
À notre époque dans laquelle l’intérêt pour la littérature décline, voici un film qui redonne l’amour des mots et du rythme. À la suite de celui-ci, la lecture des écrits de Duras nous remémore les thématiques du film. Et nous comprenons que son visionnage est nécessaire pour mieux comprendre le monde Durassien.
Genèse du film
En 1982, dans la maison de Marguerite Duras à Neauphle le Château, Yann Andréa, le compagnon de Duras depuis deux ans à besoin de s’exprimer à propos de leur relation. Il fait alors appel à Michèle Manceaux, journaliste et amie de Marguerite Duras. Il fait part d’une relation faite de passion, dans son sens actuel c’est-à-dire l’état affectif fort et positif mais qui entraîne en lui la passion dans son sens étymologique c’est-à-dire l’action de souffrir.

L’entretien sur les bandes magnétiques a été publié en 2016 sous le titre Je voudrais parler de Duras au édition Pauvert. Claire Simon, réalisatrice reconnue pour ses documentaires, se laisse emporter par la retranscription papier des paroles de Yann Andréa. Elle souhaite donc dépeindre cette poésie à l’écran et ce film Vous ne désirez que moi est transmis avec justesse entre fiction et documentaire.
Le cadre du film :
Michèle Manceaux interprétée par Emmanuelle Devos et Yann Andréa interprété par Swann Arlaud se côtoient dans un cadre des plus vraisemblables. Le salon à l’étage de la maison de Marguerite Duras à Neauphle le Château est fait d’un décor qui rappelle le lieu originel. À quelques reprises, nous sortons de ce semblant de huis clos pour apercevoir en outre les souvenirs de Yann André qui illustrent ses propos. Enfin nous apercevons quelques images d’archives dans lesquelles apparaît Marguerite Duras.
L’action portée par les deux protagonistes est une conversation autour d’une table. Cette conversation est rendue à l’image avec une simplicité étonnante et techniquement inhabituelle. Tandis que Yann André s’exprime, la caméra scrute son visage en plan fixe pour incarner sa parole. Par moment la caméra se déplace avec lenteur pour capter cette fois ci l’attention de Michèle Manceaux. Son texte est en grande partie fait de silence : mais un silence essentiel pour laisser place à la prose poétique. Et les quelques fois où Michèle Manceaux s’exprime permet de relancer plus vivement l’intérêt des mots. Le rôle de l’actrice ne doit donc pas être pris à la légère tel l’interlude au milieu du film dont elle est la protagoniste.

Une dimension universelle :
Il est évident que ce film a une portée universelle, qui va au-delà de la relation entre Duras et Yann Andréa. Claire Simon n’a pas souhaité parler uniquement de Duras dans ce film. Nous pouvons dans un premier temps le constater nous même par le titre qui n’évoque pas directement Duras.
Puis les images parlent d’elles même : Duras n’apparaît pas au sein de ce duo si ce n’est pas l’intermédiaire d’archives mais dans cette pièce où tout se passe, elle est simplement suggérée à quelques reprises. D’abord par le téléphone qui sonne à l’étage pour interférer dans la conversation puis par une simple silhouette derrière les rideaux.
Enfin, il faut écouter Claire Simon pour mieux comprendre l’intention de ce film. Et c’est alors qu’on découvre qu’elle et les acteurs ont décidé de ne pas écouter le véritable enregistrement. Ils en avaient pourtant l’occasion mais ont préféré avoir une marge de manœuvre avec le texte et c’est avec ce type de choix que l’on comprend bien la différence entre documentaire et fiction.
Invitation au monde Durassien :
Ce film est une invitation à découvrir Marguerite Duras. En comprennant toute la puissance de cette femme nous sommes obligés de nous interroger sur la puissance de ses textes, c’est pourquoi ce film nous fera inévitablement chercher un livre de Duras pour nous rassasier de mots. Pour conclure, ce film est avant tout une ode au texte, à la parole, à la recherche de sens mais surtout une ode à la beauté où qu’elle se trouve.

“ Écrire. Je ne peux pas. Personne ne peut. Il faut le dire : on ne peut pas. Et on écrit.” Duras, Écrire. Gallimard,1993.
Victor Elies