
Article pouvant comporter des spoilers
Un périple banal puis rocambolesque
Profession : reporter est un film de Michelangelo Antonioni sorti en France le 18 Juin 1975. Le réalisateur italien fut également scénariste du long métrage, expliquant ainsi la connivence entre la forme et le fond de l’œuvre d’une maîtrise scénique admirable. Le film ne fut pas réellement distingué, à l’exception d’un Bodil Award du meilleur film non américain en 1976. Malgré cela, il est considéré comme l’un des films majeurs du réalisateur aux cotés de Désert Rouge et de Blow-Up. Le développement suivant s’appuie sur le synopsis et ne devrait donc pas comporter de spoilers importants.
David Locke est un reporter célèbre parcourant le monde, d’une vie pouvant être envisagée comme idéale, son manque d’attache terrestre va être le symptôme de sa solitude. L’impossibilité de se projeter dans le monde va caractériser le personnage incarné par Jack Nicholson et sera la source de son rebond vital. Lors d’une mission en Afrique, il est guidé par un homme du pays vers les rebelles de la région. Son excursion prend un tournant catastrophique lorsque sa voiture se retrouve ensablée et qu’il découvre le décès de son voisin de chambrée : à son retour à l’hôtel il trouve la dépouille d’un certain Robertson, un homme lui ressemblant étrangement. David décide alors en un sursaut de prendre son identité, en faisant passer pour mort l’homme ordinaire qu’il était.
Commence alors une renaissance mesurée. Loin d’une refonte existentielle, ce changement de personnalité est d’abord une décision relevant du hasard. Un homme ayant accumulé des déceptions y voit le moyen d’échapper à sa vie dont l’éclat s’est terni. C’est un second souffle d’une vie qui, d’abord banale, s’apprête à devenir rocambolesque. Passant d’une solitude ponctuée de l’indifférence des gens qu’il croise, le nouveau Robertson est empêtré dans une sale affaire le faisant devenir le contact privilégié d’hommes inquiétants. Envisagé comme une éternelle fuite, sa vie est changée. Une jolie française lui apparaît, telle une illusion, elle se présente comme une femme épanouie, indépendante et fidèle à cet anglais tout juste rencontré. Ancré dans sa banalité, le personnage s’étonne de sa présence et de la cause de son attachement.
Le personnage incarné par Maria Schneider est une ouverture pour l’horizon préalablement pesant. Elle réanime ce personnage fuyant, qui, assommé par les mensonges, se livre à elle en lui racontant sa vérité quant à la manière dont il a fuit ses responsabilités, sa femme Rachel Locke, et dont il fuit désormais le marchand d’armes. Alors que le contexte étouffant caractérise à la fois l’impression du spectateur et celui de David Locke, elle apparaît comme un soulagement. Solitaire et étrange, elle abandonne ses amis avec lesquels elle passe ses vacances. Elle aime lire et contempler à Barcelone les merveilles architecturales de Gaudí. Ses yeux sont tendres et ceux du reporter deviennent d’un éclat enfantin. Jusqu’à présent, ils étaient d’un ennui ordinaire.

En Janvier 2020, j’avais assisté pour la première fois à la projection de ce film lors du festival Premiers plans à Angers, seule m’était restée une impression d’ennui en dehors de vagues souvenirs. La première partie m’avait semblé inanimée, tandis que la seconde caractérisait la liberté. Le long métrage devient alors un film d’aventure presque caricatural : un périple ensoleillé en Espagne avec une jolie femme et une décapotable. Outre cela, la forme renvoie à cette division en deux parties, les premiers plans sont lassants tandis que le final est somptueux. Ils sont d’abord simples, sans effets, d’une lenteur lourde et panoramique sur le désert saharien. L’homme est traîné dans l’immensité désertique. Les personnages défilent, n’ayant aucun lien entre eux, n’étant que peu importants pour l’histoire. Chaque nouveau décor nous donne envie de fuir vers un ailleurs.
Les moments simples et magiques permis dans la seconde moitié du film nous enchantent. Un couple iconique et romantique prend la place de l’homme solitaire. Sa vie devient idéale et son personnage souriant semble l’accueillir à bras ouverts. Mais se détachant de tout lien, il devient marginal. Antonioni exprimerait qu’un homme ne se sentant pas à sa place pourrait sortir du malaise social dans lequel il baigne par une seule rencontre fortuite. Il s’agirait d’une invitation à envisager sa vie sous un angle nouveau, en prenant conscience qu’en lâchant prise tout pourrait être possible. Une remise en question, une légère impulsion et un bon vent pourraient permettre une renaissance.
Le film interroge sur les pouvoirs et les limites du cinéma. Le destin du héros prend forme dans un ultime et époustouflant plan séquence de sept minutes. Alors que sa femme s’apprête à le découvrir, vient la fin de son périple. Par un zoom avant, la caméra sort de la chambre, passe par le fenêtre et observe en une fin de journée ensoleillée les protagonistes qui défilent et cherchent David. Des enfants, des adultes et des vieillards passent sur le sable encore chaud. On aurait envie de rester là à observer ces gens pour l’éternité. Rattrapé par ses démons et ceux du défunt Robertson, la fin du film semble inexorable. Les dernières paroles du personnage sont révélatrices. Une métaphore soulignant que l’illusoire vaudrait mieux que la vie.
Maxence Loiseau