
Alors que les combats entre les sourciers et les ciblistes font rage depuis des siècles, quelle position faut-il prendre pour restituer convenablement le sens d’un texte en traduction ? Il s’agit d’un art complexe où le jonglage des mots est inévitable ; apprendre à surfer entre deux langues et deux cultures bien distinctes devient rapidement un jeu d’enfant pour certains traducteurs chevronnés, tels que Jean-François Ménard pour Harry Potter et Daniel Lauzon pour Le Hobbit.
Les sourciers vs les ciblistes
Mais qu’est-ce que ce combat historique en traductologie ? Les sourciers sont les traducteurs pour lesquels le maintien de l’empreinte de la langue source est essentiel. Ils essaient de préserver au sein de la langue cible les spécificités de la langue source, issue bien évidemment d’une culture étrangère. Antoine Lemaistre, janséniste et homme de lettres français, prône l’imitation du style de l’auteur : il faut traduire de manière fidèle et littérale. En revanche, les ciblistes sont les traducteurs pour lesquels la lisibilité de la traduction est LE point primordial. La traduction doit être produite en bon français, comme si le texte original avait directement été écrit dans la langue cible. Cicéron insiste sur l’importance d’une restitution parfaite dans la langue cible comme s’il appartenait entièrement et depuis toujours à cette langue.
Alors… quoi prôner ? La littéralité ou la liberté ?
La Négociation
Pour l’auteur italien Umberto Eco, le traducteur doit connaître parfaitement ses deux langues de travail et par conséquent, les deux cultures qui y sont rattachées. Il propose alors le concept de Négociation : celui qui procède à la traduction d’un texte doit pouvoir trouver l’équilibre parfait entre les deux cultures. Le lecteur doit comprendre le message initial de l’auteur même si ce dernier provient d’un monde absolument différent du sien.
Pour une référence culturelle ou littéraire présente dans le texte source, Umberto Eco n’exclut pas l’idée d’une adaptation et d’une appropriation culturelle dans le texte cible. C’est ce qui se passe dans de nombreux romans tels qu’Harry Potter de J.K. Rowling ou dans Le Hobbit de J.R.R. Tolkien.
La traduction de substantifs ou de noms propres inventés requiert une certaine habileté et adaptabilité de la part du traducteur. Si ces mots étaient laissés en langue source, en l’occurrence en anglais pour nos deux exemples, le lecteur comprendrait qu’il s’agit d’une culture différente mais ne saisirait aucunement les jeux de mots de l’auteur. Il est donc important de les traduire et de les adapter au français tout en laissant une connotation de la culture source.
La traduction de la saga Harry Potter
Dans Harry Potter, le jeune sorcier britannique prend le train pour arriver à Hogwarts. Jean-François Ménard a fait le choix de traduire tous les mots inventés par l’auteure pour adapter le texte. Ainsi, Hogwarts devient « Poudlard » et garde, malgré tout, une sonorité anglaise. Décortiquons plus amplement ce mot-valise : en anglais, hog signifie « porc », wart « verrue » et wart-hog « phacochère ». Un nom humoristique pour une école censée être sérieuse ! Le traducteur opte pour un jeu de mots similaire : « pou-du-lard » devient « Poudlard ». Mais pourquoi cette appellation et cette traduction ? Elle tient son origine du rêve de Rowena Serdaigle, l’une des fondatrices de l’école, où un cochon verruqueux lui apparut en songe la conduisant vers des falaises. Ce lieu sera choisi pour la construction du château qu’ils baptisèrent Poudlard, en hommage à ce rêve.

et de Magie de Poudlard ©Piwwie
Et d’ailleurs, qu’en est-il de la traduction des maisons ? Jean-François Ménard fait le choix de tout simplement franciser Gryffindor qui devient « Griffondor ». Pour Ravenclaw, raven signifie « corbeau » et claw « serre » ; dans un souci de sonorité, le traducteur change d’oiseau et invente « Serdaigle », plus en adéquation d’ailleurs avec la bannière de cette maison. Hufflepuff devient « Poufsouffle », il conserve ainsi l’allitération ; le nom original vient du conte des trois petits cochons lorsque le loup dit « I will huff and puff » (je vais souffler). Le traducteur explique qu’il garde cette idée d’essoufflement avec les étudiants sorciers de cette maison qui semblent toujours être à bout de souffle. Enfin, Slytherin devient « Serpentard ». Slither signifiant « ramper » ou « onduler », l’idée de mouvement se perd mais celle de l’animal est conservée. Il fait par ailleurs le choix d’ajouter le suffixe péjoratif -ard qui laisse présager la suite des événements.
Mais la traduction ne s’est pas toujours faite !
La traduction du roman Le Hobbit
Lorsque The Hobbit de J.R.R. Tolkien sort au Royaume-Uni en 1937, le roman rencontre rapidement un certain succès et une traduction française est d’ores et déjà envisagée. Ce roman sera traduit deux fois dans notre langue. Une première fois par Francis Ledoux en 1969 et une deuxième fois en 2012 par Daniel Lauzon. L’un est traducteur réputé de classiques littéraires ; l’autre est un jeune québécois traducteur de fantaisie.
Pour le chapitre 1, par exemple, Francis Ledoux traduit le titre « An unexpected party » par « Une réception inattendue » tandis que Daniel Lauzon traduit par « Une fête inattendue » donnant un petit coup de jeune au texte : « réception » étant plus soutenu. Francis Ledoux, dans une perspective sourcière, garde les noms anglais (Took, Baggins, Bag End, etc..). Le temps passe, les traductions vieillissent et les normes évoluent : la traduction anglaise de Francis Ledoux n’est donc pas surprenante et devient même une référence.

Daniel Lauzon, en revanche, choisit de franciser les noms pour une compréhension plus évidente des jeux de mots : Took devient Touc, Bilbo Baggins devient Bilbo Bessac (le terme bag est conservé dans la traduction en devenant « sac ») et sa demeure, Bag End devient « Cul-de-sac ». Notre sac est ici toujours présent. Malgré la conservation du sens premier, il y aura toujours une perte en traduction. Ici la sonorité très proche entre Baggins et Bag End disparaît dans la traduction française. Les traducteurs cinématographiques ont fait le choix d’une toute autre traduction pour le nom du protagoniste principal en le francisant davantage, jusque dans son prénom à la prononciation nasale : Bilbon Sacquet.
La traduction est donc un art difficile où la créativité permet de transmettre convenablement un sens en l’adaptant à la culture cible. Dans tous les cas, la traduction pose un problème de transmission et d’équivalence : il y aura toujours des pertes au niveau lexical, syntaxique ou encore du sens. Le fait de supprimer la culture peut également poser un problème éthique car la traduction peut éventuellement induire en erreur le lecteur sur l’origine du texte ou encore sur les références présentées. Si le traducteur supprime donc des éléments culturels, il doit pouvoir les remplacer par des références de la langue cible comme le préconise Umberto Eco, et c’est le cas ici avec Jean-François Ménard pour Harry Potter ou encore Daniel Lauzon pour Le Hobbit. La créativité d’une traduction est un exercice difficile qui rend parfois service au lecteur !
Et vous, comment auriez-vous traduit ?
Fanny Stamm
SOURCES :
CICÉRON, Du meilleur genre d’orateurs (préface à sa traduction des Discours de Démosthène et d’Eschine ; traduction d’H. Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1921).
ECO UMBERTO, Dire presque la même chose, éditions Grasset, 2007
LEMAISTRE, Règles de la traduction françoise (env. 1650).
Photo d’illustration : ©Aucomptoirdessorciers
article super intéressant !
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Merci pour votre commentaire !
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Merci beaucoup !
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