
Fruit d’une collaboration entre Niki de Saint Phalle, Pontus Hultén, Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt, Hon – a Katedral est une exposition qui se tient du 4 juin au 4 septembre 1966 au Moderna Museet de Stockholm. Elle présente, dans l’entrée du musée, une gigantesque sculpture de femme enceinte, allongée sur le dos : Hon (« Elle » en suédois). Sculpturalement, l’œuvre est due à Niki de Saint Phalle, célèbre sculpteure du XX°s, reconnue internationalement de son vivant. Son art mêle donc expérience personnelle et revendications affirmées. Dans son œuvre, la femme apparaît comme un sujet de prédilection qui, avec Hon, prend des dimensions monumentales.
S’inscrivant dans la continuité de l’œuvre de Niki de Saint Phalle, le projet prend la forme d’une Nana géante. En quarante jours est réalisée la plus grande et la plus grosse des Nanas, mesurant 25 m de long sur 4 m de haut. Allongée sur le dos, elle écarte les jambes pour laisser les visiteurs entrer dans son corps par son vagin. Tout comme les premières Nanas, elle est peinte de couleurs vives sur un fond blanc. Elle montre fièrement ses rondeurs qui ne correspondent pas aux canons établis par la société patriarcale. Hon permet à Niki de Saint Phalle de critiquer les codes régissant les critères de beauté du corps féminin. Cette remise en cause des canons peut être rapprochée de la vie de l’artiste qui fut mannequin dans sa jeunesse. Après avoir été le modèle de nombreuses femmes dans une esthétique réglementée, s’agit-il alors pour elle de montrer la diversité des corps ainsi que leur beauté ? Prenant comme outil de création la beauté et la non-conformité des corps féminins, Niki de Saint Phalle créait un imaginaire propre aux femmes. Hon est rapprochée des sculptures féminines préhistoriques et, tant visuellement que symboliquement, ce rapprochement fait sens : Hon est qualifiée par sa créatrice de « Grande déesse »[1], symbole de création et de maternité, inspirée par la grossesse d’une amie.

Dans cette affirmation forte de la féminité, Niki de Saint Phalle revendique son statut de femme-artiste. Avec une œuvre ludique, où la notion de vérité féminine est maîtresse, elle interroge les codes préétablis régissant l’espace des musées. Son œuvre se fait politique, en totale opposition avec la sculpture traditionnelle classique. Voulant provoquer, elle qualifie Hon de « plus grande putain du monde »[4]. Les codes établis, qu’ils soient muséaux ou sculpturaux, sont alors bousculés par le jeu de l’artiste avec les frontières morales de l’art.
« Je voulais aussi qu’il y ait des femmes qui fassent quelque chose sur une échelle monumentale »[5]. Dans Hon, Niki de Saint Phalle traduit une certaine puissance au travers de ce corps gigantesque. Ce projet la pousse à donner vie à son désir de créer en grand, tout en venant servir un propos féministe défendant la place des femmes-artistes dans les espaces culturels.

Enfin, en tant qu’artiste, Niki de Saint Phalle prend, avec cette œuvre, une certaine autonomie. La monumentalité lui permet d’échapper aux galeristes et collectionneurs, elle devient indépendante du marché de l’art et acquiert une certaine renommée. Seule femme du projet, elle détient une place primordiale. En effet, réalisant l’enveloppe extérieure, elle créait l’image que l’on retient de cette œuvre.
Bien que son œuvre soit marquée par de fortes revendications féminines, la sculpture de Niki de Saint Phalle est souvent attribuée à ses collaborateurs. En effet, dans le cas de Hon, son travail est bien souvent passé sous silence car l’idée de réalisation d’une Nana géante revient à Pontus Hultén (directeur du Moderna Museet). Niki de Saint Phalle lutte donc pour faire entendre sa voix, dans un monde largement masculin.
Hon provoque également des réactions variées chez les visiteurs. L’œuvre ne fait pas scandale, mais les Suédois les plus conservateurs sexualisent cette sculpture, tandis que les féministes considèrent que la sculpture donne à voir une image rétrograde des femmes. L’artiste répond à ces critiques, affirmant que son œuvre n’a rien de pornographique et se veut être une œuvre faite au nom de toutes les femmes. Hon est tout de même reconnue comme une œuvre en parfait accord avec l’émancipation féminine suédoise et il y aurait eu, grâce à elle, une augmentation du taux de natalité à Stockholm l’année suivante.

A travers de la réalisation de Hon, Niki de Saint Phalle s’affirme comme une artiste-femme militante. Abordant des thématiques peu communes et propres aux femmes, elle se réapproprie un espace jusqu’alors largement réservé aux hommes. Par la monumentalité, elle égale les productions masculines, montrant que le monde de l’art, par son renouvellement, peut également accorder une place aux femmes.
[1] Niki de Saint-Phalle, Lettre à Clarice Rivers, Automne 1966
[2] Öhrner Annika, « Niki de Saint Phalle Playing with the Feminine in the Male Factory: HON – En Katedral », Stedelijk Studies
[3] Propos de Kalliopi Minoudaki cités dans Öhrner Annika, « Niki de Saint Phalle Playing with the Feminine in the Male Factory: HON – En Katedral », Stedelijk Studies
[4] Interview de Niki de Saint Phalle, « Niki de Saint Phalle et les nanas », 19 juillet 1972, Office national de radiodiffusion télévision française
[5] Interview « Niki de Saint Phalle et Pontus Hultén », 03 juillet 1980, Nuits magnétiques