
Née le 30 mai 1928 en Belgique et décédée le 29 mars 2019 à Paris, Agnès Varda a sans nul doute connu plusieurs vies. Native d’un père grec et d’une mère française, l’artiste, de son vrai prénom Arlette, a grandi à Sète puis à Paris où elle a étudié la photographie à l’École Vaugirard, une école technique de photographie et de cinématographie, ainsi que l’histoire de l’art à l’École du Louvre. Artiste aux multiples facettes, Agnès Varda mêle régulièrement photographie et peinture dans ses films jusqu’à créer des œuvres hybrides.
Photographie, peinture et cinéma
En 1949, par l’intermédiaire de Jean Vilar, Agnès Varda fait ses premiers pas en tant que photographe auprès de la troupe du Théâtre National Populaire. Rapidement, elle se dirige vers le cinéma en tournant son premier long métrage à Sète, La Pointe Courte, en 1954. Relatant l’histoire d’un jeune couple parisien venu passer quelques jours à la Pointe Courte, un quartier de Marseille, ce film est parsemé de photographies qui enrichissent la narration. Une des scènes du film reprend précisément une photographie d’Agnès Varda, La Terrasse du Corbusier à Marseille, prise en 1956. Représentant une scène du quotidien, la photographie se structure par les lignes horizontales de l’escalier et les lignes verticales du sol en forme de damier. Cependant, l’appareil cinématographique accentue davantage la tension entre les effets de profondeur et l’aplat produit par les surfaces fragmentées.

L’union de différentes pratiques artistiques est également présente dans Le Bonheur (1965), premier long métrage en couleur de la cinéaste, dans lequel nous retrouvons de nombreuses références picturales. Le film raconte l’histoire d’un menuisier, François, menant une vie paisible à Fontenay-aux-Roses en compagnie de sa femme, Thérèse, et de ses deux enfants. Un jour, il rencontre Émilie, une employée des PTT (Postes, télégraphes et téléphones) avec qui il entame une liaison jusqu’au moment où il l’annonce à son épouse qui se noie dans un étang. Une peinture de Marc Chagall, Les Mariés de la Tour Eiffel (1939), est visible en gros plan sur l’un des timbres vendus par Émilie au bureau de poste. Alors qu’Émilie et François s’envoient des messages d’amours codifiés, la scène s’achève sur un fondu en bleu, couleur associée tout au long du film à François et qui correspond au fiancé dépeint sur le tableau de Chagall.

Image extraite du film Le bonheur, Agnès Varda, 1965.

Marc Chagall, Les Mariés de la tour Eiffel, huile sur toile de lin, 150 x 136, 5 cm, 1938-1939, Paris, Centre Pompidou.
Le film s’inspire aussi de la palette impressionniste, soulignant la richesse du décor : « Le mélange des couleurs absorbant les corps et vêtements devient justement une fonction du mouvement, notamment au cours d’un travelling arrière lors du dernier pique-nique de François avec Thérèse1 » [commentaire de chercheurs en études cinématographiques, ndlr]. Le couple, allongé à l’ombre d’un arbre, profite de la chaleur de l’été et du cadre de la nature propice à l’épanouissement du bonheur. La couleur, relevant d’un défi esthétique, inonde les tournesols, les coquelicots, les champs fleuris et les robes d’été rappelant nécessairement les tableaux de Monet. Agnès Varda mêle les couleurs primaires et complémentaires, notamment le bleu, le rouge et le jaune omniprésents dans les plans, pour créer des tableaux-séquences saisissants.


Une activité de plasticienne influencée par le cinéma
En 2005, l’artiste crée une installation vidéo, Les Veuves de Noirmoutier, pour la Galerie Martine Aboucava à Paris. Constituée d’un écran central projetant des femmes vêtues de noir sur une plage de l’île de Noirmoutier ainsi que de quatorze petits écrans dédiés aux témoignages de chacune d’entre elles, l’installation propose une expérience différente d’une projection cinématographique classique. L’œuvre repose en effet sur la participation active du spectateur qui se déplace de chaise en chaise tout en mettant en relation les images et les paroles. Enfin, l’ensemble de l’exposition est un hymne à la mémoire à travers le motif de l’île, cet espace encerclé d’eau. Se référant au tableau d’Arnold Böcklin, L’Île des morts (1880), l’artiste s’éloigne de l’image mélancolique de l’île comme tombeau.

Agnès Varda, Les Veuves de Noirmoutier, installation vidéo, 2006, Paris, Fondation Cartier.

Arnold Böcklin, L’Île des morts, huile sur bois, 80 x 150 cm, 1883, Berlin, Alte Nationalgalerie.
En conjuguant peinture, photographie et vidéo, Agnès Varda opère une passerelle entre sa pratique filmique et photographique. Tout au long de sa carrière, elle redéfinit le cinéma par l’alliance du spectacle vivant et des arts plastiques. La photographie et la cinématographie se retrouvent complémentaires : l’une étant immobile et muette tandis que l’autre est mouvante et parlante. Ainsi, du cinéma à l’installation, Agnès Varda transforme l’image pelliculaire en objet plastique.
1 Antony Fiant, Roxane Hamery, et Éric Thouvenel [dir.], Agnès Varda : le cinéma et au-delà, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 82.