
Une inspiration musicale : la fuite de la morosité par la danse
En 1971, Nina Simone livre ce qui reste encore une de ses plus grandes interprétations, Mr. Bojangles. Chanson initialement écrite et enregistrée par l’artiste de musique country américain Jerry Jeff Walker en 1968, elle raconte la rencontre de Walker alors arrêté pour état d’ivresse, avec un sans abri. Durant cette nuit de l’année 1965, ce dernier lui conte les histoires sombres de sa vie et notamment un événement marquant : la mort de son chien. C’est alors que l’on demande à l’homme de se mettre à danser pour raviver un peu de joie. Ce sans-abri se fait appeler « Mr Bojangles » mais cette appellation n’a rien de novatrice, puisqu’elle est tirée du surnom utilisé par Bill Robinson, un danseur de claquettes noir apparu dans de nombreux films dans les années 1930.

C’est ainsi que cette chanson intemporelle nous est parvenue, laissant éternellement ce message d’espoir et cet appel à fuir la morosité de la vie en dansant.
« Un soir où le reste du pays écoutait les Beatles, j’écrivais une valse 6/8 sur un vieil homme et l’espoir. C’est un peu plusieurs personnes que j’ai rencontrées pour quelques instants de ma vie. Il est tous ceux que j’ai rencontrés une fois et que je ne reverrai jamais et que je n’oublierai jamais »
Jerry Jeff Walker
De Mr. Bojangles à En attendant Bojangles
C’est cet espoir, porté par une personne qui pourrait être mille autres, qui à inspiré Olivier Bourdeaut pour son roman En attendant Bojangles, livre à succès qui lui rapporta entre autre le prix France Culture-Télérama, Le Grand Prix RTL Lire ainsi que le prix Roman-France télévisions en 2016. Le narrateur de ce roman est un enfant, fruit d’un amour déjanté : celui de deux fétichistes du titre de Nina Simone, Camille et Georges. Il dévoile alors au fil des pages la folie de ses parents qui vivent au son d’une fête perpétuelle, jusqu’à ce que la folie prenne un tout autre tournant. C’est l’histoire d’un amour fou.

« Dans une prose chantante, il fait sourire les larmes et pleurer l’allégresse. »
Jérôme Garcin, L’Obs.
Ainsi, Régis Roinsard réunit dans un sublime mariage l’espoir de ce prisonnier de cellule, la légèreté des pas de danse de Bill Robinson, l’éternelle mélodie de Mr. Bojangles et l’adaptation de l’histoire d’Olivier Bourdeaut.
Cependant, à défaut d’avoir eu les droits, ce n’est pas l’illustre Nina Simone qui prête sa voix à la bande son du film mais Marlon Williams – chanteur néo-zélandais. Toutefois, l’illusion est presque parfaite grâce aux arrangements de cordes ad hoc qui collent au plus près de la version de Nina Simone.
En attendant Bojangles ou l’histoire d’un amour fou
Dès lors, Régis Roinsard nous embarque dans son univers fou, où l’on retrouve à nouveau, comme dans son film Populaire réalisé en 2012, Romain Duris (dans le rôle de Georges) et le syndrome nostalgique des sixties.

« Quand la vérité est banale et triste, inventez moi une belle histoire. Vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver »
En attendant Bojangles
Régis Roinsard nous fait vivre durant deux heures la plus délicieuse des histoires dans une ode à la vie. Nous embarquons du côté de la French Rivera où l’on saute habillés dans des tenues de cocktail pour fuir l’ennui des mondanités. Nous nous laissons embarquer à Paris où les coupes de champagne remplacent les cafés. Nous vivons la cigarette à la bouche en écoutant de la musique qui émane des tournes disques. Nous envoyons en l’air l’administration et roulons à toute vitesse, cheveux au vent, dans des voitures de collection. Nous finissons le voyage en Espagne après avoir dansé toute la nuit sous des confettis avec l’air de Mr Bojangles.

Nous parcourons ce voyage en compagnie de Mlle Superfétatoire, un grand oiseau exotique qui fait partie intégrante de cette petite famille vivant au rythme des folies de Georges (Romain Duris) et Camille (Virginie Efira).
Georges sourit de toutes ses dents, réinvente sa vie en permanence, et couvre sa femme d’un regard admirateur, au service de sa folie.
Cette dernière est magnifiquement interprétée par Virignie Efira qui passe du rire aux larmes avec une grande justesse émotionnelle. Cette « Madame Bojangles » danse toute la nuit dans des robes à paillettes, et lorsqu’elle n’en porte pas, elle se balade nue dans la rue. Elle ne travaille pas, mais son imagination lui suffit pour remplir ses journées. Elle vouvoie son fils, son mari et déborde d’amour et de vie.
Elle apprend à son fils à se détourner des conventions, à rester dans la prison parfaite de l’enfance. Solan Machado-Graner y signe, dans une interprétation très juste, son première rôle au cinéma et déjà la promesse d’un riche avenir.

« Ça me prend parfois, quand je suis à l’extrême du bonheur, je passe à l’extrême inverse sans crier garde »
En attendant Bojangles
L’innocence de cet enfant se confronte à la brutale vie d’adulte le jour où l’on comprend que la folie douce de sa mère n’est pas seulement le cocktail d’une imagination débordante et d’une originalité marginale. En effet, les puissants rires de Camille cachent une folie ravageuse. Alors que la fête semble finie, c’est avec poésie que Régis Roinsard illustre le combat d’une famille pour tenter de continuer de faire de l’originalité un élan de vie. Le réalisateur délivre une lutte touchante d’un mari qui tente de vaincre les démons intérieurs de sa femme.
Le film éclatant de couleurs vives et d’un amour léger illustre aussi les limites des méthodes de la psychiatrie de l’époque et le choix difficile qui repose sur les proches pour définir de la meilleure solution face à la maladie.
Comment aimer complètement et follement jusqu’au bout de la fête ?

« Je vous aime par ce que vous n’avez pas cherché à me protéger »
En attendant Bojangles