Georges Mathieu : « La liberté c’est le vide »

Georges Mathieu est une personnalité éminente du monde artistique. Précurseur, il influence de manière déterminante toute une lignée d’artistes. En s’exerçant dans plusieurs domaines, il montre au public que l’artiste doit être au cœur de la société. Il devient une figure emblématique en créant ses œuvres face au public. 

L’abstraction lyrique n’est pas seulement un mouvement mais aussi une volonté de pourfendre les idées reçues et d’installer un véritable mode de pensée. Georges Mathieu parcourt le monde afin d’imposer son style. Il est un véritable témoin de son époque et le reflet du contexte artistique d’après-guerre. 

« La liberté c’est le vide »

Personnalité éminente du monde artistique, Georges Mathieu est né en 1921 à Boulogne-sur-Mer et poursuit des études d’anglais, de droit et de philosophie. C’est après avoir lu une étude sur Joseph Conrad qu’il décide de devenir peintre. Mathieu refuse dès le départ la figuration et se lance sans études artistiques et sans connaitre la peinture contemporaine : c’est le vide. 

Alors que les partisans de l’art figuratif et les protagonistes de l’abstraction géométrique s’affrontent, Mathieu provoque une rupture radicale avec toute représentation figurative. Il conserve les outils traditionnels du peintre, tels que le pinceau ou la toile, mais rompt avec les moyens plus directs pour peindre : c’est un jeu libre de la couleur rendu possible grâce à son geste.

Pendant la période qu’il appelle les « Limbes », des lignes courbes et sinueuses prédominent, dont on dirait qu’elles dérivent au hasard sur la toile. C’est une période au cours de laquelle il élabore, dans la plus grande solitude, la genèse d’un langage pictural jusqu’ici inconnu. Dès Inception en 1944, Mathieu entre dans la non-figuration. En 1945, il réalise Évanescence, une composition plus lumineuse d’où jaillissent des gerbes de peinture. Il en émane une énergie intense traduite par des moyens plastiques inédits, sans référence au passé. 

Evanescence, Georges Mathieu, 1945, huile sur toile, 97x80cm, Fondation Gandur pour l’art, Genève

Avec une immense liberté, Georges Mathieu explore l’étendue des possibilités infinies. Il délaisse les outils traditionnels de la peinture au profit des coulures, des tâches ou des giclures. Chaque toile devient le terrain d’expérimentations nouvelles, et ce dès le début de sa carrière. 

Les notions de gestes, de vitesse, de spontanéité, d’improvisation et de lyrisme sont prépondérantes dans son œuvre. L’acte de peindre ne renvoie à rien d’autre qu’à lui-même. C’est un jeu gratuit et spontané.  

Une nouvelle Renaissance

« L’art est un langage. Georges Mathieu a imposé le sien avec une énergie qui est l’expression unique et irréversible d’une authentique linguistique picturale » – Lydia Harambourg

Son objectif est donc de ne s’inspirer directement d’aucune œuvre antérieure. Il accomplit une révolution en remettant en cause tous les principes hérités de la Renaissance, avec la volonté de créer une œuvre parfaitement libre de ces anciennes sujétions. On observe une rupture totale avec le passé. 

Cette révolution picturale est notamment permise par l’abandon des moyens coutumiers de peinture et des techniques traditionnelles. Il emploie la technique du dripping qui est une technique propre aux arts plastiques, (dont le nom provient de l’anglais to drip = goutter). Elle a été véritablement révélée grâce à Jackson Pollock. Le dripping consiste à faire des superpositions de plusieurs couleurs en faisant s’égoutter la peinture par le fond percé d’un récipient que l’artiste déplace au-dessus de son œuvre, obtenant ainsi coulures et giclures. Cela entraine une prédominance des courbes et des lignes droites. 

Mathieu privilégia très vite le tubisme, technique dont il est l’inventeur, consistant à peindre directement avec le tube de peinture sur la toile. Éternité (1945) est l’une des premières applications de cet usage direct du tube. Au-delà de la suppression du pinceau, l’usage du tubisme participe à la logique de vitesse auquel Mathieu accorde une grande importance. On peut dès lors plus que jamais parler de « peinture directe ».

L’important pour l’artiste est de tout mettre en œuvre pour ériger ses convictions en une vérité prophétique. C’est ainsi qu’il crée l’abstraction lyrique. 

C’est en 1947 qu’a lieu une exposition de groupe essentielle : l’Imaginaire, que Georges Mathieu voulait appeler « vers l’abstraction lyrique ». Contre le formalisme géométrique, cette exposition inaugure officiellement l’abstraction lyrique, que l’artiste va imposer avec passion et conviction. Elle a lieu à la Galerie du Luxembourg le 16 décembre 1947 et expose des artistes tels que Arp, Atlan, Brauner, Hartung, Mathieu, Picasso, Ubac, ou encore Wols.

C. Donell écrit : « Une des expositions les plus intéressantes qu’il nous soit donné de voir en ce moment, une tendance générale vers un lyrisme pur, dégagé de toutes contraintes, qui évoque des mondes énigmatiques, d’une poésie un peu inquiétante » (in Réforme, décembre 1947). 

« Une abstraction qui n’est pas enfermée dans les règles, ou dans les dogmes, une abstraction ouverte, une abstraction libre ».

Pour réaliser ce projet, il veut réunir ceux qui représentent la liberté la plus absolue face à tous les héritiers du cubisme, constructivisme, surréalisme et néoplasticisme. 

L’abstraction lyrique est donc née. Il s’agit d’une réelle révolution, à la fois picturale et conceptuelle. Georges Mathieu crée son propre langage pour ériger ses convictions. 

C’est un artiste éclectique, précurseur et reconnu de son vivant.  

Georges Mathieu est le premier à faire des performances et des happenings. Il invite en 1954 journalistes et amateurs à assister à la création des Capétiens, partout ! qu’il exécute en 1h et 20min. 

Les Capétiens, partout !, Georges Mathieu, 1945, huile sur toile, 295×600 cm, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou

En 1959, il peint à la télévision Le Massacre de la Saint-Barthélemy pendant que le musicien Kenny Clarke joue des morceaux de jazz. 

Le Massacre de la Saint Barthélemy, Georges Mathieu, 1959, huile sur toile, 250×600 cm, Lentos Kunstmuseum, Linz, Autriche

Certaines de ses performances se comparent à une chorégraphie avec une certaine mise en scène du geste. Il est en représentation constante et veut faire de son art un spectacle. 

Le 26 mars 1963, le Palais de Tokyo, à Paris, organise le vernissage de la première rétrospective de Georges Mathieu, exposant 95 toiles, 27 aquarelles et dessins. Evénement exceptionnel car il est rare qu’une rétrospective ait lieu du vivant de l’artiste. 

En 2008, la Maison de la Radio est classée aux Monuments historiques. Elle conserve certaines œuvres de l’artiste dont la fresque Hommage à Jean Cocteau de 4x20m réalisée en 1963 par Georges Mathieu. 

Hommage à Jean Cocteau, Georges Mathieu, 1963, 40×200 cm, Maison de la Radio, Paris

Prophète, précurseur et visionnaire, il voit son œuvre entrer dans l’Histoire. 

Ainsi, Georges Mathieu est un artiste précurseur qui a su imposer sa propre vision et conception de l’art. Son œuvre est caractérisée par une grande liberté, insouciante et créatrice, dont la seule limite est la surface de sa toile. Il se lance sans avoir fait d’études artistiques et sans connaitre la peinture contemporaine : la seule chose qu’il sait dès le départ, c’est qu’il refuse la figuration. Il réalise donc un saut dans le vide. Il crée une « nouvelle renaissance », en remettant en cause tous les principes du passé et en abandonnant toutes les techniques traditionnelles. Il est le peintre le plus associé à l’abstraction lyrique. L’œuvre de Mathieu est une peinture du geste, de la vitesse et de l’énergie. Son défi a été de développer un regard sur le monde conservateur et un art novateur, le tout nourri d’un comportement souvent provocateur.

Léna Mekerri

SOURCES :

Georges Mathieu, texte de Lydia HARAMBOURG, édition Ides et Calendes

Mathieu, Dominique QUIGNON-FLEURET, édition Flammarion

L’abstraction Prophétique, Georges Mathieu, édition Gallimard

Mathieu À Versailles – Château De Versailles Petite Ecurie, DEREY Alain

Site officiel de Georges Mathieu, https://georges-mathieu.fr

« La fureur d’être » https://youtu.be/Dsn5BnsK1cE

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s