
Depuis le 6 juillet 2022, le Musée des arts décoratifs de Paris met à l’honneur Elsa Schiaparelli (1890-1973), créatrice de mode et de la Maison Schiaparelli dans les années 1930. L’exposition réunit 520 œuvres : un peu plus de la moitié sont des costumes et accessoires de mode de la maison Schiaparelli et l’autre des peintures, sculptures, bijoux, flacons de parfum, céramiques, affiches et photographies réalisé·es par les ami·es et collaborateur·trices de la créatrice. Le parcours de l’exposition, chrono-thématique, propose de montrer certaines de ces collaborations. Nous citerons celle avec Salvador Dalí. Le rapprochement des œuvres de l’un et l’autre rendent l’influence évidente. Par exemple, pour une robe et son voile de sa collection été 1938, Schiaparelli s’inspire des Trois jeunes femmes surréalistes tenant dans leurs bras les peaux d’un orchestre de Dalí de 1936. Un autre exemple est l’inspiration évidente de la Femme aux tiroirs de Dalí (figure récurrente dans son œuvre, ici figurée dans un dessin de 1936), qui a inspiré à Schiaparelli un modèle de tailleur en jupe pour sa collection hiver 1936-1937. La collaboration Schiaparelli-Dalí est sans doute la plus illustrée dans l’exposition : photographies, peintures, dessins des deux créateur·trices, costumes de Schiaparelli mais aussi d’autres créateurs de mode, comme Jean-Paul Gauthier, dont une petite robe de la collection Les Surréalistes pour l’automne-hiver 2006-2007 est exposée.

Outre les collaborations, l’exposition suit le parcours de la maison Schiaparelli depuis sa création. Nous la suivons dans son déplacement depuis ses locaux originaux au 4, rue de la Paix, vers un hôtel particulier au 21 place Vendôme. Les collaborations continuent, le nom Schiaparelli prend de l’importance et est connu. D’autres collaborations se font, non pas seulement avec des ami·es artistes : en 1934, Schiaparelli sollicite pour la première fois Albert Lesage, à la tête de la Maison Lesage, entreprise de broderie montée en 1924 et encore active aujourd’hui – et collaborant toujours avec la Maison Schiaparelli.
Le devenir de la Maison Schiaparelli conclut l’exposition. Sa fondatrice est obligée de mettre les clefs sous la porte en raison de difficultés financières en 1954. Cinquante-deux ans plus tard, la Maison Schiaparelli est rachetée en 2006 par Diego Della Valle, fondateur du groupe de luxe italien Tod’s, puis rouvre ses portes en 2012. Les collaborations sont toujours au cœur de cette nouvelle vie : la première, en 2013, se fait avec le designer Christian Lacroix sur un thème hommage à Elsa Schiaparelli.

Depuis 2019, Daniel Roseberry, presque devenu prêtre anglican à Dallas, Texas, aux États-Unis (comme nous l’apprend le cartel), occupe aujourd’hui le poste de directeur artistique de la Maison Schiaparelli. On nous apprend que depuis le début de son mandat à la Maison, il « a ressuscité certains des codes les plus influents[1] » de Schiaparelli tout en rendant hommage à la créatrice et à son amour pour le Surréalisme. « Dans le même temps, lit-on encore, il a détourné bon nombre de ces mêmes codes, contribuant à une nouvelle grammaire esthétique par l’utilisation fréquente de bijoux et de quincaillerie en or, de denim réutilisé et de cuirasses moulées en cuir et en métal. » Son goût et son talent sont comparés à ceux de Schiaparelli : comme elle, « Roseberry est particulièrement intéressé par l’expérimentation de tissus nouveaux et improbables, et repousse sans cesse les limites de ce que la couture peut – ou devrait – être. »
Cette dernière partie n’est pas une surprise. Nous la sentions venir ; un œil attentif aura remarqué au fil de l’exposition quelques pièces anachroniques, ce depuis la première salle avec la mini robe de la collection Matador Couture de l’automne-hiver 2021-2022 réalisée par Daniel Roseberry. Dans les vitrines des bijoux réalisés en collaboration avec d’autres artistes contemporains à Schiaparelli, s’invite un ensemble de boucles d’oreilles réalisé par Roseberry pour la même collection. Ce n’est qu’à la fin du parcours, dans les salles consacrées à la Maison aujourd’hui, que nous les voyons portées. Un petit namedropping pour finir : Lady Gaga pour la cérémonie d’investiture du président Joe Biden, Beyoncé pour la 63e cérémonie des Grammy Awards, Bella Hadid pour le Festival de Cannes ; toutes « représentent la prochaine génération de muses Schiaparelli – des femmes qui façonnent non seulement la culture, mais la conversation qui l’entoure. »

L’exposition est joliment montée ; le MAD sait faire un show et nous l’avait déjà prouvé avec son exposition sur le créateur de mode Thierry Mugler la même année. « Divertissante » : voilà le mot que l’on utiliserait pour qualifier cette exposition. Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli est une exposition divertissante, belle, riche en pièces ; mais cela suffit-il ? Nous regrettons le manque d’informations sur l’histoire de la mode. On nous qualifie Elsa Schiaparelli de shocking tout en nous l’inscrivant dans un milieu artistique commun, celui des Surréalistes, avec lesquels elle s’entend bien. Le choc et la provocation, qui la qualifient, viennent alors peut-être du côté de la mode ; mais cet aspect manque, dans l’exposition, notamment par l’absence d’une remise en contexte de la mode « normale » de l’époque (des années 1930 et 1950), en comparant par exemple avec d’autres grandes maisons de couture de l’époque, ou des goûts à la mode.
À la place, la comparaison la plus récurrente au travers de l’exposition est celle avec la Maison Schiaparelli aujourd’hui ; nous retrouvons les pièces récentes de Roseberry parsemées un peu partout dans le parcours, parfois les méprenant pour des pièces originelles. Nous ressortons avec un goût amer : sous-couvert d’une exposition voulant célébrer le génie créatif d’Elsa Schiaparelli, ne nous a-t-on pas plutôt vendu une grande publicité pour relancer la marque ? Nous ne pouvons ignorer la collaboration entre le musée et la Maison[2]. Exposer leurs pièces récentes en parallèle des originales d’Elsa Schiaparelli ne s’inscrit-il pas dans une quête de légitimité de leur part ?
Ce sont sur ces questions que nous ressortons de cette visite. Une exposition divertissante, belle, avec un travail scénographique impressionnant ; que nous recommandons mais qui interroge sur l’avenir de telles expositions montées en collaboration entre des grandes marques et une institution culturelle publique, et sur la manière de traiter l’histoire de la mode.
[1] Cartel d’exposition. Sauf mention contraire, toutes les citations proviennent des cartels visibles dans l’exposition.
[2] La Maison Schiaparelli est chaleureusement remerciée dans les crédits à la fin de l’exposition : « Le musée des Arts décoratifs remercie très sincèrement la Maison Schiaparelli pour son soutien et pour sa générosité, et tout particulièrement la famille Della Valle, propriétaire, Delphine Bellini, directeur général, Daniel Roseberry, directeur artistique, Timothy Watson, coordinateur artistique, Francesco Pastore, responsable patrimoine et projets culturels. »