elles ne soient pas assez récurrentes. Une exposition sur les artistes femmes ne doit pas faire événement par le seul fait qu’elle montre des femmes, mais parce que ces femmes-là sont de grandes artistes. Nous noterons à ce propos que ce sont souvent les mêmes noms qui sont exposés ou mis en référence, et cela ne permet pas de montrer toute la diversité et la créativité des artistes femmes dans leur ensemble. Elles sont encore ramenées à la figure de l’exception, de « LA » femme censée incarner le « génie féminin », une « sensibilité particulière », comme on peut parfois le lire à propos d’elle.


À titre de comparaison, nous revenons rapidement sur l’exposition « WACK! Art and the Feminist Revolution » au Musée d’Art Contemporain de Los Angeles en 2007 (sera présentée également à Washington et New York en 2008 puis à Vancouver en 2009). Le titre fait déjà apparaître la question du féminisme comme centrale, le discours sur cette exposition vise à montrer que le privé est politique et que toute représentation l’est aussi. On y retrouve notamment une frise chronologique du mouvement féministe et des groupes d’artistes féministes comme les WAR (Women Artists in Revolution) et les WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell). Ainsi, dans « elles@centrepompidou » une seule salle pouvait être qualifiée de féministe, ici c’est plutôt la quasi totalité de l’exposition qui peut l’être. L’événement a fait date dans l’histoire de l’art (féministe), ce qui se traduit par l’impossibilité de trouver son catalogue d’exposition à des prix décents.
Pour conclure, nous rappellerons juste quelques chiffres issus de l’Observatoire des égalités femmes / hommes dans la culture et la communication 2020 :
– La part des femmes dans les métiers de la photographie en 2017 : 30 % (de plus de 40 ans : 16 %, de moins de 40 ans : 53%)
– la part des femmes dans les photographes exposé-es lors de Paris Photo 2019 : 25 % (dont 53 % dans la photographie émergente)
– la part des femmes dans les acquisitions de la FNAC : 47 %
– la part des femmes dans les acquisitions de la FRAC : 58 %
– la part des femmes exposées dans les FRAC : 25 %
– la part des femmes exposées dans des centres d’art : 33 %
– la part des étudiantes dans l’ensemble de l’enseignement supérieur culture : 60 %
– la part des étudiantes en école nationale supérieure d’architecture en 2018 : 61 %
– parmi le corps enseignant en école nationale supérieure d’architecture de la même année : 31 % de femmes (31 % de maîtresses de conférence, 19 % de professeures)
Ces quelques données quantifiables nous permettent de constater que les femmes sont bel et bien présentes dans les filières artistiques, mais n’ont pas le même accès que leurs collègues masculins aux postes de pouvoir (symbolique et économique). Cependant, leur plus grand nombre et la compréhension actuelle des enjeux autour du genre en art nous permettent d’être optimiste pour les générations suivantes. Nous encourageons le public à soutenir les initiatives en faveur d’une plus grande valorisation des artistes femmes, mais aussi des artistes queers et/ou racisé-es. Nous espérons que les récentes attaques du gouvernement contre les cultural et gender studies ne vont pas impacter la politique culturelle des institutions publiques, afin de continuer sur un élan positif et dynamique.

Vue de l’exposition BUTCH (2018), ici avec l’artiste Rose Butch
texte de Marion Cazaux [mhkzo]