
Le mois de novembre 2021 a été marqué par une sortie cinéma importante pour le studio Marvel. The Eternals, vingt-sixième long métrage du Marvel Cinematic Univers (univers Marvel porté à l’écran), aborde l’œuvre signée Jack Kirby. Personnages méconnus, mythologie complexe, le studio se retrouve face à un exercice de taille, capter l’intérêt d’un public attaché à des personnages récurrents, dans un univers cinématographique qui cherche à se renouveler sur son plan esthétique et scénaristique. On retrouve au scénario et à la réalisation la cinéaste oscarisée Chloé Zhao (The Rider, Nomadland). La musique, signée Ramin Djawadi (Game of Thrones, Westworld), promet au public un cocktail artistique explosif.
Jack Kirby et les Éternels

Jack Kirby pâtit d’une reconnaissance amoindrie par rapport à celle de Stan Lee, bien qu’il soit lui aussi un grand nom de Marvel. Pour autant, Kirby signe ici, avec son œuvre The Eternals, une série intéressante : ces Éternels apparaissent comme les membres d’une race supérieure (homoimmortalis) affiliée à l’Homo sapiens. Résultats d’expérimentations sur Terre par des entités cosmiques nommées les Célestes, ils présentent, au-delà de caractéristiques physiques communes avec l’humanité, des capacités et des pouvoirs hors du commun. Mais la création des Éternels n’est pas sans failles. À leurs côtés jaillissent les Déviants, des êtres génétiquement instables, ennemis naturels des Éternels et dangers constants pour l’humanité.
Synopsis du film :

Comme pour toutes adaptations des comics, le MCU (Marvel Cinematic Univers) a pris dans ce nouveau long-métrage certaines libertés artistiques. Après tout, le studio rencontre la difficulté d’introduire de façon cohérente de nouveaux personnages et tout un monde jusque-là inconnu des autres héros déjà présents de l’univers. Ayant connu un bouleversement sans précédent avec Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame, le monde évolue. Les Hommes prennent conscience que l’univers recèle de secrets et de menaces. Les Éternels qui vivaient alors jusque-là sur Terre, cachés parmi les Humains et dans l’incapacité d’agir – sur ordre de leur créateur, le céleste Arishem – ressortent de l’ombre pour faire face à un ennemi qui avait pourtant disparu jusqu’alors : les Déviants.
Si le synopsis peut laisser penser à un énième combat manichéen, le dernier-né du studio pourrait surprendre, notamment parce que le film met en vedette dix personnages, aux capacités diverses et variées mais surtout aux points de vue et croyances parfois bien divergentes. Il n’est pas question de chercher par là un méchant mais plutôt de se poser des questions, alors que le film élève ses enjeux à un niveau cosmique qui dépasse l’humanité.
Voyage-voyage au gré de l’Histoire

Mais The Eternals est avant tout une épopée qui manie avec brio le passé, le présent et le futur de l’humanité. Ikaris, Sersi, Théna, Ajak, Phastos, Druig, Gilgamesh, Makkari, Kingo et Sprite font écho aux grands mythes qui bercent le monde. Élégants, forts et bienveillants, les Éternels accompagnent l’humanité de près ou de loin, suivant l’interdiction d’interférer dans les choix des humains mais partagent avec eux leurs plus grands moments. Et quand les Déviants se montrent, ils deviennent les remparts de l’humanité. Chacun à leur manière, ils marquent l’esprit des Hommes.
Pour pouvoir devenir les mythes de tout un chacun, les Éternels voyagent. Par ce voyage, Chloé Zhao nous transporte dans le temps, dans les lieux anciens et parfois perdus, campant dans l’intimité de l’humanité, dans ses moments les plus banals, simples et doux : dans la Mésopotamie du cinquième millénaire avant notre siècle, Babylone, sa cité et ses champs, l’Amazonie en pleine conquête ou bien plus récemment, dans les rues bondées de Londres, les steppes australiennes ou l’Inde bollywoodienne.

Mais suivre les Éternels au gré du temps, c’est aussi observer de leurs yeux l’humanité qui évolue, l’humanité qui réussit et l’humanité qui détruit. Incapables d’agir, il faut alors regarder aux côtés des héros ce que l’humain peut faire de plus beau, à quel point il peut être bon et délicat, intelligent et bienveillant mais aussi le regarder s’autodétruire, devenant son propre loup.
Le scénario ose, dans des instants légers et furtifs, pointer du doigt et rappeler que l’évolution n’est pas faite que de grands actes glorieux, qu’elle prend aussi ses bases dans des instants malheureux de l’Histoire. Il devient alors triste de regarder ces puissants Éternels, si faibles face à cela ; affectés, tiraillés par l’amour qu’ils portent pour l’humanité
Le film Marvel de la diversité

Mais pour pouvoir crier son amour au monde humain, Marvel se doit de se montrer plus inclusif dans son casting, car l’humanité n’est pas la copie d’un seul et même humain. Sa richesse repose dans sa diversité ethnique, culturelle, psychologique etc. Avec les Éternels, on découvre enfin un film Marvel qui se veut représentatif de la diversité des êtres humains. Il n’est pas question ici de remplir un cahier des charges pour cocher des cases mais de proposer un casting sincère.
En tête d’affiche, ce sont des noms comme Angelina Jolie, Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek, Barry Keoghan, Ma Dong-Seok, Lia McHugh, Lauren Ridloff, Kumail Nanjiani et Brian Tyree Henry, qui donnent vie à cette diversité. Un casting cinq étoiles. Lauren Ridloff est par ailleurs la première superhéroïne sourde et muette dans l’écurie Marvel. Quant à Brian Tyree Henry, il est le premier héro du MCU ouvertement homosexuel. Les personnages ne se ressemblent pas mais ressemblent à nous, le public. Ils évoluent au gré du temps, s’imprègnent des tics de l’humanité, de ses addictions, de sa banalité, de ses envies, de ses rêves et de ses espoirs. Il est d’ailleurs intéressant de voir au travers de Sprite, interprétée par la jeune Lia McHugh, l’Éternel enfant, qui évolue alors tout en étant rejetée du fait de sa condition d’enfant.
Voir The Eternals, c’est enfin regarder un film du MCU qui nous ressemble vraiment, paradoxalement lorsque les protagonistes ne sont pas réellement humains et que leurs enjeux dépassent l’entendement.
Quand Chloé Zhao charme le spectateur
Au-delà de sa diversité et de sa franchise, le film émerveille par sa photographie léchée. Le MCU a été bien souvent critiqué pour donner au public des films extrêmement saturés d’effets spéciaux et de fonds verts, enfermant les acteurs dans des studios sans lumière naturelle. Et alors que le synopsis indique que le film doit donner naissance au céleste en intégrant l’espace que l’on ne connaît pas, en recréant des lieux perdus du monde, comment ne pas penser que le film puisse tomber dans un usage excessif d’effets ?
Pour autant, Chloé Zhao marque le film par sa patte artistique. The Rider (2017) ou Nomadland (2020) sont connus aujourd’hui pour la photographie toute particulière de la cinéaste qui la place dans un « Nouveau Naturalisme ». Et quand bien même il est question de réaliser un blockbuster, loin alors du film d’auteur dont est habitué Chloé Zhao, The Eternals laisse place à la beauté des décors naturels, des rayons du soleil transperçant les espaces et des coucher de soleil lointain. Chloé Zhao semble prendre un plaisir à jouer avec la lumière. Parfois sombre, parfois lumineux, The Eternals ravit le regard, jusqu’à le charmer.

The Eternals est un film qui prend son temps dans la construction de ses personnages. S’en est aussi l’une de ses grandes forces. Êtres surpuissants, chacun des Éternels ose montrer au public ses émotions, sa tendresse, ses craintes, ses peurs et ses affections et les relations entre les personnages sont alors l’un des points forts du film. Les relations construites à travers le temps font rêver et émeuvent le spectateur. Le jeu s’attarde sur la gestuelle, les gros plans encadrant les mains qui se rencontrent, les regards qui se croisent.
The Eternals est le vingt-sixième blockbuster du Marvel Cinematic Universe mais il est avant tout une pièce à part, un film sentimental et une lettre d’amour pour l’humanité et ce que le monde peut proposer de plus beau.

DEJOUX Chloé