
Pourquoi se rendre dans les jours qui viennent au Petit Palais ?
Parce que l’exposition « Les plaisirs et les jours« , dédiée au portraitiste italien Giovanni Boldini, né à Ferrare en 1842 et décédé en 1931 à Paris, où il mena l’essentiel de sa carrière, représente le plus bel ensemble de ses œuvres en un lieu qui semble avoir été pensé pour les accueillir. La dernière rétrospective de l’artiste remonte à une soixante d’années, cela constitue donc un événement à manquer pour rien au monde. Cet artiste s’inscrit dans le mouvement préfigurant l’abstraction lyrique, et était proche des milieux d’artistes fréquentant Le Caffè Michelangiolo, réunis sous le nom de Macchiaioli, donnant le nom au mouvement, se centrant sur le rendu de la vitalité, et du mouvement chez le sujet. L’influence du courant impressionniste est notable dans la plupart des œuvres. Il rencontre d’ailleurs Édouard Manet, Gustave Caillebotte, Alfred Sisley, et Camille Corot. C’est dans l‘art du portrait qu’il s’illustre avant tout, même si ses intérêts et ses influences sont nombreuses et varient au fil du temps.
Premières aventures parisiennes : les prémices
Montrant des prédispositions pour la peinture dès son plus jeune âge, Giovanni Boldini révéla cependant un tempérament fougueux et peu enclin à l’apprentissage académique et scolaire ; ce fut cependant aux côtés de son père Antonio Boldini, fervent admirateur des peintres de la Renaissance classique, qu’il se perfectionna. La complicité évidente entre père et fils transparait dans l’autoportrait qu’il réalisa en 1857. La première partie de l’exposition se centre ainsi sur la description de l’effervescence de la vie parisienne vue par Boldini, avec un admirable sens du mouvement et de la couleur. Il s’installe dans un premier temps dans le quartier de Pigalle.
C’est par les précieuses relations qu’il sut bâtir avec les personnages importants peuplant la ville de Florence qu’il put parcourir l’Europe, à Londres et à Paris. Sa petite taille lui permis d’ailleurs d’échapper au service militaire. Unanimement reconnu comme le peintre virtuose de son temps, il passa l’essentiel de sa carrière à Paris, capitale artistique de l’époque ; issu d’une famille de peintres, il fut remarqué et accéda à une renommée et à une reconnaissance rapide grâce au soutien du marchand d’art Adolphe Goupil. C’est en juillet 1867 qu’il fait la connaissance de celle qui deviendra sa mécène, Isabella Falconer.
Son statut d’étranger sur la Côte d’Azur, puis dans la capitale, participèrent à lui faire ressentir un sentiment d‘inadéquation qu’il cherchait sans doute à masquer par sa froideur. Une certaine nervosité, une angoisse, une impatience de vivre se lisent à travers ses toiles ; elles révèlent tout autant le tempérament de ceux qu’elles représentent que de celui qui les a peintes. Voilà en quelques mots comment caractériser le travail de Boldini. Giovanni Boldini se montre d’un tempérament curieux, avec un intérêt pour la musique. Son sens du détail et sa spontanéité, sa vivacité transparaissent dans ses œuvres, aux couleurs vives mais subtiles, harmonieuses. Il aurait peut-être lui-même pu s’intégrer parfaitement comme sujet principal dans l’une de ses toiles, car davantage qu’un simple observateur, conservant une prudente distance avec son milieu, il semblait qu’il avait su s’y fondre. Soucieux et engagé auprès de ses contemporains, il participa d’ailleurs à la souscription de L’Olympia de Manet. Il fut décrit dans tous les textes et les témoignages comme un homme déterminé, au caractère affirmé, presque autoritaire.
« Monsieur Boldini de Ferrare est un nouveau nom mais qui fait ses débuts avec brio (…) la nouveauté du genre confond ses classificateurs qui ne savent pas lui assigner une place dans les catégories de l’art.
première réception critique de l’oeuvre de Boldini, par Telemaco Signorini dans un article du Gazzettino des arts du dessin, 1867

Nous sommes frappés par la grâce et le caractère personnel de ses modèles. Bien plus que le portraitiste des dandys, Boldini présente une Belle Époque bien à lui, à mille lieues des représentations auxquelles nos imaginaires sont habitués. Ce peintre donne un sens nouveau et une interprétation singulière aux grands portraits solennels et prestigieux, comme aux petites études qu’il esquisse, pour notre plus grand plaisir. Une extraordinaire sensation de mouvement se dégage de ses modèles, qu’il met en valeur tout en soulignant leur singularité et leur individualité. Les portraits conçus « à la Boldini » sont indéniablement modernes, ce que l’on constate encore davantage au fur et à mesure que l’on progresse au fil de l’exposition…

Citons, entre autres, une petite toile montrant l’envers du décor, après une corrida, une scène galante entre une danseuse jouant de la guitare et un toréador songeur qu’elle cherche sans doute à distraire. L’œuvre est traitée en petites touches vives, presque musicales, de rouge et de bleu. Plus loin dans l’exposition, on peut observer ce portrait torturé du peintre Joaquim Arujo Ruano, ressemblant à s’y méprendre avec une oeuvre d’Egon Schiele tant il adopte les mêmes yeux fiévreux, ses mains spectrales et son teint blafard. Le caractère académique de Boldini révèle une touche expressionniste inattendue. Il nous fixe et nous hante de son regard, et le format, de petites dimensions, ne fait qu’accentuer et amplifier sa présence. Il semble émerger en volume dans la pièce. Les visiteurs de l’exposition, tous sans exception, s’y sont attardés et se sont approchés de lui, pour comprendre de plus près ce qui pouvait rendre cet homme élégant si malade. De plus, le titre nous indique qu’il s’agit là de la vision d’un peintre sur un autre peintre, induisant peut-être une proximité teintée de rivalité, comme en atteste le regard de défi que semble adresser le sujet du tableau au spectateur.
Peindre à la recherche du temps perdu ?
La seconde partie de l’exposition nous permet de découvrir dans des vitrines de somptueuses tenues et de nombreux accessoires, pour mieux nous replonger dans l’esprit et l’atmosphère qui l’amena à concevoir ses toiles. À la manière de Marcel Proust, qui semble dialoguer avec ses portraits, tant ses descriptions précises rejoignent les physionomies que l’artiste dépeint, Giovanni Boldini se fait l’observateur de la haute société de son temps, et du prestige, du raffinement qu’elle déployait. Il était en effet un proche ami de l’auteur de la Recherche mais aussi du peintre Degas, tous deux fréquentant les mêmes cercles. Le titre même de l’exposition reprend le titre du recueil de poèmes de Proust Les plaisirs et les jours, montrant une fois encore la proximité entre littérature et matière picturale. Il immortalise ainsi les fêtes auxquels il est convié, bien après l’Exposition universelle de 1879, notamment à Versailles, où la danseuse Cléo de Mérode côtoie la comtesse de Greffuhle. Son intérêt pour le portrait féminin est manifeste, il transcrit une admiration de la figure féminine de la haute société, empreint d’admiration de la part de l’artiste ; les femmes qu’il choisit de représenter sont pleines d’assurance et de grâce, c’est ce qui contribue au sentiment de modernité, de familiarité presque, que l’on ressent face aux portraits de grand format de la seconde partie de l’exposition.
Les amoureux de la mode reconnaitront aisément sur les épaules des modèles féminins les créations admirables de Paul Poiret, Jacques Doucet et Charles Frederick Worth, le fondateur de la notion même de haute couture parisienne. Le portrait monumental d’une dame à la tenue vaporeuse, celui d’Emiliana Concha de Ossa, réalisé en 1888, évoque les œuvres de James Whistler, dont le musée d’Orsay nous avait livré des œuvres à l’automne dernier. La forme serpentine de l’œuvre Feu d’Artifice en 1892-1995, longiligne à l’extrême, déformant les proportions, n’est pas sans rappeler les influences maniéristes de la Renaissance, souvenir là aussi de sa formation et de l’héritage de l’atelier paternel. Nous voyons comment Giovanni Boldini a élaboré sa manière en mêlant toutes sortes d’influences savantes, qui aboutissent à former son style propre.

L’exposition est à tous ces égards remarquable, soigneusement pensée, ordonnancée par la commissaire Servane Dargnies-de Vitry (conservatrice des œuvres du XIXème siècle au sein du Petit Palais) en collaboration étroite avec Barbara Guidi, directrice du musée de Bassano. Les toiles s’inscrivent dans une chronologie nous permettant de retracer sa carrière, son évolution, la célébration de l’aristocratie européenne. Elle met en lumière les œuvres les plus célèbres du portraitiste, telles que la représentation du comte Robert de Montesquiou mais nous permet également d’accéder à une autre facette de sa production prolifique, à travers des esquisses et des sujets plus rarement représentés. Ils constituent de précieux témoignages des bouleversements du temps dans lequel il fut pris. Le comte Robert de Montesquiou avait d’ailleurs servi à Marcel Proust de modèle pour l’élaboration du personnage si fameux de M. de Charlus. Ce personnage avait su attirer l’attention à la fois du peintre et de l’auteur et critique d’art, il incarnait lui aussi à merveille l’esprit de son époque, avec son élégance, son dandysme.

L’exposition est remarquable pour sa diversité et pour son éclectisme, grâce aux 150 œuvres qui nous sont présentées. En effet, Giovanni Boldini décéda à un âge avancé. On atteint la sortie avec une seule idée en tête, faire machine arrière, et revenir à nouveau vers les toiles du début. Nous sommes face à un artiste qui, au fil des évolutions de son époque, a su faire évoluer sa manière, et a participé à populariser le courant impressionniste en Italie. Il est à tous ces égards bien plus que le « peintre fétiche » de la Belle Époque.
Pour se rendre au Petit Palais : Avenue Winston Churchill 75008 Paris, du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le vendredi jusque 21h ; l’exposition se déroule du 29 mars au 24 juillet 2022.
Ici, le catalogue de l’exposition Boldini.
Pour en apprendre davantage sur la biographie de Giovanni Boldini : Vie de Jean Boldini, d’Emilia Cardona, publié dès 1931, éditeur Eugène Figuière.
Hors-Série de la Revue Connaissance des Arts sur Giovanni Boldini, 2022.